Coupeurs de ponts

Il ne faut pas confondre écologie et écologisme.

C’est pourtant facile !

L’écologie, c’est une Science. Elle a ses écologues qui sont des Scientifiques. Chauves, à lunettes, en blouse blanche car la science ça se fait dans un laboratoire très propre, ils pérorent à l’aide d’une baguette devant un tableau blanc recouvert de formules mathématiques. Ils n’emploient que des mots neutres, et ils ont des solutions. Technologiques, bien entendu. Des technologies zéro carbone, des technologies résilientes, des biotechnologies innovantes. Et bien entendu, ils ne parlent jamais non plus d’oiseaux, ni de haies, ni de bourdons (sinon, il faudrait ôter la blouse blanche et ça, non ! C’est pas scientifique.)

Ils ne parlent pas d’une manière intelligible. Ils ne sont pas là pour ça. Ils sont là pour rendre de volumineux rapports avec des solutions réalistes dont personne n’entendra jamais parler. Surtout pour ne pas alerter, ne pas déranger.

L’écologisme, alors là, par contre ! Incarné par un individu mou et crasseux, couvert d’autocollants évoquant le maoïsme et la complaisance envers l’islam (d’ailleurs, il aime le vert, c’est pas une preuve, ça ?), il parle de crise, d’effondrement, de danger. Il est militant. Il propose des solutions politiques. Et ça, c’est horrible. Madame Pompili l’a dit il y a peu à propos des citoyens de la convention climat : « J’accuse ces gens d’avoir une démarche politique ! » Et ça, c’est sale. Un citoyen, ça ne fait pas de politique. Un VraiScientifique™ non plus. La République En Marche non plus. Elle n’est ni de droite ni de gauche, elle ne fait pas de politique, elle fait du management. Au reste, tous les partis sauf un communient dans cette même vision de l’écologie. Si c’est un propos technicien suffisamment incompréhensible pour qu’on puisse en conclure que tout ira bien et que les entreprises innovantes trouveront bien une solution, alors ça va. C’est admissible. C’est suffisamment neutre, suffisamment vide pour être « scientifique ».

Par contre, le moindre mot qui suggère que non, ça ne va pas être aussi simple et qu’il va y avoir d’autres remises en question, alors là ! Mon pauvre ami, vous sombrez dans le militantisme, l’idéologie, vous êtes dans une démarche politique (et ça, c’est TRÈS sale), vous vous préoccupez de choses qui ne vous regardent pas. La façon dont le manager manage le pays ne vous regarde pas. Vous, vous êtes là pour produire, consommer, et la fermer.

Dernièrement, une nouvelle disposition légale envisage d’interdire d’indiquer d’où provient le lait. Pour sauver le marché libre, il ne faut pas autoriser les citoyens à choisir sur d’autres critères que le rapport qualité-prix. La provenance, les conditions écologiques ou sociales de production, il ne faut pas qu’ils les connaissent. Ils risqueraient de choisir selon des critères politiques.

Et ça, c’est VRAIMENT TRÈS TRÈS sale.

La parole politique n’est pas seulement déconsidérée par les pitreries gouvernementales de ce temps pandémique, réduite au rang d’oripeau qu’on agite sans même plus faire semblant d’être crédible ou vraisemblable, sans même se cacher de mentir au grand jour, sans plus rien retenir du mépris absolu qu’on professe vis-à-vis du peuple qu’on inonde de ce fatras de bobards. Un peuple qui n’est d’ailleurs plus dupe depuis bien longtemps. Elle est aussi salie comme l’a été le mot idéologie, ou même le mot idée : désormais, la politique est une saleté, agir en citoyen est une faute, un délit, dont on peut être accusé (farouche éloquence des mots) ; et il en va de l’écologie comme de tous les défis du pays : cela n’est pas censé nous regarder. Dépolitisation absolue de la cité.

Et les scientifiques, dans tout ça ?

L’ennui, c’est qu’ils ne jouent pas du tout le jeu.

Les écologues n’ont ni blouse blanche ni tableau blanc couvert de formules opaques. Non seulement ils mobilisent les citoyens pour la science participative, mais ils les informent des résultats. Pire, ces chenapans subversifs sont allés jusqu’à interpeller le pays sous la forme d’un communiqué conjoint Muséum d’histoire naturelle-CNRS il y a déjà trois ans. Et les auteurs d’expliquer à qui voulait l’entendre qu’il ne leur était précisément plus possible de se contenter de rapports, de formules neutres et lénifiantes car le danger est là. Qu’il était de leur devoir de citoyens de dire à tous ce que la science constate.

Bien entendu, la réaction ne s’est pas faite attendre : nos managers et éditorialistes ont déplacé tout ce beau monde dans le camp de l’écologisme. Vincent Bretagnolle, spécialiste de l’étude sur le terrain de la biodiversité agricole et des mesures agri-environnement depuis 20 ans ? « Il critique le glyphosate. Donc crédibilité zéro selon moi. A ranger dans la catégorie idéologue. » Bruno David, président du Muséum national d’Histoire naturelle, publie « A l’aube de la 6e extinction » ? « Rien que le mot effondrement est révélateur d’une démarche d’idéologue ! Quand va-t-on cesser de donner la parole à des collapsologues inconnus ? »

On pourrait multiplier les exemples.

Traquer « l’idéologie » ne consiste plus, depuis longtemps, en une légitime recherche d’erreurs ou de biais méthodologiques : il suffit que les conclusions incitent à changer quoi que ce soit pour être rejeté dans les ténèbres, aux côtés des anti-vaccins ou des marchands d’eau de mer à 24 euros le litre en boutique bio. Une fois de plus, la rigueur et la véracité du propos n’importent plus : seule compte la récupération politique qu’on en fera.

Entre le scientifique, censé ne parler qu’en technicien aux techniciens, et le citoyen, présumé incapable de comprendre quelque enjeu que ce soit, la politique-management fait tomber les ponts, en criant à l’idéologue. Elle coupe les communications, étouffe les voix, calomnie toute prise de parole qui ne soit pas un robinet d’eau tiède. Ce n’est pas un hasard. La crise écologique est par excellence le lieu de tels ponts. Les scientifiques savent ce qu’ils doivent à la démocratie : la possibilité d’une critique libre, et donc d’une science fiable. Citoyens et scientifiques ont besoin les uns des autres, et pour contrer la crise écologique en particulier. En les coupant les uns des autres, le gouvernement-manager les neutralise et reprend la main sur les uns comme sur les autres.

Est-ce un hasard si en ce moment décisif, il s’en prend aux scientifiques, soupçonnés de « gangrène islamo-gauchiste », et dans la même semaine, aux citoyens, « accusés d’avoir une démarche politique » ? Si l’on observe sensiblement la même chose dans les fureurs présidentielles à l’encontre du conseil scientifique sur le Covid, accusé de « n’avoir que le confinement comme solution », et si ledit conseil n’est plus en mesure de publier ses rapports ?

Le balayeur n’est pas autorisé à s’exprimer sur la stratégie de l’entreprise. Tel est le formidable message déversé par les présidents-managers successifs. Ce qu’ils font de nous ne nous regarde pas.

Sont-ils aidés dans cette vision par leur déni écologique, qui est absolu ?