Tweetoizo n°2: l’Oedicnème criard

Tweetoizo publié sur mon compte Twitter @Taigasangare le 4/9/2013

L’oiseau dont nous allons parler ne se laisse pas découvrir par hasard.

C’est un démenti cinglant au verset qui stipule que qui cherche, trouve. Néanmoins, allons à sa recherche.

En route. Imaginons que nous sommes fin mars et partons dans les champs. A travers la plaine, bien ouverte, sans haies.

Les alouettes assurent le chorus printanier. Sur un piquet, un Bruant proyer grince sa ritournelle. Voici enfin une très jeune céréale.

Comme sur un plateau vert, deux, trois, cinq silhouettes brunes, trapues, se détachent du décor dans nos jumelles.

L’une d’elles, debout, dévoile de robustes échasses jaunâtres, une silhouette d’oiseau coureur, un camouflage beige et blanc, et… un œil.

Un œil énorme. Qui, d’ailleurs, vous a remarqué, espèce de grand échalas brandissant ses besicles en bordure de parcelle.

Le volatile déploie des ailes brunes frappées d’une barre blanche, décolle sans un bruit, les autres suivent.

Toute la troupe, au ras du sol, rame de ses ailes anguleuses et disparaît derrière un pli de terrain. Fini ! C’étaient les oedicnèmes.

Récapitulons : l’Oedicnème criard a la taille d’une belle perdrix, de longues pattes d’oiseau coureur, des ailes pointues, et il a l’œil.

Autrefois, l’Oedicnème habitait les milieux plats et secs. Les steppes, les plages de graviers le long des rivières, les landes rases.

Nos champs lui ont longtemps bien convenu. Pourvu qu’ils ne fussent pas trop denses, ni entourés de trop de haies. Car il aime voir au loin.

Dans l’ensemble, quand il y a des haies, il y a beaucoup plus d’oiseaux que s’il n’y en a pas. Mais pas d’oedicnèmes. #monsieurestexigeant

Il lui faut donc un bel ersatz de steppe, où il puisse courir, se tapir, surveiller, et naturellement, trouver force insectes et autres escargots.

Notre petit groupe de cinq, c’étaient des oiseaux de retour de migration, venus d’Espagne, d’Afrique du Nord ou du Midi.

Retournons là-bas. La céréale a grandi : aucune chance d’y retrouver nos oiseaux. Concentrons-nous donc sur cette bande restée en maigre prairie.

Prudents, à la longue-vue, examinons chaque brin d’herbe jaune. Celui qui a un œil… c’est l’oedicnème. On n’en verra pas plus. #zzz

Un des oiseaux est sans doute en train de couver, tapi et l’œil mi-clos. L’autre hésite entre somnoler et surveiller les alentours.

Comme le soir tombe, patientons. Notre oiseau s’étire, se toilette. Et voici maintenant pourquoi on le dit « criard ».

Un cri, rauque et flûté, est monté d’une autre parcelle, là-bas. De la nôtre, le couple a répondu. « Queuu-ruî, queu-ruî ».

Ce cri et la silhouette explique que notre échassier des steppes soit parfois surnommé « courlis de terre ».

Il est vaguement cousin du Courlis cendré (le « vrai ») célèbre pour son long bec recourbé, et qui, lui, aime les milieux humides.

Criard, donc. Il aime maintenir le contact avec ses congénères. Les couples nichent chacun de leur côté, mais se retrouvent « au restau ».

Le restau, ce sont les parcelles les plus riches en invertébrés. Les Oedicnèmes s’y rendent à la nuit tombée, quand leurs proies s’activent.

Ils peuvent s’y retrouver en bande et jacassent dans la nuit. #ohbonsoirmâmeMichu #etvosoeufsçavaty

Le jour, les oiseaux couvent et somnolent, accablés par la chaleur, invisibles au ras du sol. Parfois, on surprend la relève du couveur.

L’oiseau s’approche, un petit mouvement. Le couveur s’écarte du nid, en restant invisible, presque à ramper. Ils se croisent. #lemotdepasse?

Si d’aventure un prédateur a vu la scène, il n’aura pas pu repérer le nid. A moins d’être très doué en trigonométrie, ou très patient.

Quant à tomber dessus… le nid, c’est un creux de cailloux où reposent 4 cailloux pareils à tous les cailloux, sauf à marcher dessus. #crac

Parfois, trop souvent même, c’est un engin agricole qui fait crac. Les oedicnèmes recommencent tout. Jusqu’à trois tentatives.

Un mois a passé. Les cailloux se fendillent et donnent naissance à quatre cailloux gris, duveteux, avec des pattes. #etunoeil

Parfois on découvre dans un tournesol l’une de ces petites boules qui a déjà les gros globes oculaires de ses parents. Laissons-l’y.

Les parents reviendront. L’oedicnème est nidifuge : à peine né, le poussin sait les suivre vers la zone de gagnage. C’est-à-dire le restau.

Pendant un mois de stage survie, les jeunes vont apprendre à chasser les insectes, se tapir, surveiller les alentours.

Fin juillet. L’oedicnème redevient très grégaire. Il forme des groupes de plus en plus importants, mêlant nicheurs locaux et migrateurs.

Ces « rassemblements postnuptiaux » occupent chaque année les mêmes parcelles, à moins évidemment qu’elles ne soient détruites.

Tant qu’elles restent suffisamment dégagées et tranquilles, on y retrouve, chaque année, un groupe qui se réunit pour sa sieste diurne.

Vers la mi-octobre, les petits groupes ont fini par se fondre en quelques grands troupeaux qui peuvent compter 200 ou 300 oiseaux.

Les sites occupés par ces groupes sont bien connus. On peut compter les oiseaux et suivre l’évolution des populations.

Mais on ne sait jamais exactement d’où viennent tous ces oiseaux. Il y a les régionaux de l’étape et d’autres venus de plus au nord.

A partir de fin octobre, sur la plupart du territoire français, les effectifs baissent. Les oiseaux partent vers le sud.

Certains semblent partir à date à peu près fixe, d’autres attendre que la météo se dégrade. Exceptionnellement, une poignée hivernera.

En tout cas, à peine trois mois plus tard, le champ accueille de nouveau les premières boules brunes. #pasoublierl’œil

L’oedicnème est fidèle à son site. Souvent, il cherche à nicher là où il est né. Se disant qu’après tout, si lui a pu grandir en paix…

Cette fidélité facilite les comptages par les ornithologues qui se chargent de veiller sur lui. Car l’oedicnème est protégé, et menacé.

Les plages de galets le long des fleuves ? Bétonnées. Les landes ? Mises en culture. Les prairies rases ? Bâties, bétonnées, goudronnées.

Les champs ? Le tracteur y passe bien trop souvent avec son épandeur à poisons. Ecrasant les œufs et liquidant les proies.

L’oedicnème se replie où il peut. Sur de vieilles friches, sur les chantiers aussi, ou les gravières, au grand dam des industriels.

Les protecteurs de la nature cherchent à lui conserver une place. L’oedicnème, c’est un peu le vieux paysan qui s’accroche à sa terre.

Il est resté des millénaires aux côtés de l’homme quand celui-ci cultivait la terre sans la brusquer. Il a retiré les limaces de nos champs.

Notre monde paysan est expulsé, démantelé, par l’agro-industrie, l’urbanisation folle, les « grands équipements ». L’oedicnème aussi.

L’oedicnème est en danger. Sur la directive européenne Oiseaux, il figure à l’annexe 1, la page rouge, en somme.

Face à la culture de mort qui balaie toute Création, il n’a aucune chance. Si nous choisissons la vie, nous verrons encore son œil.

Mais si nos champs, même « rentables », meurent au point d’être vides d’oedicnèmes, c’est que pour nous aussi, la page rouge approche.

En attendant, c’est le meilleur moment pour aller les voir. Il vous suffit de contacter votre association naturaliste locale.

S’il y a des oedicnèmes dans votre région, vous pourrez sûrement apprendre où aller les voir, et pourquoi pas aider à les compter.

Voici un lien qui vous donnera pas mal d’informations, dont sa répartition (onglets Carte).
L’Oedicnème criard sur atlas-ornitho.fr

Merci d’avoir suivi ce #tweetoizo et pas de cauchemars avec cet œil !