Chronique de terrain n°17 – Utilités

Matinée chargée… En fait, vous aurez même droit aujourd’hui à deux en une !

Ce matin, STOC au sud de la ville. Cinq points en rive gauche du Rhône, cinq points en rive droite et rien de bien passionnant. Les conditions étaient bonnes, j’étais sur place au lever du soleil… Est-ce à cause de la fraîcheur matinale ? Les oiseaux peinaient à se mettre en route. J’espérais le Rougequeue à front blanc – je n’en ai eu qu’un. La Huppe : zéro. Les gros arbres sont pourtant toujours là. Deux roitelets, de rares Mésanges noires. Bref, les forestiers, dans ce joli quartier très arboré, m’ont fait faux bond. J’ai dû me contenter de quelques banalités.

A Gerland, il semble que l’Hirondelle de fenêtre ait définitivement disparu. Il est vrai que presque tous les bâtiments qui l’accueillaient ont été rasés. Sur les autres, on ne voit que l’auréole grisâtre laissée par des nids détruits depuis longtemps. De manière générale, l’espèce est en train de quitter Lyon, définitivement. Nous ne parvenons pas à sauver les colonies lors de travaux. Malgré nos tentatives, nos poses de nichoirs, elles ne se réinstallent pas. Il semble que les populations ne soient pas assez dynamiques pour surmonter ces mauvaises passes.

La recette est pourtant éprouvée. Soit un bâtiment occupé par des nids d’Hirondelles, et nécessitant rénovation. L’espèce est protégée, menacée : que faire ?

On commence par ôter les nids, en hiver bien sûr, quand ils sont vides. Et on les remplace par des nichoirs, posés le plus près possible et avec une exposition aussi proche que possible. Ces nichoirs sont des imitations de nids naturels, construits en béton de bois. Ensuite, si les travaux ne doivent pas commencer de suite, on rend inaccessibles par des bâches ou des filets l’emplacement des nids retirés. Il ne s’agirait pas que les oiseaux se mettent à rebâtir précisément là où l’on doit procéder aux travaux.

De la sorte, les Hirondelles sont empêchées de nicher sur la bâtisse à rénover, mais grâce aux nichoirs, elles peuvent rester « sur zone » en s’épargnant le coût de la construction ou de la rénovation des nids. Car, oui, cela a un coût ; un coût énergétique bien sûr : imaginez le travail que représente la construction de ces échauguettes d’argile, pastille après pastille, avec juste un bec minuscule en guise tout à la fois de pelle, de toupie à béton et de truelle ! Ajoutez-y qu’en ville, trouver de la boue, de la bonne boue homologuée nid d’hirondelle devient un véritable défi… Bref, le nichoir est un pied à l’étrier indispensable.

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Nichoirs pour Hirondelles de fenêtre, avec leur planchette anti-salissures

Ainsi, l’année des travaux, si tout va bien, une nidification a tout de même lieu dans le secteur. La colonie reste fixée, et dès l’année prochaine, elle pourra recoloniser son ancien domaine.

Bien sûr, toute la démarche doit s’effectuer avec l’appui de connaisseurs, qui sauront déterminer le nombre et l’emplacement des nichoirs, et le tout être validé par les services de l’Etat. Car il s’agit d’une destruction intentionnelle de nids d’espèce protégée. La loi garantit aux citoyens que le premier pékin venu ne peut détruire ainsi le patrimoine commun. Pas question, donc, de jouer à ça chez vous, en douce.

Voilà, on fait tout cela et normalement, ça marche.

A condition que les oiseaux reviennent, et qu’ils trouvent assez d’insectes volants à proximité, que le printemps ne soit pas trop pourri, que…

Moyennant quoi, de plus en plus souvent, cela ne marche pas et la colonie est perdue à jamais.

On tâche désormais d’augmenter encore les chances de réussite en adjoignant aux nichoirs un « système de repasse » – un petit haut-parleur à batterie, ou mieux, solaire, qui diffuse en avril des cris d’hirondelles pour attirer les migrateurs. Il semble que les retours d’expérience soient bons. Mais vous voyez la complexité de l’ensemble.

Nous n’avons pas le choix : les populations d’hirondelles sont si fragiles qu’on ne peut plus se permettre de perdre les grosses colonies comme cela.

Dix heures. Me voici cette fois-ci en banlieue, au pied d’un haut pylône, pour une « surveillance Pèlerin ». De quoi s’agit-il ?

Le Faucon pèlerin fait partie des rares espèces qui se portent mieux qu’il y a trente ans. Certainement pas par hasard : il a fait l’objet d’un effort de protection gigantesque, alors qu’il avait pratiquement disparu d’Europe moyenne sous les coups de la chasse et du DDT. C’était l’époque où le lait des femmes françaises contenait tant de résidus toxiques qu’il aurait été classé impropre à la consommation si l’on avait voulu le vendre… Interdiction de certains pesticides, surveillance des nids, récupération-soins-relâcher de poussins faméliques voués à la mort, tout cela a permis aux populations de se refaire la cerise et recoloniser le gros de leurs territoires perdus. Mais au bout du compte, cela ne représente jamais que 1400 à 1500 couples. Trois mille oiseaux sur cinquante-cinq millions d’hectares…

Dans la région, ayant occupé la plupart des falaises – sauf celles occupées par les Hiboux grands-ducs, qui sont leurs prédateurs – les Pèlerins tendent, timidement, à s’installer en ville. La table y est servie en abondance de merles, d’étourneaux et de pigeons ; reste à trouver une corniche du pauvre sur ces curieuses falaises faites de main d’homme. Et voilà un couple sur une grosse antenne de communications. L’ennui, c’est l’envol des jeunes. Ils sont plutôt patauds et leur sortie du nid ressemble plus à une chute contrôlée qu’à un essor majestueux. Imaginez un gros poulet fouettant l’air de ces deux machins pleins de plumes que la Nature lui a vissés sur le dos, perché sur sa plateforme, et plaf ! voilà qu’il perd l’équilibre.

Lorsqu’il dégringole d’un nid installé sur une belle et bonne falaise, pas de problème : il y aura toujours une vire, un saillant pour le recevoir quelques étages plus bas. En ville, c’est une autre affaire, et l’aspirant prédateur risque fort d’échouer piteusement au sol, à la merci du premier chat ou malandrin venu. D’où la nécessité impérieuse d’organiser une surveillance permanente à la saison des envols, pour récupérer ces maladroits et les replacer en hauteur. Une fois, deux fois, cinq fois…

JeunePelerin

Un jeune Faucon pèlerin récupéré au sol et replacé sur un toit

Cette année, nous avons de la chance, et pour l’heure, les trois poussins que nous suivons ont réussi seuls leur premier envol. Ils ont sauté, ont échoué sur un toit en contrebas, et presque immédiatement réussi à redécoller, à prendre de l’altitude par leurs propres moyens. Pour eux, c’est gagné. Du moins, notre responsabilité s’arrête là. Ils passeront quelques semaines encore sous la dépendance des adultes, à parfaire leur technique de chasse, avant la dispersion définitive.

Évidemment on n’emporte pas son bouquin pendant ces veilles interminables : surtout quand on est seul, il s’agit de ne pas quitter la lucarne des yeux pendant trois heures. Ce n’est donc pas là que j’ai terminé la lecture du « Travail invisible » (de Pierre-Yves Gomez), mais difficile de ne pas y repenser tandis qu’on rumine, face au pylône dans lequel les poussins dorment. De quoi prolonger un peu la réflexion entamée à l’épisode 11.

Un vrai travail, cela doit être utile aux autres, lit-on dans le témoignage qui conclut ce livre. Suis-je utile, à veiller au grain, ou plutôt au pèlerin, au pied d’un immeuble ? Je ne crée pas de richesse (financière) ni d’emplois. La plupart de mes concitoyens sont totalement indifférents à la survie en France de l’espèce Faucon pèlerin, que d’ailleurs ils ne voient pas, lors même qu’elle évolue au-dessus de leur tête.

Je le crois utile, évidemment, sinon je ne le ferais pas. Vous avez sûrement remarqué que ma saison de terrain consiste assez rarement à prospecter les recoins verts du département ; je me retrouve plus souvent sur des sites assez peu pittoresques. Encore ne voyez-vous là que la saison de terrain, le cœur de l’activité certes, là où naît la vocation d’un tel métier, mais je n’y passe, grosso modo, qu’un tiers de mon temps de travail annuel. A peine. Tous les matins de mi-mars à mi-juin, quelques autres demi-journées éparses ; le reste est consacré à l’analyse, à la rédaction, aux dossiers de protection, à la coordination des réseaux de bénévoles, aux bases de données. Bref, ce métier n’est pas une bucolique sinécure au point qu’on choisisse de l’exercer juste pour ça. C’est un métier que l’on fait avec plaisir, bien sûr, voire, parfois, avec bonheur ; mais c’est bien un travail, et pas du tout une espèce de loisir rémunéré ; même si c’est une passion, c’est aussi un service. Bien sûr, on y vient parce qu’on aime observer la Nature et qu’on veut que cela puisse durer ; mais ce serait bien réducteur d’en conclure qu’on ne l’exerce que pour soi.

À cause de nous, des milliers d’espèces ne rendront plus gloire à Dieu par leur existence et ne pourront plus nous communiquer leur propre message. Nous n’en avons pas le droit.

(Laudato Si, point 33)

En tout cas, même si tout le monde s’en f… lorsqu’un jeune Faucon pèlerin a réussi son envol, je me sens heureux, pas seulement par émerveillement personnel, un brin égoïste, d’assister à ses cabrioles, mais aussi d’avoir participé à le donner à la Nature de l’an 2016, à l’avifaune de la ville, à mes concitoyens. Et je voudrais, souvent, lorsque je l’aperçois perché sur son antenne, leur dire : regardez ! mais regardez ! c’est un Faucon pèlerin. Vous savez, l’oiseau-bombe dont vous avez lu avec stupeur et ravissement qu’il faisait du 300 à l’heure ? et bien il y en a un là, au-dessus de votre tête, au-dessus de notre parcours quotidien arpenté les épaules voûtées et l’œil sombre.

De même, je suis heureux d’avoir découvert ce Petit-duc dans la Loire (c’était l’épisode 14), où il n’était pas connu. Non pas fier – puisqu’il s’agit d’une découverte fortuite – mais juste content d’avoir ainsi pu révéler sa présence aux collègues qui, du coup, pourront veiller sur lui en quelque sorte, prendre soin de cette part de patrimoine vivant commun. Vu les menaces qui pèsent sur la biodiversité, il est sage de la connaître aussi finement que possible. Cela figure même dans la Doctrine sociale de l’Eglise, au point 42 de Laudato Si, bien entendu.

« Produire » de la conservation de la biodiversité. Travail invisible, dont d’aucuns croient, d’ailleurs, qu’il s’accomplit tout seul, sans savoir quels yeux ont veillé dans l’ombre, quelles mains ont travaillé pour que l’oiseau soit encore là à chanter ce matin.
C’est notre façon, dans ce métier, de « produire » quelque chose qu’à défaut de consensus sociétal, nous croyons utile aux autres.

Chronique de terrain n°16 – A en pleurer

Ce STOC était réussi.

Pourtant, l’avifaune de ces pentes des monts du Lyonnais n’avaient jamais été à la hauteur des paysages. Trop de pesticides, sans doute, mais aussi trop peu de vieilles prairies, de haies épaisses ; trop de routes, de maisons récentes et de tunnels de plastique.

Mais pour une fois, il me faisait mentir.

Dans le petit bois de chênes pubescents, j’ai retrouvé le pouillot de Bonelli habituel – ce joli pouillot très contrasté, avec son dos olive et son ventre blanc. Mieux : sur un point suivant, j’en ai entendu un second, qui chantait depuis un autre bois, situé au-dessus. Banale dans les forêts de chênes verts du Midi, cette espèce ne l’est pas chez nous, et c’est une joie de la trouver. C’est une espèce un peu paradoxale que ce pouillot. Thermophile, on le trouve néanmoins dans l’arc jurassien, connu comme l’un des terroirs les plus froids de France. On s’attendrait à ce que le réchauffement climatique le favorise : il a perdu de larges pans de territoire dans le nord de son aire de répartition depuis 25 ans. En revanche, la tendance s’inverse sur les quinze dernières années.

En fait, il illustre bien l’enchevêtrement des divers phénomènes qui affectent aujourd’hui la biosphère de France. Dans l’ensemble, les espèces thermophiles progressent ; il en est de même des espèces forestières, car les surfaces boisées ont tendance à augmenter et à vieillir ; en revanche, les migrateurs transsahariens déclinent, et ce pour deux raisons : le réchauffement se traduit par des sécheresses plus fréquentes sur leurs quartiers d’hiver sahéliens, et d’autre part, ce sont généralement des insectivores, dont les proies sont décimées par les pesticides. Le Pouillot de Bonelli qui cumule les caractéristiques de migrateur transsaharien, thermophile et forestier, présente, du coup, une évolution « résultante » de toutes ces tendances parfois contradictoires. Pour le moment, il progresse… un petit peu.

Près de la vieille ferme d’en face, j’avais retrouvé l’Hirondelle rustique – un couple unique, mais en la matière, il faut se satisfaire de peu. On devine le pays bien pauvre en insectes volants ; d’ailleurs, l’Hirondelle rustique n’est connue nicheuse que sur une poignée (quatre !) de lieux-dits de cette vaste commune, et l’essentiel des couples se trouve sur deux sites tout à l’ouest, en altitude, loin des serres et des vergers. Quant à l’Hirondelle de fenêtre, elle est carrément absente, en tout cas inconnue, malgré pas mal de prospections.

Hirondelle rustique CDA

Hirondelles rustiques

De l’autre côté du col balayé par les vents – mais sur une autre commune et dans un tout autre environnement – sept nids d’Hirondelles de fenêtre, tourbillonnant ballet autour des vieilles étables. Surtout – surprise ! – sur le carré, j’ai relevé trois couples de Pie-grièche écorcheur. Au moins depuis l’épisode précédent, vous savez mon affection pour cette belle espèce, et ses exigences écologiques. Vous partagez donc ma surprise d’en trouver ici, non pas une égarée, mais trois territoires bien occupés.

Seulement, à cinq heures, avant de prendre la route, je m’étais connecté sur Twitter et j’avais vu qu’un avion avait disparu. La première annonce officielle n’avait pas dix minutes. Un avion égyptien, parti de Paris.

Naturellement, la cause semblait entendue. On n’attendait que la revendication qui ne pouvait tarder. Cinq jours après, l’enquête s’orienterait plutôt vers l’accident. Mais qu’importe.

Affreux contraste. Sous mes yeux, un ciel calme et bleu, plus d’oiseaux que jamais, une aube à rendre grâce – et par-delà les mers, l’autre réalité. Le terrorisme, pensais-je, comme à peu près tout le monde ; la haine aveugle, incompréhensible, inexplicable.

Pourquoi ?

Lorsqu’on se tient ainsi face au soleil levant, au bord d’un pré, il vient parfois à l’esprit cette pensée, un peu romantique, un peu de comptoir : pourquoi tout n’est-il pas simple ? Qu’avons-nous fait de notre innocence ? Ne pouvions-nous juste exister, tirer sobrement notre subsistance de la terre, sans vouloir toujours plus ?

Auri sacra fames ! et nous voilà bien avancés.

Diderot, paraît-il, trouvait qu’il était « bien mal né, méchant, profondément pervers [celui] qui médite le mal au milieu des champs ». Que « la nature entière » y murmure « demeure en repos comme tout ce qui t’environne, jouis doucement comme tout ce qui t’environne, etc. » Pauvre Diderot ! Quelle naïveté ! C’est que la science écologique n’était pas née. Il n’y a guère de repos, ni de jouissance dans un paysage naturel, a fortiori agricole. Il s’y noue au contraire de secrètes intrigues, d’implacables luttes pour la vie et de mystérieux contrats entre espèces, des compétitions sauvages et des coopérations vitales, et loin d’être en repos, la vie bouillonne, foisonne, s’enchevêtre, se déchire, se renoue, se blesse et se cicatrise et recommence sans cesse. Quant à l’agriculture de notre temps, surtout ici – mais là Diderot n’est pas en faute de ne pas la connaître – c’est un peu la même chose en pire. Que de tensions donc, de combats ouverts ou feutrés, de drames peut-être s’entremêlent dans ce paysage, d’ailleurs de moins en moins champêtre.

Plat Saint Romain_avril_2011 014

Le carré de Thurins. Non bien sûr, cette photo sous beau soleil de midi n’a pas été prise un jour de STOC !

Nous ne savons pas demeurer en repos, pas même dans les champs.

Et qu’y gagnons-nous ? Car nous voilà bien avancés.

Nous avons pris ce grand virage, paraît-il, au Néolithique.

C’est à partir de là que sont nés, « dans un contexte de compétition intense » – du moins le suppose-t-on, puisqu’on n’a par définition aucun texte – les chefs, les guerriers, les hiérarchies, les classes, les castes. Que le monde s’est divisé en Nous et Eux, en territoire A Nous et territoire Hostile. Et la compétition intense n’a plus jamais cessé. Elle tombe sous le sens.

Pour amasser ce qui, nous dit le prophète, ne nourrit pas, ne rassasie pas. Triste constat que chaque génération a tenu, scrupuleusement, à vérifier par elle-même. On ne croit aux gifles qu’après en avoir donné une et reçu dix.

Et moi, au milieu de ce champ de bataille planétaire, je compte les oiseaux ; « rigolo », « escroc », « khmer vert ». Je compte ces oiseaux dont a besoin chaque belligérant, que ça lui plaise ou non. Et leur disparition marque un pas vers la défaite universelle, la défaite de tous à la fois.

Nous serons bien avancés.

Pour l’éviter, il faudrait tout changer. Il faudrait penser large. Il faudrait que chacun se sente responsable de territoires qui ne sont même pas à lui et renonce à la fausse évidence qui lui commande de ne penser qu’à lui (mais aux dépens des autres, quand même, car il faut bien s’agrandir, n’est-ce pas ?)

L’écologie, ce serait un chemin de paix. Mais d’abord il faudrait un renoncement à soi. Il faudrait tuer ce je, comme y appelait Simone Weil (#PointSimone)

Je vous laisse imaginer la révolution. Pour l’heure, on n’en est qu’à continuer de manger le monde, mais en l’assaisonnant de curcuma bio.

Je laisse là mes champs, mes bois, mes pies-grièches et mes sombres pensées. Le bureau m’attend, les tableaux, les cases à remplir, les justificatifs à tamponner, les dossiers. C’est une autre face du métier, dont je parlerai peut-être un peu, quand la saison de terrain sera finie et que j’aurai un peu dormi. Car dans ce métier, le sommeil est rare entre mars et juin. D’où, d’ailleurs, l’espacement de ces notes. Ce ne sont pas les sorties qui se raréfient, bien au contraire.

Mais allons ! Demain, il y aura encore du nouveau. Je vous promets quelques jolies bestioles.

Oh, dites, attendez ! Puisque ce carré est fini…

D’abord, voici, rituellement, les résultats du jour. Vous devez commencer à avoir l’habitude de retrouver les mêmes espèces en haut de tableau. Notez ici la belle présence de l’Alouette lulu. Mais allez voir encore plus loin…

ThurinsP2

Voici la synthèse du carré pour 2016. On l’obtient en prenant, point par point (et non passage par passage), l’effectif maximal pour chaque espèce, entre les deux passages. Et en sommant ces maxima par point. Je me suis juste permis ici une petite entorse: exclure la petite troupe de 20 pinsons migrateurs qui donnait un chiffre peu comparable aux autres espèces. Je vous laisse regarder quelles espèces ne sont présentes qu’au premier, qu’au second passage…

En tête, sans surprise, les espèces les plus généralistes, celles qu’on trouve partout. Puis, çà et là, les rustiques: Hirondelle de fenêtre, Alouette lulu, Bruant zizi, Pie-grièche, Tarier pâtre, Rossignol, Hypolaïs et Fauvette grisette, qui en avril n’étaient pas encore revenues d’Afrique. Enfin, quelques forestières – Pic épeiche, geai, Pouillot de Bonelli, etc. Globalement, on peut dire – mais un carré STOC n’a pas vocation à être analysé seul, ni sur une seule année – qu’on a là un carré au peuplement assez banalisé, mais avec encore une certaine présence des espèces campagnardes. A hauteur, toutefois, de moins d’un couple tous les deux points pour les plus communes, ce qui n’est franchement pas terrible…

Passage 1 Passage 2 Synthèse
Pinson des arbres 6 10 10
Fauvette à tête noire 7 10 12
Merle noir 5 11 12
Mésange charbonnière 7 7 10
Pigeon ramier 2 7 8
Corneille noire 3 5 7
Hirondelle de fenêtre  0 7 7
Mésange bleue 3 6 7
Pic vert 5 4 7
Alouette lulu 2 5 6
Chardonneret élégant 4 2 6
Coucou gris 3 4 6
Étourneau sansonnet 4 2 6
Moineau domestique 6 6 6
Rougegorge familier 5 2 6
Troglodyte mignon 4 4 6
Bruant zizi 0 5 5
Faisan de Colchide 1 4 5
Grive musicienne 5 0 5
Pic épeiche 2 4 5
Pie-grièche écorcheur 0 5 5
Pouillot véloce 3 4 5
Rossignol philomèle 0 4 4
Rougequeue noir 4 0 4
Serin cini 2 2 4
Tourterelle turque 3 2 4
Alouette des champs 2 3 3
Fauvette grisette 0 3 3
Hypolaïs polyglotte 0 3 3
Pie bavarde 3 0 3
Bergeronnette grise 2 0 2
Grive draine 2 2 2
Hirondelle rustique 1 1 2
Perdrix rouge 2 0 2
Pouillot de Bonelli 0 2 2
Rougequeue à front blanc 0 2 2
Sittelle torchepot 2 1 2
Tarier pâtre 0 2 2
Buse variable 1 0 1
Faucon crécerelle 1 1 1
Geai des chênes 0 1 1
Grimpereau des jardins 1 0 1
Mésange noire 1 0 1
Moineau friquet 1 0 1
Pouillot fitis 1 0 1
Roitelet à triple bandeau 1 0 1
Verdier d’Europe 1 0 1

Chronique de terrain – 15 Des signes pour ce qu’ils sont

STOC Plateau mornantais. Second passage.

Il fait beau. Cette fois-ci, sans trop de vent. Par contre, l’horizon est brumeux et la vue ne s’étend pas aussi loin depuis ce chemin en balcon ; le Pilat se noie déjà dans les vapeurs et rien ne se devine des Alpes, à l’est. Les horizons se restreignent aux monts du Lyonnais, au petit Rhône.

Peut-être à cause de la fraîcheur matinale, je ne retrouve pas, au premier point, la Huppe qui était la bonne surprise du premier passage. Il faut se contenter de plus sempiternels Rossignols. Pourquoi diable le Rossignol philomèle, répandu et bavard, a-t-il l’image d’une espèce nocturne et de surcroît en voie de disparition ? Il chante dès avant l’aube, et pendant toute la matinée. Il n’y a guère qu’aux heures les plus chaudes qu’il daigne la mettre en sourdine, comme la plupart des passereaux, du reste. Quant à l’entendre de nuit, cela arrive, c’est vrai, mais c’est somme toute assez rare. En outre, de fin avril à fin juin, on ne peut faire un pas dans la campagne sans l’entendre dans le moindre buisson, la plus humble lisière de boqueteau ! On le retrouve dans les friches et les parcs parfois jusqu’en pleine ville. Très éclectique, faisant son miel des prairies abandonnées qui s’embroussaillent, des landes qui se referment, c’est même plutôt une espèce en augmentation, qui en remplace d’autres plus exigeantes et plus rares, autrement dit : un signe de banalisation des milieux. Il est si courant et son chant si puissant qu’il exaspère l’ornithologue qui, sur son point d’écoute, aimerait bien arriver à entendre autre chose ! Non, vraiment, cette ritournelle « des rossignols, on n’en entend plus » est pour moi un mystère. En tout cas, c’est le moment de vous rattraper : le premier chemin rural qui longe une haie fera l’affaire.

 Point 5. Je contemple ce paysage, ce champ de blé. Il y a des bleuets et des coquelicots, au moins sur les dix premiers pas. C’est une des rares bonnes nouvelles. On voit davantage de bleuets sur le bord des champs de blé qu’il y a vingt ans.

Mais je ne peux pas oublier que ces haies sont trop vides, ces champs trop silencieux, qu’il manque des hirondelles dans le ciel et qu’au loin, derrière le rideau d’arbres, gronde l’agitation de la grande ville.

L’écologie, celle qui se pratique ainsi, sur le terrain, c’est, disait un jour une amie à qui je faisais remarquer la présence d’un oiseau, d’une libellule, « une autre réalité, dont on n’avait pas conscience ». Le revers, c’est une triste lucidité sur ce qu’il advient de cette autre réalité. Voilà ce que c’est que de faire de l’écologie : on ne peut plus regarder un paysage de campagne, un bois, un champ, une ferme, un pré, sans deviner les poisons à l’œuvre dans l’eau et dans le sol, remarquer les niches écologiques rabotées, le ruisseau recalibré, le vieux mur cimenté. On ne peut plus s’émerveiller des splendeurs de la Nature sans avoir en tête leur disparition.

Et quelle disparition ! J’en ai assez cité, des chiffres. D’année en année, ils s’aggravent. Les chutes de moins trente, moins cinquante, moins quatre-vingt pour cent, désormais, ce n’est plus en cinquante ou cent ans mais en dix ou quinze.

Il nous faut redouter d’être vraiment entrés dans le grand effondrement, celui dont nulle technologie miraculeuse ne nous sauvera. Notre foi aveugle dans l’Innovation qui ferait soudain surgir la nourriture du néant, sans apports, sans énergie, devient aussi aveugle, aussi irrationnelle que celle des Allemands dans les armes miracles du Führer au printemps 45.

Ceci n’est pas un point Godwin.

Faire de l’écologie, c’est être là à constater que tout ce qu’on aime, tout ce qu’on trouve fabuleusement beau, tout ce qui nous enchante, nous nourrit, nous détend, nous aère, nous réjouit le cœur est en train de disparaître sous nos yeux, à une vitesse telle que nous connaîtrons peut-être la toute fin dans notre propre vie.

On ne peut pas cesser d’y penser. On ne peut pas vivre les yeux fermés, les oreilles bouchées. On en vient à envier ceux qui ne se posent pas de questions, à vouloir tout lâcher comme on change de hobby, pour d’autres qui ne courent pas ce risque. Ah, si j’aimais tout simplement me pâmer aux dribbles d’un Cronaldo sous les ors télévisuels, je ne craindrais rien du monde qui vient !… Mais voilà, ils sont un mythe, les « gens qui vivent sans se poser de questions ». Une douce légende à l’usage de ceux qui souffrent de trop s’en poser et qui fantasment une humanité « normale » plus sereine. Personne, ici-bas, ne vit sa vie béat, et surtout pas en notre époque incertaine. L’eau des temps est boueuse, personne n’y voit rien, et rien n’est joué.

Personne ne vit autrement que perclus de questions. Jamais.

Evidemment, le ton de celles-ci peut varier. Mais l’inquiétude du comment vivre demain – et dans quel monde va-t-on vivre demain – demeure. Cent fois millénaire.

L’écologie, a fortiori intégrale, est pire, de ce point de vue. Elle questionne tout, passe tout au crible. Dans le décor, et dans le quotidien aussi, bien sûr. Cet acte, ce choix vont-ils détruire ou protéger ce que je trouve de beau, de fragile et d’image de Dieu dans ce monde ? La réponse est parfois simple, et rude. Plus souvent encore, elle est si complexe, si enchevêtrée que le bon choix semble hors d’atteinte. On progresse à tout petits pas sur un sentier abrupt, aux lacets serrés. On dérape, et souvent, on ne sait même pas si l’on a posé le pied dans le bon sens.

Tout n’est pas encore perdu, cependant. Près de l’étang, je retrouve un Bihoreau. Des années que je ne l’avais pas vu ici. C’est un drôle de petit héron trapu, amateur de bois humides. Menacé, car beaucoup plus exigeant que le Héron cendré, ou les « hérons blancs » – Aigrettes et Gardeboeufs, qui sont plutôt en expansion. Crépusculaire, il pousse des cris étranglés, fantomatiques, en glissant sous la lune : son nom scientifique est Nycticorax nycticorax, ce qui signifie à peu près « corbeau de nuit ».

Et puis deux Locustelles. Ça ne ressemble à rien, une locustelle ; c’est un petit passereau insectivore, terne, le dos écailleux, qui se campe dans une prairie humide ou sèche et y pousse, en fait de chant, une interminable stridulation. On croirait un criquet ou un grillon, d’où son nom. Ces oiseaux ne nicheront pas. Ils ne sont là qu’en halte. J’ai vu aussi une Pie-grièche écorcheur, et ça, c’est plus intéressant. « L’Ecorcheur », c’est le petit bijou beige, noir et roux qui se tient sur un buisson d’épines, en bordure d’une prairie, veillant sur le nid où la femelle couve, invisible, et part soudain aux trousses d’un gros insecte avant de revenir à son poste. C’est la preuve que les chaînes alimentaires ne sont pas trop rompues, les buissons pas tous rabotés. Vous la verrez facilement en Auvergne, et même dans le Rhône vert, pour peu qu’il y ait de vieilles prairies et des fourrés d’épines. Ailleurs, c’est plus compliqué, car les milieux ont disparu, naturellement. D’ailleurs, ici, je n’en vois qu’une, et c’est la première fois. Cela ne devrait pas être.

Pie-grièche écorcheur 5 CF

Pie-grièche écorcheur mâle

C’est un signe, tout de même. C’est si rare, une prospection meilleure qu’attendu, une espèce qu’on n’espérait pas, et qui a même des chances de nicher. Je prendrai ce signe pour ce qu’il est. Que tout n’est peut-être pas perdu. Que ça vaut la peine de continuer.

Chassagny mai 2016P2

Chronique de terrain n°14 – Le (petit) duc de Saint Jodard

La semaine dernière, la pluie m’a empêché de travailler. Sur le terrain, je veux dire. Elle sabote mon investissement productif et cherche à me démoraliser. J’envisage le recours à un texte de loi, voire au 49.3 car il est intolérable qu’avec les impôts qu’on paie et à l’heure de l’innovation et du numérique, le tonneau du ciel se mette en perce de la sorte pour contrarier la productivité des honnêtes gens.

Mercredi dernier, j’ai tenté un STOC. Un point – il fait gris, dites donc. Un second, ça s’assombrit… À trois, les premières gouttes, et les points quatre et cinq (sur dix) se sont déroulés sous l’abadée d’eau, la radée, sur un merle transi, ô le chant de la pluie. Ne restait qu’à jeter l’éponge (certes) et rentrer au sec.

Si d’aventure vous découvriez aujourd’hui ce blog, et vous étonniez de voir ce soi-disant mec de terrain en sucre rentrer dans sa boîte aux premières gouttes, n’en faites rien. Ce n’est pas moi le problème, mais les oiseaux : sous la pluie (ou par grand vent), ils sont à la fois moins actifs et moins détectables. Une prospection réalisée dans de telles conditions raterait donc l’essentiel (par exemple, ce jour-là au point cinq, je n’avais que trois espèces au lieu de la dizaine envisageable) et ne serait absolument pas comparable aux autres, réalisées par temps sec et calme. Ce qui ôterait toute validité scientifique à l’affaire.

Qu’à cela ne tienne ; je vais, au lieu de cela, vous partager une autre petite histoire de terrain. Une histoire de hiboux et de Saint Sacrement.

Le week-end précédent, nous avions trouvé refuge, avec quelques amis, dans un prieuré de la région. Le paysage alentour est aimablement rural, dominé par la prairie permanente et l’élevage bovin. De grosses fermes parsèment le plateau entaillé par la Loire. A l’ouest, la lourde échine du Haut-Forez barre l’horizon ; à l’est, les monts de Tarare, dits ici les montagnes du Matin, étirent leurs plus modestes ondulations, le point culminant de chacun des massifs se signalant par une antenne qui a le mérite d’offrir un point de repère. On peut espérer ici des milieux plutôt préservés, bien que les haies se soient raréfiées. Comme partout, on a subventionné leur arrachage, puis leur replantation, qui n’a guère eu lieu. La haie, c’était vieillot et pénible à entretenir ! Mais les vaches sont restées, et leur besoin d’abri, de feuilles plus goûtues aussi… Il subsiste donc un squelette de bocage.

Les bourgs somnolent. Il y a beau temps que le tissage à domicile a disparu. Les commerces ont trop souvent fermé. Reste ici le prieuré.

Naturellement, bien que n’étant pas au travail ni même dans mon département, j’ai chaussé les jumelles et emprunté une à une les petites routes qui rayonnent dans la campagne. Enfin, prospecter ! Un terroir inconnu (de ma pomme !), rural, herbager. A l’aventure !

Bien sûr, il y avait ce fichu vent. Mais est-ce lui seul qui explique l’absence de Fauvettes grisettes, de Tariers pâtres et de Pies-grièches écorcheurs ? Peut-être, mais en-dehors de mes propres prospections, la base locale manque réellement de données sur ces espèces du bocage dans le coin. Il est vrai que ce sud Roannais souffre d’un certain déficit de prospection.

En tout cas, hormis merles, rossignols, Fauvettes à tête noire et fringilles des jardins (Verdiers, Serins cinis, Chardonnerets…) et le ballet de Milans noirs au-dessus des gorges, la liste est bien modeste.

Je repère tout de même des jeunes Faucons crécerelles tout près de l’envol à la lucarne d’une grange. Plus loin, c’est un adulte qui jaillit d’un peuplier et monte alarmer un Circaète de passage qui plane haut dans le ciel. Pour tout dire, il est invisible à l’œil nu et je ne l’aurais pas repéré si le Crécerelle ne m’y avait pas mené.

Quatre Hirondelles rustiques virevoltent autour d’une vieille dépendance agricole et finissent par s’y engouffrer : à n’en douter pas, les nids sont là. Voici quelques Bruants zizis, le chant à peine perceptible d’une Huppe, une Alouette lulu. C’est maigre pour le cortège du bocage et pour celui des espèces des milieux bien ensoleillés : le défilé des thermophiles est resté bien spartiate !
Dans le bourg, une douzaine d’Hirondelles de fenêtre en sont encore au tout début de la construction des nids. Les passages pluvieux d’avril ont dû retarder leur installation. Je vois peu d’anciens nids, en revanche ; les locaux auraient-ils la mauvaise (et illégale) idée de les détruire ?

Alouette lulu

Alouette lulu

Le soir tombe. A la nuit noire, je sors dans la cour du prieuré dans l’espoir d’entendre un Rapace nocturne quelconque. A peine la porte ouverte j’entends un son étrange, régulier, droit devant moi dans l’un des deux gigantesques séquoias : « Tiou… tiou… tiou… tiou… »

Pas de doute, un Hibou petit-duc chante, là, juste devant moi.

C’est une bête étrange que le Petit-duc scops (son nom officiel). D’abord, il est à peine plus gros qu’un étourneau. Ensuite, contrairement à ses nobles confrères, il se nourrit presque exclusivement d’insectes, principalement des grandes sauterelles, espèces volontiers nocturnes. Il s’ensuit que le Petit-duc est intégralement migrateur : impossible de survivre en hiver sous nos latitudes avec un régime comme le sien. Avant la fin de l’été, il reprend donc la direction de l’Afrique subsaharienne, et ne nous revient qu’en mars ou avril.

Assez commun dans le Midi et un grand quart sud-ouest, rare ailleurs, ici dans la Loire, il n’était pas connu si loin au nord : cette découverte complètement fortuite est d’importance !
Je commence par m’escrimer vainement à tâcher de le voir. Je finis par y parvenir. Disons l’apercevoir. Il s’envole. Rejoint un vieux mûrier creux qui lui offre peut-être bien le gîte. Un second chanteur lui répond alors : ce n’est pas un oiseau isolé, mais au moins deux mâles cantonnés !
C’est la première fois que j’ai l’occasion de voir cette espèce. C’était donc ce qu’en langage ornitho, on appelle une coche. Toutes mes autres rencontres avec elle s’étaient bornées au contact auditif. Et pour tout dire, en réalité, il m’a fallu trois jours, enfin trois soirs pour réussir. Ça vous fait rire ?
Et bien essayez.

Cette traque un peu égoïste, et l’aspect purement scientifique aussi, m’ont fait perdre de vue le principal. Enfin, l’autre moitié du principal. Il aura fallu le troisième soir pour cela. L’après-midi, passé Vêpres, nous avions pris un temps d’adoration. D’ordinaire, je ne suis pas très versé dans la chose, mais cette fois-ci, cela ne m’a pas laissé indifférent, ce temps entre Ciel et terre où Dieu est présent, là devant nous, dans un disque de couleur crème. Sans bruit, sans tapage, simplement là.

Le soir, lorsqu’enfin j’ai pu faire taire l’excitation de la traque et de la coche enfin faite, il est resté l’essentiel. Le Petit-duc qui continuait à égrener ses perles, là-bas. Les deux Chouettes effraies qui comme chaque soir, sont venues, fantomatiques, survoler la cour, parfois chuinter un coup vers le chanteur avant de repartir en silence vers les prés qui entourent le petit bourg. Le ciel, Jupiter scintillant au zénith.
Contemplation d’un monde vivant.

Effraie, Petit-duc, tout cela – pour une fois ! – c’est bon signe. C’est le paysage encore suffisamment protégé, le milieu assez riche, presque indemne de poisons. Le sachant, observer ces espèces, c’est comprendre cette chance, rare, fragile.

Il m’est venu en tête l’image d’une grande hostie rompue en deux moitiés, l’une du Ciel et l’autre, celle de la terre, faite ce soir de la présence de ces quelques Rapaces nocturnes. Complétude.

« Dieu vit tout ce qu’il avait fait : c’était très bon. »

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Mémoires bleu horizon (2)

Résumé de l’épisode précédent: appelé sous les drapeaux en octobre 1912, le soldat Amédée C. appartient donc toujours à l’armée d’active lorsque survient la mobilisation. En août 1914, il combat en Alsace et dans les Vosges où il est blessé le 1er septembre. Renvoyé au front sur la Somme en mars 1915, il est de nouveau évacué pour maladie un mois plus tard. Le 30 septembre, il retrouve une troisième fois les tranchées.

« Passé au 158e Régiment d’Infanterie le 30 septembre 1915 ». Cette ligne expédiait Amédée C. en Artois.
Il n’y a guère que deux possibilités de lire le mot « Artois » de nos jours. D’abord pour évoquer un match du Racing Club de Lens. Ensuite pour l’accoler au chiffre 1915.
Mil neuf cent quinze, l’année terrible, l’année vaine. Aux yeux des hommes, partis pour deux mois, il y a longtemps, si longtemps que la guerre dure. A nos yeux, il reste longtemps, si longtemps avant qu’elle ne s’achève. 1915 est surtout l’année des offensives manquées. Du sanglant apprentissage du front fortifié, inviolable. L’Artois : tranchées sommaires, barbelés, escalades mortelles de buttes transformées en citadelles de boue. Squelettes torturés des machineries de mine. Au-dessus du monde noir des galeries et des fosses, le monde terreux des tranchées et des boyaux.

Souchez se trouve là. On y est encadré de collines, de ces crêtes allongées qui commandent la plaine, qui empêchent de déferler sur le bassin minier de Lens et de Douai. Au printemps, la première colline, celle de Lorette, a été prise. On a dévalé la pente et emporté, pied à pied, pierre à pierre, le village, transformé par les Allemands en cuvette inondée, hérissée de mitrailleuses. Maison après maison, rue après rue, mort après mort.

Fin septembre 1915 arrive. Depuis le mois de juin, le front n’a pas progressé de plus d’un kilomètre. Les Français sont maîtres des défenses du village en ruine, ils ne sont pas très loin de déboucher dans les faubourgs miniers, mais depuis les buttes à l’Est, les Allemands les tiennent sous leur feu.
Le front est empêtré dans les mêmes tranchées, les mêmes bois ; les mêmes points reviennent inlassablement au Journal de marche et d’opérations qui tient la scrupuleuse comptabilité du massacre.
Le régiment reçoit deux renforts, le 30 septembre et le 3 octobre. Amédée C. était l’un de ces hommes. Il rejoint le régiment de son frère, de mon arrière-grand-père. Pas pour longtemps: ce dernier sera transféré une semaine plus tard vers un autre régiment.

Il est jeté dans une guerre de fourmis. C’en est fini de la percée. Sur la carte brunie, la guerre a renommé l’espace, elle l’a annexé, conquis, mangé. Il n’y a plus de route, rien que le « boyau de la route d’Arras ». Depuis le Bois 5, le Bois 6, le Bois des Boches, il mène à la Tranchée des Fils de fer et au Bois en Hache. Le PC du bataillon sera en M12. Une compagnie en K28-K22, une mitrailleuse en K18. Un semis de points, dans une incohérence à peu près totale ; des points distants de quelques mètres, à la mesure de cette guerre.

Carte de tranchées du secteur au nord de Souchez, automne 1915

Carte de tranchées du secteur au nord de Souchez, automne 1915

Sur une carte moderne, le bout de front que tient le régiment d’Amédée, le 158e Régiment d’Infanterie, va du Bois Soil, entre Angres et Souchez, au nord du village. Les bataillons en réserve se tiennent plus à l’ouest, dans les tranchées des combats du printemps.

Depuis Verdrel, le cantonnement, on se rapproche du front, par étapes. On passe une nuit à la Tranchée des Saules. On finit par rejoindre, en colonne par un, dans les boyaux taillés dans la boue, la Tranchée des Fils de Fer ou bien l’ouest du Bois en Hache. Car l’est appartient à l’ennemi. De là, on est dominé par les collines, Lorette que l’on a prise, Vimy qui ne l’a pas été, et la cote 109 qu’il va bien falloir prendre. Parce que de là, les Allemands dirigent le tir de leurs batteries sur nos lignes.

Amédée est là, en première ligne, avec sa 4e Compagnie, pour la première fois avec son nouveau régiment.. Des hommes qui, au printemps, ont enlevé l’éperon de Lorette. Qui, depuis des mois, sont rivés à ce pays de cauchemar, dans le manège infernal des relèves, on s’en va, on s’en retourne au front. Qui savent ce qu’a coûté chaque pas vers le sud-est et devinent ce que coûtera la prise d’un bois, d’une pente. Dans le bois ravagé, dans la grande tranchée, la nuit est longue : l’ennemi est là, tout proche. Parfois, il attaque. Il a attaqué, le 7 octobre, et le 2e bataillon l’a repoussé. Les Allemands ont surgi de l’obscurité, on s’est fusillé, on s’est grenadé avec sauvagerie dans la nuit. « L’attaque a été victorieusement repoussée. ». Quelques morts, quelques blessés, quelques disparus, une médaille. Des vies déchirées, des familles sous le choc. La lisière du Bois en Hache est toujours entre nos mains.
Parfois, ce sont les Français qui attaquent. On a avancé de cinquante mètres, trouvé ici une tranchée détruite, seulement occupée par quelques cadavres. Là, fait des prisonniers. Le front a progressé jusqu’au point M8. De là, ordre de fouir des sapes vers K23, avec une tête en T, sur vingt-cinq mètres. Et des hommes creusent dans la boue un demi-boyau où l’on peut se tenir couché, avec la tête en T réglementaire. Ils jettent, devant le tout, des étoiles barbelées. Le front a progressé.
De vingt-cinq pas.

Les Allemands dominent la position. Ils ne se privent pas de la pilonner. On signale au PC de régiment. On vérifie le téléphone. On s’enquiert d’une possible attaque au bruit d’une fusillade dans le secteur voisin. On envoie des patrouilles vérifier si le point O16 est toujours tenu. Mais il circule tant de versions, recopiées à la diable, de ces cartes de tranchées que beaucoup sont incomplètes. En l’occurrence, le plan du chef de patrouille ne porte pas de point appelé O16. Alors on rampe jusqu’au PC des voisins et on fait signer un papier, sous la mitraille. Réglementaire. Cet épisode bellico-paperassier qui serait comique s’il n’était tragique est relaté d’une petite écriture précise dans le journal de marche et d’opérations du régiment.
A présent, les artilleries se répondent, car si les Allemands ont la cote 109, les Français ont Lorette et l’on se voit. Entre les deux, la cuvette, le lac de boue est arrosé, martelé, haché, écrasé.

Photo aérienne du même secteur, même époque. On reconnaît en bas à droite la forme du bois en Hache.

Photo aérienne du même secteur, même époque. On reconnaît en bas à droite la forme du bois en Hache.

Le 14 octobre 1917, Amédée est toujours en première ligne. Il sera relevé dans vingt-quatre heures. Est-il au Bois en Hache ? ou bien dans la « nouvelle tranchée M8-K22 » ?
Le journal ne signale rien de précis. Rien qui explique pourquoi, ce jour, le régiment a 14 tués, 47 blessés, 5 disparus.
Parmi ces 47 blessés, il y a Amédée. En toutes petites lettres maladroites griffonnées sur sa fiche matricule on m’indique qu’il a été, ce jour-là « blessé par E.O.[éclats d’obus] multiples, ventre, bras droit et aine, à Souchez (Pd.C.) »
Amédée est vivant. Tout juste. On le porte loin du front, loin de son pays aussi. On l’évacue à Saint Valery en Caux. Il a sans doute cru que pour lui, la guerre était terminée.

Aujourd’hui, à Souchez, au point K22, vous verrez une belle villa. La cote 109 n’existe plus : l’autoroute y passe et son remblai porte le tout à 125 mètres.
Quelques chemins ont un profil curieux, parce que ce sont des tranchées.

Pour Amédée, la guerre n’est pas terminée. Le 8 novembre 1916, après quatre ans sous les drapeaux, et quatorze mois consécutifs d’hôpitaux et de convalescence, la commission spéciale de réforme du Rhône trouve qu’on pourra toujours en faire un artilleur. Il est affecté au 114e, puis au 314e régiment d’artillerie lourde hippomobile, équipés de canons de 155 courts. Les journaux des unités d’artillerie étant ce qu’ils sont, je ne sais rien de son activité, sinon qu’à l’été 17, il fait l’objet d’une citation, d’ailleurs très générale et n’évoquant que ses blessures antérieures. Elle lui vaut au moins la croix de guerre avec étoile de bronze.
La fin de la guerre s’approche. Amédée obtient même une dernière permission en septembre. Mais cinq jours après son retour au front, il est évacué à l’hôpital de Luxeuil. Il y meurt six jours plus tard. Ce sont les archives du service de santé des armées de Limoges, cette fois-ci, qui m’ont communiqué un document attestant qu’Amédée, soldat de 2e classe à la 5e batterie du 314e régiment d’artillerie lourde, était décédé le 15 octobre 1918 d’une bronchopneumonie grippale, autrement dit de la grippe espagnole. C’était le jour de ses vingt-sept ans. Il était sous les drapeaux depuis six ans et six jours. Sans doute les séquelles de ses blessures de Souchez, assez graves pour avoir empêché son retour dans l’infanterie, n’étaient-elles pas innocentes là-dedans.
Cette maladie était classée « imputable » (au service). Amédée est très officiellement mort pour la France. Il repose en terre bourbonnaise.

Plus heureux, mon arrière-grand-père a survécu. Il a été capturé en juin 1916, près de Douaumont, dans une « affaire » où les deux tiers de son régiment se volatilisèrent en une nuit. Et nous, nous sommes là.

Mémoires bleu horizon (1)

La semaine dernière a brui d’une polémique autour du « concert festif » qui devait clore les commémorations du centenaire de Verdun; comme s’il fallait absolument que tout fût festif ici-bas et comme si seule la mégateuf intéressait la jeunesse. J’ai commis cette bafouille-ci sur le sujet, sur le site des Cahiers libres.

A l’intérieur, il est question des moyens qui existent désormais pour faire revivre la mémoire familiale de Quatorze, même quand on n’en a presque rien hérité.
Voici un exemple: le parcours d’un mien arrière-grand-oncle. Peut-être cela vous donnera-t-il quelques idées.

Il s’appelait Amédée.
C’était « le frère du grand-père », il était du Bourbonnais, et il était mort à la guerr’d’quatorze.
Voilà où j’en étais, avant d’entamer des recherches. D’Amédée C., le frère du père de ma grand-mère maternelle (voilà, entre tous les grands-pères qui sont tous LE grand-père, c’est celui-ci) je ne savais rien de plus. Pas de livret. Pas de carnets. Sauf coup de théâtre, il ne reste même pas une photo de lui. Et ne parlons pas des souvenirs. En Allier, on n’a pas la mémoire courte ; mais elle ne s’ouvre jamais toute entière ; comme un secrétaire d’autrefois, un tour de clé ne donne jamais accès qu’à un minuscule tiroir parmi cent autres.
Dans le tiroir d’Amédée, j’ai trouvé beaucoup de poussière. Alors il a fallu chercher ailleurs.
Notre époque est formidable, y’a tout sur Internet. Il suffisait de mettre en oeuvre une méthodologie éprouvée. Pour tout savoir (ou presque) d’un ancêtre tué en quatorze, le site Mémoire des hommes vous donne son acte de décès : une photographie noir et blanc d’une page de cahier où, sous le nom de l’aïeul, suivent, cra-cra, la transcription approximative d’un toponyme, un numéro de régiment et la réponse à la funeste question : « Genre de mort ». Il y a huit ans, à l’époque de mes recherches, on n’avait pas encore accès à la numérisation des journaux des unités, qui se trouve ici et qui permet de savoir, jour après jour, où se trouvait le régiment, ce qu’il faisait, et combien d’obus il encaissait.
Une palanquée d’autres sites délivre les sacro-saints, mais bien nommés, « historiques succints » des régiments, ou bien citent le « communiqué » ; on élabore déjà une légende familiale autour de ces maigres renseignements, de l’aïeul tombé à Verdun ou au Chemin des Dames. Et tout est bien.
Avec Amédée, c’est raté. Il s’en est allé de maladie, servant dans l’artillerie lourde. Mort à l’hôpital de Luxeuil, à quinze jours de l’armistice.
Mais, voyez-vous, je n’avais que lui sous la main. Et puis, je ne me décidais pas à le laisser dans l’oubli, cet arrière-grand-oncle. Ce n’était pas juste. Alors j’ai franchi l’étape qui m’a fait basculer à jamais du côté des fouineurs d’archives, des pionniers modernes des tranchées, de ceux qui habillent leur temps libre de rouge garance ou de bleu horizon. J’ai demandé aux Archives municipales sa fiche de registre matriculaire.
En Allier, on fait bien les choses. Un simple mail, et voilà qu’arrive une grande photocopie d’un document… enfin, d’un dramatique pêle-mêle de pattes de mouche tracés par des ronds-de-cuir à l’application diverse. On déverse vite sur la toile ce flot d’informations ; on appelle à l’aide la communauté de tous ceux qui, eux aussi, fouissent des boyaux en des archives et qui parfois, recoupent ainsi votre chemin. Cette société est prompte à l’entraide. En peu de jours, je me suis trouvé à la tête d’une solide liasse de documents. Aujourd’hui, c’est beaucoup plus simple: on décrypte les numéros des régiments successifs de l’ancêtre et on plonge dans le JMO (Journal de Marche et d’Opérations) de la période correspondante. On sait presque tout.
Et lentement, venu de bien loin, encore flou à travers le brouillard des déductions, des approximations, reparaît le soldat Amédée C., numéro matricule mille quatre cent quatre vingt neuf au recrutement.

Il n’a pas eu de chance, le soldat C.
Il est entré sous les drapeaux en octobre 1912, parce que c’était son tour.
Il n’en est ressorti que mort, six ans et six jours plus tard, et le jour de ses vingt-sept ans, ayant vécu quatre ans de guerre : trois mois d’infanterie, deux ans d’artillerie, et tout le reste d’hôpitaux.
Le voici en août 1914. La guerre l’emmène au front, avec son 133e régiment, lui le conscrit. Le soleil est radieux. Il inonde, il fait éclater le bleu de France, le rouge garance, les cuirs brillants, l’acier du Lebel, à l’unisson des fanfares, des marches et des cris. Il devait avoir le coeur gonflé d’orgueil, le cultivateur de Voussac, natif de Bezenet, canton de Montmarault, département de l’Allier : son régiment passe les Vosges, franchit la frontière honnie ; il part en Alsace ! On marche sur Mulhouse !
Amédée C. est de ces hommes qui ont libéré Thann. Je le devine ivre de victoire, de toutes les illusions, de toutes les folies d’août Quatorze. L’armée est battue en Belgique, en Lorraine ; elle recule à Charleroi, sur Nancy ; mais lui n’en sait rien, et on marche sur Mulhouse.
On est rappelé, soudain, sur Gérardmer. L’Alsace est abandonnée à son sort : les Allemands déferlent à leur tour sur les Vosges ! Ils forcent les cols, entrent dans Saint-Dié en flammes. On marche, on gravit les pentes ; de curieux randonneurs aux trop lourds sacs, et dont la canne sert à faire feu, arpentent les chemins, recherchent le couvert des sapins. N’ont sans doute qu’un oeil distrait pour les crêtes bleutées, les lacs scintillants, le soleil sous les hêtres. Dans ce décor de rêve, on s’éventre. Aux clairières, en fait de pique-niqueurs, une batterie de 77. Le 133e tient ferme le Col des Journaux, entre Fraize et la Croix aux Mines. C’est là qu’Amédée est blessé, « le 1er septembre 1914 au combat du Col des journeaux (sic), plaie par balle au talon ». Et je le vois couché, vidant son Lebel, quand tout à coup les balles sifflent par-derrière et de côté : l’ennemi avance, l’ennemi nous tourne – et soudain, la douleur.
L’Historique du 133e surabonde en hauts faits d’armes. Ça lui fait une belle jambe, à Amédée : sa « plaie par balle au talon » est suffisamment grave pour qu’on l’évacue aussi loin que Le Puy.
Six mois vont passer.

Le temps que la guerre change de visage. Le temps qu’elle s’enfonce dans la boue, s’écartèle sur les rouleaux de barbelés, se noie sous les obus, suffoque sous les gaz. Le temps qu’elle devienne, pour l’éternité, la guerre de tranchées.
Lorsqu’Amédée revient, en mars 1915, on l’expédie au 30e régiment, dans les mornes étendues de Picardie. Des crêtes des Vosges, il est précipité dans la guerre des mines. On pousse un boyau souterrain sous la ligne ennemie ; on bourre d’explosif ; on s’éloigne vite, et une grande portion de tranchée vole en l’air. A l’occasion, on avance pour « occuper la lèvre de l’entonnoir ». A condition, naturellement, que l’ennemi n’ait pas poussé son boyau plus vite, bourré sa mine plus tôt, et ne vous ait pas transformé vous-même en fumée et en poussière.
À part ça, rien. Ça le rend tellement malade, Amédée, le libérateur de Thann, qu’il en est évacué, au bout d’un mois.
Cette fois, les impénétrables voies militaires l’expédient à Saint-Malo. Il n’avait sans doute jamais tant voyagé, le cultivateur de Voussac, ni peut-être vu la mer. Puis, comme on ne regarde décidément pas à la dépense de chemin de fer, on l’envoie achever sa convalescence au pied des Alpes, à Rumilly. Prenez une carte : il quadrille le territoire, le soldat Amédée.
La guerre, elle, ne bouge pas ; mais ça ne l’empêche pas d’étendre un long bras tout raide de boue et de le réempoigner.
Nous sommes le 30 septembre 1915 et Amédée est affecté au 158e Régiment d’Infanterie. Ce régiment s’est « magnifiquement distingué lors de la prise du Grand Eperon de Lorette », au mois de mai. Depuis cette date, il a avancé… oh ! de bien neuf cents mètres vers le nord-est. Il a pris le village ruiné et fortifié de Souchez, ou plutôt le vague tas de gravats qui porte encore ce nom, au pied de la colline. Au pied de celle qui a été prise et de la suivante, celle qu’il faut prendre. Après, derrière la cote 109, derrière la butte de Vimy, il y a toute la plaine de l’Artois : Lens, Loos, Liévin, Douai. Tout ce pays minier que les Allemands ont pris et que Joffre voudrait leur reprendre. Cela ne pouvait que mal finir, cette histoire.
Le 1er octobre 1915, le 158e est en réserve à quelques kilomètres du front. Ça ne pouvait pas durer. Le 3 octobre, on annonce qu’il remonte en ligne. « Chaque homme sera muni de grenades, d’étoiles barbelées et d’un sac à terre… Reçu en renfort 48 hommes du dépôt… Reçu en renfort 101 hommes du dépôt ».
Parmi ces hommes, il y avait Amédée, qui commençait sa troisième guerre. La métamorphose est achevée. Le soleil a perdu, la boue a gagné, elle a englouti le trop visible rouge garance, du pantalon et du képi. Cette fois-ci, il porte le casque d’acier et la vilaine tenue bleu horizon.
Il monte en ligne en Artois, là où tout indique que ça ne peut que mal finir.

(à suivre)

Chronique d’une saison de terrain – 13 Le comment et le pourquoi

A partir de mai, les matinées de terrain s’enchaînent sans cesse, à moins que la météo ne vienne contraindre à la pause. C’est une phase curieuse, où l’accumulation ramène des questionnements que le tourbillon d’activité ne sait plus masquer.

Village de Schrödinger

Un STOC de plus, dans les monts de Tarare. A une cinquantaine de kilomètres de Lyon, tapi au fond de la vallée, s’étend le petit bourg de Saint-Clément…
Un Saint-Clément de Schrödinger ! Est-il dessus ou dessous ?
Le panneau d’entrée est sans équivoque : Saint-Clément-sous-Valsonne. En revanche, sur toutes les cartes IGN, la nomenclature officielle, on lit : « sur ». Quant aux cartes postales anciennes, elles alternent sur, sous, et même « de ». La mairie, sollicitée, l’affirme : c’est « sous » !
Pourtant, sur le terrain, l’affaire est claire. Saint-Clément est en-dessous, en contrebas de Valsonne, perché sur son éperon un peu plus haut sur la route du col du Pilon. Personne n’aurait jamais dû avoir l’idée bizarre de parler de Saint-Clément-sur-Valsonne pour le village situé en contrebas de Valsonne, dans la vallée du Soanan.

Quelle coquille, quelle intervention technocratique a valu à ce bourg de voir ainsi son nom écorché ? Pourquoi Saint-Clément se retrouve-t-il sens-dessus-dessous-Valsonne ? Contacté, le merle du coin n’a pas souhaité faire de commentaire.

Le carré, lui, s’étend sur les hauteurs, de part et d’autre de cette fameuse vallée, dans laquelle il se contente de semer deux ou trois points. De là-haut, la vue s’étend sur un paysage de hauteurs couronnées de résineux. Fermes, prairies et champs s’accrochent à mi-pente. C’est un carré si familier que j’en ai déjà parlé sur ce blog. De plus, il y a du vent. Il est donc improbable que j’y fasse de prodigieuses découvertes. De toute façon, je ne suis pas là pour ça : vous le savez maintenant bien, le STOC-EPS n’a pas d’autre rôle que d’élaborer, à partir du suivi de centaines de carrés tels que celui-ci, un indice d’abondance des quelque deux cents espèces les plus communes du pays. Le protocole, avec ses points de cinq minutes, est trop léger pour débusquer les raretés ; ce n’est pas son rôle.

Voici l’habituel Pipit des arbres, chanteur des lisières, revenu d’Afrique une fois encore. L’Alouette lulu, cette alouette qui aime moins les champs que les landes et les haies ; et le Tarier pâtre en habit rouge qui craque et siffle son inquiétude. Le nid est proche, à n’en pas douter. Avec quelques grives et pouillots, un Coucou, qui chantent dans les bois, et des Fauvettes grisettes çà et là dans les haies, ils brossent le tableau sonore qui répond à ce paysage varié, montueux, semi-ouvert.
Voilà les habitués. Et c’est tout.

Ce qui ne manque pas d’engendrer une certaine frustration lorsqu’on devine qu’en fouillant un peu plus, ou en s’écartant un brin du point en direction de cette lande à genêts, là-bas, on pourrait trouver « une craquenille un peu sympa ». Mais la science avant tout, il faut d’abord que les données soient comparables d’un carré à l’autre et d’une année à l’autre ; c’est assez de l’effet observateur, qui, déjà, peut faire varier considérablement les résultats sur un même carré.

En coulisses: l’effet observateur

Car il y a un effet observateur. Placez deux ornithologues, un beau matin, dans un même milieu, demandez-leur d’appliquer, sans échanger entre eux, exactement le même protocole, et vous verrez des différences. Modérées, surtout quantitatives, mais réelles. Et ceci, sans qu’on puisse le corréler à une affaire de « compétence ». C’est une tambouille mystère que l’effet observateur. Les qualités innées de l’oreille, auxquelles leur propriétaire ne peut strictement rien, y sont sans doute pour beaucoup. Pour ne rien arranger, elles varient avec l’âge, déclinant dans les aigus ; mais en contrepartie, il existe un puissant effet « expérience » ou « connaissance du carré ». J’ai beaucoup plus de chances de ne pas rater le Bruant jaune du coin, même s’il est loin et qu’on n’entend que par bribes sa petite ritournelle métallique, si je m’attends à sa présence, pour l’avoir déjà contacté ces trois dernières années.

D’où l’importance de conserver un même observateur dans la durée pour un carré donné. C’est déjà un biais de moins. Ensuite, à l’échelle d’un réseau national, ces variations individuelles finissent par se gommer. La cuisine interne du Muséum, pour tirer des données fiables, est évidemment plus complexe que ce bref aperçu, mais je n’en connais pas le détail. Il suffit de les contacter.

Il est donc peu probable que je découvre ici une espèce encore non recensée. Les changements observés sont plutôt à la baisse, comme les Moineaux friquets d’Irigny qui semblent bien avoir totalement disparu.

C’est le fastidieux, mais indispensable travail de veille. En bout de chaîne, c’est comme cela, et pas autrement, que nous saurons quoi faire, si nous ne voulons pas, demain, errer dans une immense usine à ciel ouvert, un monde mort.

Je vous entends. Il est des travaux de veille beaucoup plus fastidieux que de compter les oiseaux sur dix points de cinq minutes dans la campagne, et d’autres où l’on engage davantage sa responsabilité qu’ici, où au fond, si je racontais n’importe quoi dans mes données, personne ne s’en rendrait compte.
Sur le premier point, je n’en disconviens pas, à condition de prendre en compte l’heure de lever et les kilomètres en voiture, et aussi, comme cette chronique vous l’a montré, que c’est rarement la belle et verte campagne qui me sert de décor.

Sur le second, en revanche, c’est non !

Il est vrai qu’à la différence d’un médecin ou d’un architecte, je ne risque pas de poursuites pénales si mes relevés, mes diagnostics sont mauvais. Quand je transmets mes données, vous, la société, le Muséum, le monde (voyons grand) doit me croire sur parole. Encore que – rien ne vous empêche d’apprendre vous aussi les chants d’oiseaux, et de refaire mes carrés.

C’est une question, enfin, une accusation qui, mine de rien, revient souvent. « Vous truquez vos données pour faire apparaître une baisse qui n’existe pas. Vous inventez des espèces rares là où il y a des projets, une crise imaginaire pour justifier votre poste. » Le tout corsé de quelques amabilités pas du tout imaginaires, celles-là.

La question du pourquoi

Et c’est le genre d’attaque que l’on rumine, quand les yeux tirent un peu et qu’on revient de Saint-Clément, le STOC achevé, pour se jeter dans les bouchons de l’entrée de Lyon. Pourquoi faire tout ça ? Pour qui ? Pour ça ? Ai-je raison ?

Reprenons du début.
Pourquoi suis-je là, à l’aube, sous Valsonne à compter les oiseaux ? Pour les protéger afin qu’il y en ait encore dans un an, dans dix, dans cent ans.
Si je bâclais mes relevés ? J’aurais alors, par ma propre faute, anéanti tout ce que j’espère de mon propre travail, de mon propre engagement, et tout cela pour y gagner quoi ? Rien du tout.
Si je les faussais pour faire apparaître des déclins ou des enjeux qui n’existent pas, et me faire payer à les étudier ?
Tout d’abord, inventer des enjeux de protection où il n’y en a pas, pour faire rien qu’à embêter le gentil développement, ce ne serait pas seulement malhonnête, égocentrique et asocial : ce serait se tirer des balles dans le pied. Nous consacrerions alors de l’énergie, du temps, des forces bénévoles, des moyens… à défendre ce qui n’existe pas.
Et cette énergie, ces forces, ces moyens manqueraient au moment de protéger ce qui est réellement en danger.
Car nos moyens, même bénévoles, sont ridiculement limités.

Si nous inventions massivement une crise écologique pour justifier nos postes ?
Dites. Cela vous viendrait-il à l’idée de lancer à votre médecin que la grippe et le cancer l’arrangent bien puisqu’il en vit, et que peut-être même il les invente ?

Déjà, pour produire l’illusion d’une crise, il faudrait que nous soyons bien nombreux à fausser nos données, et en chœur, pour obtenir quelque chose de cohérent. Il faudrait mettre plusieurs milliers de personnes dans la confidence, rien qu’en France. D’autant plus qu’à l’ère des bases participatives consultables en ligne, il n’est pas question de proclamer un résultat qui ne serait pas cohérent avec le jeu de données. Cela se verrait illico.

Ensuite, c’est oublier que nos associations, nos bénévoles, sont avant tout des observateurs. Des personnes qui se baladaient dans la nature, la contemplaient et l’étudiaient.
Et c’est parce qu’ils ont vu disparaître par pans entiers ce qu’ils aimaient étudier et contempler, qu’ils ont compris les phénomènes à l’œuvre, que les associations se sont engagées dans la protection, puis dotées de petites équipes salariées.
Petites, oui. En France, nous ne devons pas être beaucoup plus nombreux que les footballeurs professionnels, et vous savez quoi ? ça paie sensiblement moins. En d’autres termes, si la biodiversité n’était pas réellement menacée, et n’avait pas réellement besoin de nos efforts, nous ferions notre miel de balades naturalistes du dimanche, et aurions un autre métier, sans doute mieux payé, et à coup sûr à moindre enjeu personnel, moindre source d’inquiétude pour l’avenir du monde.

Mais non. Le monde vivant se meurt, il faut tâcher de le panser.
Bien sûr, c’est aussi « pour nous ». C’est parce que j’aime, personnellement, m’émerveiller d’un oiseau, que je vais tâcher de le protéger. Bien sûr que non, ce n’est pas un pur sacrifice désintéressé, un glorieux martyre à coups de carnets d’obs délavés ; il ne faut pas pousser.

C’est un engagement, parmi des milliers d’autres possibles, et un métier, comme des milliers d’autres, parfois dur et d’autres pas, parfois réjouissant, souvent un peu déprimant, qu’on tente, comme des milliers d’autres, de faire honnêtement, de notre mieux, au bénéfice de tous.

Broyant ce noir, il y a déjà beau temps que me voici revenu aux portes de la ville. 39 espèces, mais pas de Huppe, pas de Bruant jaune, pas davantage de Faucons crécerelles à la lucarne où, depuis trois ans, je les voyais nicher. Je veux bien incriminer le vent, mais ça ne me plaît pas. Et puis, ces fermes sans hirondelles, ces haies sans bruants.

Est-ce la proximité de la grande ville, sa pollution, ses grands axes qui rompent les connexions écologiques ? Je ne sais pas. Mais chaque année c’est la même chose. Ce carré est un peu plus pauvre qu’attendu. Le tableau est troué. Difficile d’en dire plus avec ce protocole, mais il est troué.

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Chronique d’une saison de terrain – 12 L’oeil du merle d’eau

C’est reparti !
Pour le second passage ?
Pas tout à fait. C’est le premier de l’année sur ce carré-ci. C’est un peu tard, mais que voulez-vous : la « grande région » a longuement hésité avant de considérer que suivre l’état de la biodiversité ordinaire pût être d’intérêt général. Elle ne s’est décidée qu’à la fin du mois dernier, non sans liquider tout soutien à bien d’autres missions cruciales… Nous le paierons. Nous. Pas eux.

Pour ce STOC-ci – car c’en est un – nous allons vraiment aller à la campagne. Près de cent kilomètres au nord de Lyon. Nous voici tout au nord-ouest du département. C’est qu’il s’agit, pour un réseau de suivi des oiseaux communs vraiment précis, de ne pas se borner aux environs de la métropole. Il faut aussi aller voir ce qui se passe – ou ne se passe pas – dans les confins ruraux les plus paisibles, là où l’on espère que la biodiversité coule des jours un petit peu plus tranquilles. Et s’en assurer, justement.
Nous sommes sur le bassin-versant de la Loire. De toute façon, dans le Rhône, tout change dès qu’on franchit les grands cols. Que l’on passe, comme ici, « du côté Loire » ou qu’on reste du côté Rhône, mais dans le bassin de la Grosne, qui passe à Cluny avant de rejoindre la Saône du côté de Chalon, c’est la même chose : on ne penche plus vers Lyon et vers le Sud, mais vers le nord et l’ouest, vers la pluie et la verdure des gras pâturages.
Passé le col des Echarmeaux, donc, la route s’enfuit vers les gros bourgs qui fleurent bon le Charolais : Chauffailles, la Clayette. Sous l’épaule du mont Saint-Rigaud (mille neuf mètres s’il vous plaît), on passe Propières, l’altitude diminue et le paysage s’ouvre. Ce n’est tout de même pas encore le Clunisois, mais déjà moins la haute vallée d’Azergues désormais presque entièrement couverte de résineux. Nous arrivons à Saint-Igny-de-Vers, nous sommes le 2 mai et pour ne pas changer, il fait nettement plus frais et humide ici que sur l’autre versant. Du premier point, en lisière d’une forêt et d’un joli vallon herbeux qui sent déjà son Charolais, j’aperçois carrément, sur les plus hautes crêtes… mais oui… un peu de neige.
Alors qu’il n’en est pas tombé de l’hiver.

Aussi bien, nous sommes en mai et ce passage, malgré des altitudes modestes (environ 500 mètres), a des allures hivernales. Le chorus est dominé par les oiseaux forestiers classiques, ceux qui sont les plus précoces parce qu’ils sont sédentaires : les grives s’en donnent encore à cœur joie, tout comme les Troglodytes, les Pouillots véloces, merles, pinsons et autres Roitelets à triple bandeau. Seuls un vague Coucou et une Hirondelle rustique qui moucheronne au-dessus d’un plan d’eau rappelle l’existence d’un printemps et de migrateurs revenus d’au-delà de la mer. Enfin, à deux reprises, j’entends un Rougequeue à front blanc dans un hameau. C’est maigre.

Au point trois, un étang de pêche se déverse dans un ruisseau qui court ensuite à travers les prairies, vers le nord, sous l’œil de placides bœufs charolais. C’est là que je suis censé trouver… mais oui ! chut… regardez le long du déversoir… c’est lui ! Le cincle !

Cincle plongeur

Cincle plongeur

Le cincle n’est pas une espèce si rare que cela, du moins dans la partie montueuse du pays – enfin, il n’y en a jamais qu’une grosse vingtaine de mille couples en France… C’est l’oiseau des « rivières à truites », ce qui explique sa quasi-absence en plaine et sa sensibilité à la pollution. On l’observe habituellement perché sur un gros rocher au milieu du torrent… du moins pendant la demi-seconde qui lui est nécessaire pour vous repérer, s’envoler et disparaître. Enfin, ça, c’est quand c’est vous qui l’avez vu le premier, ce qui est rare.
Aujourd’hui, j’ai gagné. Je l’ai surpris ; à de secs mouvements de tête, je le devine en alerte, mais il ne m’a pas repéré. Je peux l’admirer à ma guise. Silhouette de merle ventru, tons de noir et de brun, et là-dessus tranche un plastron immaculé ; une touche d’élégance pure, sur fond de ruisseau bordé d’arbres. La touche de vie sans laquelle il manque quelque chose au tableau. Un ruisseau à cincle, voyez-vous, ça se sent, ça se devine ; avant même d’avoir noté çà et là les pierres fientées qui signalent à coup sûr ses perchoirs, on le pressent. « Il y a du cincle, c’est sûr ! »

Et s’il n’y est pas, c’est comme si quelque chose était souillé ou amputé. Encore peut-on se dire que sans doute, on l’a simplement raté.
Décidément, celui-ci est complaisant. Je l’ai perdu de vue le temps de noter sa présence, mais je le retrouve aussitôt, trente mètres en aval. Sur une grosse pierre, il se toilette, les gouttelettes giclent, sans aucun doute il vient de plonger. Car le cincle plonge, quelque fort que soit le courant ; il sait même marcher au fond de l’eau. Pas pour taquiner la truite bien sûr, juste les larves d’éphémères, les « bêtes de bois », les gamarres et autres invertébrés d’eau douce. Pour finir, il se perche carrément sur un piquet de clôture qui borde le ruisseau et se laisse admirer. Je n’ai pas d’appareil photo, mais cette image en rejoint d’autres qui au fond de l’album contenu dans tout cerveau d’ornitho, ne défraîchiront jamais.
C’est peut-être pour vivre cela qu’on fait ce métier, au fond. Pour le vivre, et être sûr qu’il sera toujours possible de le vivre.

De mes points, je contemple un paysage encore très boisé. Comme un plateau bosselé, semé de buttes couvertes de sombres forêts de douglas. Autour des fermes, les feuillus mettent une tache plus clair, un vert presque doré. On dirait un semis de jardins qui lutteraient contre le retour de la forêt sauvage. Erreur !
Ce n’est pas contre une quelconque nature hostile que l’agriculture lutte ici. C’est contre d’autres hommes. Les fermes, insuffisamment rentables, disparaissent une à une, et comme on ne conçoit plus en notre temps qu’une terre ne rapporte pas d’argent, les vieilles prairies cèdent la place à la sinistre futaie régulière résineuse intensive. Une culture de bois où rien ne vit hormis les arbres, et peut-être même les arbres moins encore que le reste. Une nuit perpétuelle règne sous les fûts alignés comme des pylônes, jusqu’au jour de la coupe à blanc, dans un grand fracas de chevaux-pétrole.
Et dire qu’on appelle parfois cela forêt !
Cela suffit à quelques roitelets, grimpereaux et mésanges. C’est tout.

Voilà pourquoi je peine à contacter autre chose que les oiseaux des bois. Les prés se font rares.
C’est cela aussi le rôle du STOC-EPS, et du terrain de manière générale : contribuer à comprendre ce qui se joue dans un paysage. Pour la faune, et pour les hommes.

Je sais, bien sûr, que le STOC ne me dit pas tout de la faune ce pays. Ce n’est pas son rôle. Il ne me laissera pas détecter le Circaète, dont je sais qu’il niche là, dans le bois qui domine mon point 5. Encore moins, évidemment, le Lézard des souches et la Coronelle lisse, perles cachées, discrets indicateurs d’un paysage pas encore trop empoisonné.

Aux points 9 et 10, en ligne de crête, je donne sur un vallon dont le versant qui me fait face tranche avec le paysage que je viens de quitter. Ce sont déjà de larges pentes herbeuses coupées de belles haies. Ici, le Charolais, le Brionnais ne s’annoncent plus, on y entre. Peu de Rhodaniens connaissent ces aimables confins. Ici, de vieux paysages ruraux, nullement naturels mais bien faits de main d’homme, savent accueillir en douceur la biodiversité. L’usine à bois n’a pas encore gagné, pas encore cette année.

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