Déjà perdue

L’écologie sera perdante de l’élection, c’est joué avant qu’elle ait eu lieu, une fois de plus. Absente de tous les programmes sauf deux, et dans l’un d’eux, couplé à un non-alignisme anti-américain particulièrement mal venu, ainsi qu’à des propos pour le moins équivoques à l’endroit du vaccin anticovid. Belle offre. Alentour – et même chez ces deux-là, d’ailleurs – c’est productivisme et promesse de consommer toujours autant. La campagne pue l’année 1972, entre les « jours heureux » de Roussel, basés sur la voiture et la maison individuelles, « l’écologie industrielle » de Macron, le grand retour de l’US-go-home quitte à nous jeter dans les bras de Poutine et la crispation sur le nucléaire, (re)devenu emblème d’armes et de danger.

Histoire de porter l’estocade sur la désespérance, on trouve même une candidate qui se vante d’avoir pour grand projet du quinquennat (sic)… une transition écologique juste ? le pouvoir d’achat ? Le retour de la croissance ? Même pas : l’euthanasie aisément accessible à tous. Ça a changé, les promesses de lendemains qui chantent didon.

Si le climat est vaguement mentionné, sauf à l’extrême-droite où il demeure un non-sujet (voire un objet de complotisme), le manque à venir de ressources (qui devrait tempérer tout fantasme sur l’énergie bas carbone inépuisable, d’où qu’elle vienne) et plus encore la biodiversité sont totalement absents. Y a pas. Circulez y’a rien à voir. Il ne faut pas désespérer Carrefour. Le fait est d’autant plus incompréhensible que le climat, au moins, figure dans le trio de tête des préoccupations des Français dans tous les sondages sur le sujet. En politique, l’écologie demeure un objet et non un sujet, et j’aurais même mieux fait de dire un hochet. Certains l’agitent ; d’autres jouent à se le piquer ; la plupart en font n’importe quoi, et certains même le jettent dans un coin de la pièce en hurlant.

Le temps de commencer ces lignes et voici le rapport du GIEC qui évoque seulement trois années avant d’échapper à la descente aux enfers, vers un climat non compatible avec des sociétés humaines prospères. En réactions (rares) : concert de « pas question d’accabler les classes populaires avec ça ». Tiens, voilà qu’on s’en soucie ? Elles ont bon dos, les classes populaires : partout dans le monde, ce sont elles qui subissent les premiers chocs, et les plus violents. Ce sont elles qui manqueront de nourriture correcte à prix de même, tandis qu’on aura arraché les dernières haies et retourné les dernières prairies pour produire du grain destiné aux élevages en batterie. Et in fine à la production de cette barbaque discount dont toutes les études montrent que les plus pauvres en consomment trop, parce qu’elle n’est pas chère. Il est dommage que le groupe qui a cru bon de vider le grain d’un wagon sur la voie n’ait pas eu l’idée, plutôt, de le prendre et le cuire pour en faire du pain, si tant est qu’un tel blé soit panifiable.

Personne n’ose dévier de notre trajectoire : nous allons trop vite. Nos bras sont collés aux portières par la vitesse, le volant est figé. Avez-vous remarqué ? Si chacun opine du bonnet « qu’il faut faire quelque chose », à la moindre suggestion de changement, le même vous répond : impossible !

Impossible. Toute notre économie est bâtie sur le postulat, et a désespérément besoin, de ressources planétaires indestructibles et infinies. Y injecter la moindre dose de sobriété provoque la panne. Le concurrent s’en fout ! Les Chinois ne font rien ! Tout le monde veut son pilon de poulet pas cher ! Etc. Devant le vide, notre discours ne change pas d’un pouce : il n’est pas raisonnable de changer quoi que ce soit.

Je ne peux que boire, dit l’alcoolique.

Alors trancher ce nœud gordien ? Tout casser ? Faire la révolution ? Je suis certes piètre politologue, mais je ne vois guère de révolutions qui aient abouti à autre chose qu’à changer de groupe dominant, sans rien changer aux mécanismes de domination. Or à la différence des temps anciens, c’est de mécanismes qu’il faut changer d’urgence. On peut bien intervertir le patron et l’ouvrier, la machine polluera toujours. Tant que nous ne sommes pas assez nombreux à vouloir sortir du productivisme, il sera inutile de fantasmer une révolution qui nous ferait simplement sortir du capitalisme financier ou privé.

Nos chefs ne sont pas fous. À l’instar, dit-on, de la Chine, ou bien comme ils l’ont fait face au Covid, ils agiront quand l’urgence sera venue. Le jour où les engrais manqueront, je n’ai aucune inquiétude sur le fait que Monsanto se mue en premier défenseur mondial de la permaculture. Ils agiront en état d’urgence : à marches forcées, à coups de sabre et de matraque. Ils trancheront, pas les liens du nœud gordien, mais les nôtres. Nous viendrons à la dictature verte, j’en suis sûr. Mais pas une dictature des Verts. Une dictature qui sera d’autant plus violente et cruelle qu’elle sera déployée, justement, par ceux qui vomissaient le vert de toutes leurs forces, mais qui n’ont plus le choix. Quand la planète giflera ces Jupiter de pacotille, leur aigreur de se voir impuissants, de ne plus maîtriser la situation à coups d’éléments de langage, ne les rendra que plus violents.

Et puis, de toute façon, le khmer vert ultime, l’écolo-tyran avec qui on ne négociera pas, ce sera la planète elle-même. Elle présente déjà la note.

Habituellement je ne dis pas pour qui je vote et… ben je vais continuer, en fait. Il y a du rédhibitoire dans chaque candidat à mes yeux, et du gravement rédhibitoire, et quand je dis les candidats, j’inclus monsieur Blanc et madame Abstention.

L’élection est déjà perdue. Pour ne pas perdre cinq ans de plus, il faut les prendre, nous. Commencer maintenant, partout, à faire en sorte qu’une écologie intégrale, une écologie dont la justice sociale serait une composante pleine et entière, s’impose enfin même aux agitateurs qui brassent, tout là-haut, bien à l’abri des mauvais vents, des mégafeux, des coulées froides. Il faudra faire quand même, contre des vents politiques plus contraires que jamais, des ouragans de déni, et tenir bon, mettre à la cape, courber le dos, voiles et dents serrés.

Nous sommes en 2022, et le pays résonne d’éructations telles que « savez-vous que le GIEC n’est pas composé de scientifiques », « la protection des zones humides ça sert à pomper des subventions et c’est pas ça qui va vous nourrir », ou encore « je suis écolucide : il n’y aura pas de catastrophe parce que la technologie va nous sauver ».

Pendant ce temps, les côtes françaises sont déjà sapées par cette montée des eaux qu’aiment tant railler les éconégationnistes. Le sel sature les terres littorales.

L’ONU est au courant.

La France, elle, va s’offrir encore cinq ans au minimum de déni, d’ironie, de railleries. Les mêmes que depuis trente ans.

Notre méconnaissance profonde, et délibérée, des sujets écologiques nous jette dans le chaos. Apprenons vite à quoi sert une zone humide, avant qu’elle ne nous l’explique d’une manière très désagréable.