Bleus, crise, économie: Serge le lama décrypte l’actualité

En ces temps de crise, de faits divers et de pluie, un peu de détente ne devrait faire de mal à personne.
Serge le lama s’est ouvert à nos colonnes, en exclusivité, et nous livre son regard sur l’actualité de cette semaine, à commencer, bien sûr, par la qualification des Bleus pour le Mondial brésilien.

Serge, avant tout, dites-nous franchement : auriez-vous craché sur les Bleus en cas d’élimination ?

Vous n’allez pas vous y mettre aussi ? Je n’entends que ça toute une journée : « Quand lama fâché, gnagnagna. » Hergé nous a causé un tort immense. On nous réduit à cette pratique sans comprendre son contexte historique et culturel. Le résultat, c’est que certains d’entre nous développent un sentiment identitaire conforme à ce que la société leur renvoie d’eux-mêmes, avec des pratiques de crachat ostentatoires. Si j’étais Caroline Fourest, je dirais qu’on a là un climat de discrimination ambiante qui nourrit les divisions et fait le lit du Front national.

Mais à propos de l’équipe de France ?

Lors de Bordeaux-Nantes, on m’a présenté aux joueurs avant le match, et au vu du résultat (NDLR: 0-3), je crois que c’était mieux dans ce sens. Il ne faut pas cracher gratuitement sur une équipe. On a bien assez d’occasions de le faire à bon escient.

Comment avez-vous vécu cette qualification historique ?

Historique, historique, peste, comme vous y allez ! Ce n’est qu’un barrage pour une qualification en phase finale. Je ne vous cacherai pas que j’ai eu peur. Très peur.

Vous pensiez l’Ukraine capable de refaire le coup de Kostadinov ?

Oh, vous savez, Christian Jeanpierre a évoqué ce scénario un tel nombre de fois au cours du match que même le poisson rouge d’à côté a passé la dernière demi-heure à foncer d’un bout à l’autre de son aquarium en bullant « Kostadinov, attention à la frappe, attention à la fraaappe ! » Il ne s’est toujours pas arrêté, le pauvre. Mais j’avais surtout peur qu’un imbécile ait parié en cas de qualification de me tondre le poil avec une crête à la Koscielny.

Pensez-vous que l’équipe de France puisse aller loin dans ce Mondial ?

Elle va aller au Brésil, c’est déjà très loin. Même si ce n’est pas le Pérou.

… Mais après ?

Elle va en revenir. C’est mon pronostic.

… Oui enfin mais…

On vivra probablement la même issue que les autres phases finales depuis 2008, puisque c’est le même genre d’équipe. L’équipe de France est classée au vingtième rang et quelques des nations. Je m’étonne qu’avec tout ce que ce pays compte d’experts du football, les Français aient besoin d’un lama pour produire cette analyse qu’elle fera probablement un parcours conforme à son rang.

En fait, on aimerait l’avis du lama, oui, ça nous change.

Le foot français me hérisse le poil ! La situation est un peu inextricable, mais un lama peut contribuer à débroussailler, n’est-ce pas ? Nous avons une crise globale, économique, politique, sociale, morale. La dictature des marchés incite à privilégier certains profils de joueurs qui deviennent de véritables produits standardisés. Ceux qui ne se plient pas à cette uniformisation galopante sont exclus, et les formateurs n’utilisent plus tout le vivier de jeunes du pays. Il y a beaucoup de laissés pour compte qui seraient des chances pour l’équipe de France. Quant à ceux qui réussissent, ils intègrent un système totalement déshumanisé où chacun d’eux devient à son tour un produit, une marchandise. Les stades sont réservés à une clientèle aseptisée. On commence à entendre parler de tripatouiller les génomes, d’intégrer de l’ADN du genou de Zidane ! Je ne peux pas imaginer que l’avenir soit constitué de footballeurs OGM peuplant des pelouses synthétiques, sous le regard torve de consommateurs applaudissant sur commande. Il faut traiter toutes ces dimensions, et pour cela créer une écologie footballistique, qui prendra soin du football, de tout le football.
Mais je pense qu’il faut aussi aller de l’avant. Ne pas ruminer de vieilles histoires.

Que conseillez-vous aux Français, alors ?

De ruminer plutôt du bon foin, biologique si possible, mais surtout issu de circuits courts. L’agriculture française doit retrouver sa vocation paysanne, nourrir le Français à l’échelle du terroir. Nous militons beaucoup pour cela. Bien sûr, c’est difficile de fournir une alimentation locavore aux pythons, aux tigres et aux éléphants de nos cirques. Cela dit, notre projet de partenariat avec un viticulteur du Médoc a remporté un vif succès. Si le capitaine Haddock avait su ça, il aurait peut-être eu de nous une meilleure opinion.

Serge, entre nous, envisagez-vous une carrière politique ?

Peut-être ! Il faut se laisser mener hors des sentiers battus parfois. Regardez ce qui m’est arrivé. J’aurais pu ruer dans les brancards, mais j’ai préféré ne pas en faire un tram. Bien m’en a pris.

Quel est votre projet pour la France ?

Notre pays a froid. Notre pays manque de douceur. Il faut sortir d’un climat de haine pour instaurer un climat de laine.

N’est-ce pas le projet des Bonnets rouges ?…

(il coupe) Peuh ! C’est 60% de polyester ! Les Français me font rire. Ils se plaignent d’être tondus, mais se mangent la laine sur le dos, et se contentent d’attendre qu’une vague croissance leur rende à tous du poil de la bête. Ne nous laissons plus faire : toisons le système et remettons l’ouvrage sur le métier ! C’est au niveau local qu’il faut tisser une nouvelle société. Tricoter simplement, pour que chacun puisse simplement se couvrir. Dans le respect des couleurs de poil de chacun.

N’avez-vous pas peur d’être accusé d’incitation à la laine raciale ?

Dites, il est affreux, celui-là.

Pardon.

Ça ira pour une fois, mais j’aurais pu me fâcher, et… Bon.

Votre mot de la fin ?

La route est sinueuse, mais l’Altiplano est haut.