Publié sur @Taigasangare le 2 septembre 2014
Il est probable que vous n’ayez jamais entendu parler de cet oiseau-là, et que vous ne l’ayez jamais vu non plus.
L’amusant, c’est qu’il est en revanche probable que vous l’ayez déjà entendu, et même que vous l’entendiez chaque année à date fixe.
Ne faisons pas durer le suspense. Il s’appelle le Gobemouche noir.
Au physique, pour la taille et la silhouette, il ressemble au Rougegorge. Même bec fin d’insectivore, même œil noir donnant un air éveillé.
Maintenant, repeignez tout le dessous (ventre, gorge, jusqu’au bec) de votre Rougegorge en blanc pur.
Repeignez calotte, joues, dos, ailes et queue en gris très sombre à noir, avec un large coup de blanc au centre de l’aile.
Vous aurez alors un Gobemouche noir en plumage nuptial tout ce qu’il y a de présentable.
En voici un, modèle jeune de l’année.
Maintenant, la voix. Rendez-vous sur Xeno-Canto, un site bien utile qui contient des milliers d’enregistrements d’oiseaux.
Maintenant, cherchez un enregistrement noté « Call » (cri). C’est ce qui nous intéresse pour l’instant.
Gardez cet onglet ouvert, nous en aurons encore besoin tout à l’heure.
« Tseep… Tseep… Tseep… » Cela vous dit quelque chose, non ? Tout à l’heure, dans le parc que vous avez longé.
Ou était-ce ce week-end dans les grands arbres le long de la rivière près de laquelle vous faisiez votre footing ?
Partout ! Il y en a partout, dès qu’il y a des arbres – des feuillus. S’il s’agit du rideau d’arbres qui borde un cours d’eau, c’est mieux.
Par contre, dans quinze jours, vous n’entendrez plus rien. Nous sommes en pleine migration d’automne chez les gobemouches.
Et cette espèce a ceci de remarquable que son passage, surtout l’automnal, est très concentré dans le temps.
On peut observer des Gobemouches de passage dès début août, et jusqu’en octobre, mais le pic de début septembre est spectaculaire.
Dans un grand parc boisé, on peut compter 20, 30, 50 gobemouches en une paire d’heures de balade, tous repérés au cri.
Mais dites, ce serait quand même dommage de ne pas chercher à le voir ! Là ! regardez, ça bouge dans le haut du peuplier.
Hop ! vous avez vu ? Tout d’un coup, une petite cabriole, un coup d’aile, et il se repose sur la même branche, ou celle d’à côté.
Que fait-il ? Et bien, il gobe les mouches, tiens ! C’est son mode de chasse. A l’affût, au passage d’un insecte, un petit bond, et toc !
Ce comportement est assez typique des Gobemouches ; les Rougequeues (espèces cousines) le font aussi.
« Mais dites, il est censé être noir et blanc. Moi j’ai vu que du gris ! » Bien vu ! Après la mue d’été, le Gobemouche noir vire au gris.
(Rappelez-vous : tous les oiseaux renouvellent intégralement leur plumage en été. D’où leur discrétion à cette saison.)
Il conserve les mêmes contrastes que sur son plumage de printemps, mais le presque noir vire à un gris presque beige.
Du moins chez le mâle, seul à avoir droit au smoking. La femelle présente un plumage gris et blanc en toute saison.
Et encore ! dans certaines populations, par exemple en forêt de Haguenau, on trouve beaucoup de mâles gris toute l’année.
Non, cela ne signifie pas qu’ils s’adonnent à l’éthylisme mondain du jour de l’An à la Saint-Sylvestre, chenapans.
Nos gobemouches de septembre sont donc des migrateurs de passage, et toujours pépiant et chassant les insectes, ils vont glisser vers le sud.
Suivra une longue et meurtrière traversée du désert avant un hivernage en Afrique tropicale. Où exactement ? Mystère.
On a bagué quelques centaines de poussins en Alsace, mais faute de reprises de ces oiseaux, leurs quartiers d’hiver demeurent inconnus.
Ce qui est sûr, c’est qu’une nouvelle mue, partielle, du plumage, rendra aux mâles « modèle noir » leur plumage dit nuptial.
Les gobemouches entameront la remontée et retrouveront l’Europe à partir de début avril. Le passage est plus diffus, plus discret aussi.
Il n’y a pas de temps à perdre. Il faut rejoindre les sites de nidification au plus vite, arriver avant les rivaux !
Ces sites, quels sont-ils ? Principalement les grandes forêts feuillues riches en vieux chênes du nord et de l’est de l’Europe.
Les vastes forêts polonaises, par exemple, sont très riches en Gobemouches – pas que Noirs, d’ailleurs.
Notre pays est moins bien loti. Le Gobemouche noir y est présent de manière diffuse, en plaine, piémont, collines, toujours en forêt.
La forêt de Fontainebleau, mais surtout la Lorraine et les Vosges du Nord en abritent de belles populations.
Il est commun en forêt de Haguenau, en Alsace, une forêt dont la structure ressemble aux grands massifs d’Europe du nord.
Il aime aussi les vieilles châtaigneraies du Vivarais et des Cévennes. Le voilà dans les futaies du Bourbonnais, de l’Orléanais…
Par contre, il manque en Bourgogne, Franche-Comté, Normandie… Souvent, il est présent de manière très éparse, et peu connu.
L’ennui, c’est qu’il est très discret. Il chante un peu, au moment de se cantonner, c’est-à-dire de clamer « Ici, c’est chez moi ».
Chez lui, c’est une vieille parcelle de chênes centenaires au sous-bois dégagé, par exemple.
Des trous dans les vieux arbres où l’on pourra nicher, et sous les hautes branches, de belles zones de chasse aux insectes.
Le chant évoque un peu celui d’un rougegorge enroué chantant au ralenti. Reprenez la page Xeno-canto et cette fois-ci, choisissez « Song ».
Une fois Madame séduite et disposée à adopter la cavité choisie par le mâle…
… cavité d’autant plus appréciée que l’ouverture en est étroite et malaisée pour un prédateur (martre, muscardin…)
…elle aménage le nid, y pond une sizaine d’œufs et les couve deux petites semaines. L’élevage en durera trois.
L’essentiel du boulot est assuré par Madame, d’autant plus que Monsieur est polygame.
Oui, question #gender il y a à redire aux mœurs du Gobemouche noir ! Le mâle parade pour attirer une femelle vers une cavité.
Passée l’étape « venez voir mes estampes japonaises » interdite aux moins de 18 ans, ce goujat remet le couvert avec une autre.
Il viendra vaguement ravitailler la première de ses partenaires, puis leur nichée. Les autres devront se débrouiller entièrement seules.
Le Gobemouche noir chasse somme toute assez peu les mouches. Il préfère traquer les chenilles sur et sous les feuilles.
Ou encore les invertébrés divers au creux de l’écorce. Il n’en manque pas dans les vieilles futaies feuillues.
Rare ou commun le Gobemouche noir ? Difficile à dire. En Europe orientale, lui et son cousin le G. à collier sont fréquents.
Chez nous… on l’a vu, une fois en couple, il se tait. La nidification est très rarement repérée, les densités variables.
Un spécialiste auvergnat des oiseaux forestiers a noté de fortes fluctuations d’année en année, surtout dans les petits massifs.
Il faudrait en conclure que ceux-ci lui conviennent mal. Il aime les immenses forêts de plusieurs dizaines de mille hectares.
Il y aurait, malgré tout, une vingtaine de mille couples en France, mais l’évaluation précise est très difficile.
Le vieillissement global des forêts feuillues d’Europe lui est favorable. Mais sa présence dépend de nos rythmes sylvicoles.
En tout cas, profitez de son passage qui constitue un témoignage spectaculaire du grand phénomène de la migration !
C’est une immense vague de vie qui glisse par une infinité de vaisseaux, comme une sève… et que trop souvent, nous ne remarquons pas.
Cherchez dans les parcs arborés, les promenades du bord des rivières et des fleuves, les vergers, le bocage. Ecoutez. Regardez.
Rêvez aux futaies lorraines ou rhénanes d’où viennent peut-être ces migrateurs. Et repérez la forêt la plus proche pour le printemps !