Ce que j’attends de l’encyclique, près de mon carré de roseaux

L’encyclique est pour demain.
Et donc, tout le monde la commente.
Ceux qui l’ont eue sous le manteau, bien sûr,
Mais encore plus, ceux qui ne l’ont pas lue, mais qui savent déjà
Ce qu’elle contiendra, et ce qu’elle ne contiendra pas,
Mais encore plus, ce qu’elle a le droit de contenir et ce qu’elle n’a pas le droit de dire,
Ce qu’on considèrera comme « le Magistère » et ce dont on dira « Le pape n’a pas le droit de faire de la politique » ou bien « Le pape est victime de l’idéologie ambiante ».

Il est 5h30. Ce n’est pas dans une verte campagne que ma mission du jour me mène. C’est ici, sur la digue d’un canal qui longe la grande ville, et que croise toute l’armature des artères de la métropole – vitales ? c’est à voir. Lignes à haute et moyenne tension, rocades, autoroutes, TGV, barrages hydro-électriques ou écrêteurs de crue, rien ne manque. A la sourde rumeur de la cité se superpose, quinze fois par heure, le grondement d’un avion qui monte ou rejoint l’aéroport, une lieue plus au sud.
C’est ici qu’il s’agit aujourd’hui de défendre la biodiversité, parce qu’elle y vit encore. Plutôt : qu’il en reste encore un peu. C’est ici qu’il faut agir. C’est ici qu’elle est (le plus) menacée et c’est ici que vivent les hommes.

Ce matin, je suis ici pour compter les oiseaux qui habitent encore les roselières qui bordent le canal, pour s’assurer qu’ils ne réagissent pas trop mal aux travaux, qu’on a voulu respectueux. C’est devenu très rare, en France métropolitaine, une roselière. Pour le naturaliste, c’est une sorte d’Eden. Il s’y trouve une faune qu’on ne rencontre nulle part ailleurs. Pourtant, le mot même est méconnu.

Je suis donc ici pour veiller sur les dernières rousserolles et bouscarles des confins de la grande ville. C’est une matinée de printemps : nous sommes quelques centaines, guère plus, à veiller de la sorte sur un oiseau, un insecte, un reptile ; une prairie, un coin de forêt, un bout de marais.

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D’autres suivent les données des stations d’analyse de l’air, ou effectuent un prélèvement d’eau. D’autres encore…

L’écologie occidentale naît d’abord là : dans la réalité du travail quotidien, exaltant ou ingrat, monotone ou passionnant, presque toujours délicat et exigeant, de l’observation attentive de notre monde. Combien d’oiseaux ici, hier ? Combien aujourd’hui ? Après quels changements ? C’est là que, consternés, nous avons vu le tableau de bord virer au rouge. Non pas le rouge, comme je viens de le lire sur Twitter, d’une « idéologie marxiste », mais le rouge des déclins, des chutes, des disparitions ; le rouge des concentrations de polluants, le rouge de températures en hausse.
C’est là que naît l’implacable constat d’urgence, le constat que sous nos pieds, la planète meurt.

L’écologie n’est pas un ballet d’opportunisme politique. Elle se vit au ras du sol, chaque jour. Elle se construit par la base, une base qui désespère d’être entendue au sommet. Une base qui ne sait plus comment rendre plus clairs ses tableaux, ses graphiques, ses cartes, pour enfin couper court à la fuite des responsabilités, trancher les œillères, mettre fin aux dénis de réalité.

Qu’apportera alors l’encyclique ?
Je ne crois guère à son influence sur « les politiques », je veux dire : sur les grands décideurs. Nos maîtres la gratifieront de l’habituel sourire condescendant, qui est leur « Le pape, combien de divisions ? » Eux ont bien trop d’intérêt à ce que rien ne change, à ce que le pillage continue. Tenez, les voilà qui nous vendent une « croissance verte » : avec des sacs biodégradables, la culture du déchet se dit écologique !

Ce que j’attends de l’encyclique, moi, troufion de la défense de la biodiversité, au bord de mes cent mètres de roseaux de ce matin, c’est de m’y sentir moins seul.

Non que l’écologie ne doive être politique, au premier sens du terme. C’est une affaire qui regarde la cité. Et c’est à l’échelle des écosystèmes, non de l’individu, que, techniquement, tout se joue. Mais encore faut-il, pour agir à l’échelle large, que l’individu se convertisse, et pour cela, qu’il sache avec quel feu il joue. Sans quoi la décision politique la plus sage, la plus conforme au bien commun, passera pour l’oukase d’un despote idéologue – ou intéressé.

Ce que j’attends de l’encyclique, c’est de sentir souffler le vent décoiffant d’une écologie intégrale qui décloisonne nos combats et leur donne une cohérence, peut-être, jamais atteinte. Toute encyclique resitue, non pas le Magistère dans le cadre du temps présent, mais le temps présent dans le cadre du Magistère, pardon ! il fonde le Magistère en resituant le temps présent dans le seul cadre qui vaille : la Parole de Dieu. Notre temps est celui de l’épuisement des ressources naturelles et du vacillement des écosystèmes, et, d’un même élan, d’une même hubris, celui d’attaques d’un genre nouveau contre l’essence même de l’humanité. J’attends – avec confiance – de l’encyclique les mots qui les dénonceront également d’un même élan.

A la suite de quoi, il faudra aux hommes de bonne volonté unir leurs forces contre le Diviseur.

Le pape est sorti en semeur. Je désire être bonne terre, et j’espère autour de moi, de nombreux grains en bonne terre. C’est à la base que tout va se jouer. Entre des catholiques qui, désormais, ne pourront plus dire « Je ne savais pas que l’écologie faisait aussi marcher à la suite du Christ », et des écologistes non catholiques qui ne pourront plus dire « La religion est l’ennemie de l’écologie ». C’est nous, là, le long du canal où chante une dernière rousserolle, qui allons devoir construire ensemble un monde qui n’oppose plus « l’homme » et « la nature », un monde qui aime davantage la Vie, tout simplement.

Voilà qui serait un fameux bouleversement, pour les uns comme pour les autres.