Dixième anniversaire

Dix ans sur Twitter et presque deux cent mille tweets tout rond. L’impénitent bavard !

Il y a dix ans ce soir que Madame m’a convaincu de rejoindre ce drôle de réseau auquel, au départ, je n’entendais rien. Il y avait quinze jours depuis l’élection au trône de saint Pierre d’un dénommé Bergoglio, qui m’avait fait penser d’abord « oh non, ils sont allés chercher je sais pas quel vieux cardinal italien du fond d’un encensoir du Vatican » le temps que les journalistes décontenancés repêchent enfin sa fiche. J’avais participé à une FASM, un apéro de twittos cathos, pour la première fois, encore un mois plus tôt. En ces temps-là, les FASM réunissaient à Lyon trente à cinquante personnes de toutes chapelles.

Il y avait, enfin, un peu plus de quatre mois qu’on ne pouvait plus tourner en dérision l’actualité en évoquant l’inévitable fin du monde programmée pour le 21 décembre 2012 ni entonner la scie de l’époque : « La fin du monde on n’en veut pas, la fin du monde rentre chez toi ».

Depuis, ce compte est toujours un petit compte. Il n’est plus aussi seul comme compte de naturaliste sur Twitter. On commence même à être assez nombreux pour s’y déchirer, comme de vrais naturalistes gaulois. Il m’a également permis de me faire traiter avec une alternance remarquée d’islamo-gauchiste,  de raciste forcené, de khmer vert, de mâle blanc cishet raciste homophobe, de pédophile, de traître à sa race, de wokiste grotesque, d’écolo de pacotille, de m’entendre dire par un très gros compte que je n’en avais rien à foutre de la biodiversité, de subir des injures sexistes en n’étant pas une femme et des attaques antisémites bien que n’étant pas juif. Un monde fabuleux.

Heureusement, j’ai fait aussi plusieurs centaines ou milliers de belles rencontres et j’ai beau être plus fier qu’un croisement Tartarin-Cyrano et n’en jamais rien laisser paraître, vous êtes nombreuses et nombreux à m’avoir fait évoluer, comprendre, apprendre, des tas de choses que je ne comprenais pas en 2013. Pardonnez-moi de ne pouvoir citer chacune et chacun.

Cela remplit bien la vie, les suites de Twitter. Bon, par contre, je suis toujours aussi peu doué pour exprimer les compliments et les remerciements. Non que j’y rétice sur le fond, bien au contraire, mais je sais pas faire. Je vous souhaite à toutes et tous de croiser beaucoup de chatons et de loutrons.

D’autant que toutes et tous ne sont plus là. Ni sur Twitter ni dans la vraie vie. En dix ans, c’est inévitable.

L’activité de ce compte et aussi, au début, celle de ce blog ont débouché sur la participation à bien d’autres FASM, à la belle aventure de la revue Limite, produit des écrits publiés sur du vrai papier et pas seulement sur un écran. Sans Twitter, nous n’aurions pas fait toutes ces rencontres ni sans doute jamais croisé l’équipe de Limite, ni l’association Oeko-logia ni les AlterCatho, nous n’aurions pas traversé la France à quelques reprises (voire un peu au-delà) pour disserter d’écologie. Les improbables rebonds de la vie virtuelle nous ont même trampolinés jusqu’au Vatican pour une poignée de main bien réelle à celui qui était déjà beaucoup plus qu’un inconnu nommé Bergoglio.

C’est exaltant de participer à de telles grand-messes, un peu comme le joueur de l’équipe 3 qui se trouve par hasard remplaçant, un soir, en LDC et en parlera toute sa vie. Il y avait d’ailleurs pas mal de gens comme nous, tout étonnés et intimidés de se trouver là, dans ces salles qu’occupent parfois des grands du monde. On a beau dire qu’il faut être humble et ne pas se prendre pour ce qu’on n’est pas, c’est grisant.

Ce qui l’a permis, ce sont les liens et la confiance d’amis, mais à l’origine, c’est surtout Twitter, sans qui nous ne nous serions jamais rencontrés ; Twitter cet étrange outil où (pour combien de temps encore ?) le savetier peut interpeller l’évêque ou le roi et même interagir pour de bon avec lui. Il faut qu’il le reste, n’en déplaise (et ça lui déplaît fort) à son nouveau maître.

Dix ans. Le monde est à la fois tel qu’en 2013 et si loin. Tel car on parlait déjà bioéthique, euthanasie, climat, immigration et identitay, néolibéralisme et décroissance et tout ça sur Twitter. Mais sont venus les attentats islamistes, le Covid, l’invasion de l’Ukraine. Et à l’opposé le souffle d’espoir de Laudato Si’.

Ce qui n’a pas changé non plus, c’est que je suis toujours un simple salarié départemental d’association de protection de la nature. Ces dernières semaines, mes soirées ont été remplies par le ramassage des crapauds sur un site d’écrasement. J’en ai fait traverser un peu plus de cinq cents, quelques dizaines par soir : un petit site.

Je me suis senti plus à ma place que lors de ces journées au Vatican. Non que nous n’y ayons rien eu à dire, mais… Je ne suis pas taillé pour les réunions ni les négociations. Et puis, les temps ne sont plus aux débats, nous l’avons dit dans notre article-testament du dernier numéro de Limite. Le temps n’est pas aux ponts, mais à abattre les pontonniers pour trahison.

Les temps durcissent. La crise écologique aussi, a durci le ton. Elle est passée de « bientôt » à « aujourd’hui », du moins chez nous, car il y a longtemps que plus au sud, elle frappe. Plus rien n’est sûr. Plus rien n’est ferme, et le rôle auquel chacun est appelé, moins que tout le reste. Les soirs où il y avait des crapauds à faire traverser avaient le mérite d’exprimer clairement ce que j’avais à faire.

Le reste du temps ? Sortir chercher les chevêches ? Débattre sur Twitter ? Écrire ? Dormir ?

Demain est vague et inquiétant comme un brouillard glacé.