Tweetoizo n°4: le Faucon pèlerin

Tweeté le 20 mars 2014 sur @Taigasangare

Quelque part entre ciel et terre, elle couve.

Quelque part sur l’immensité de cette falaise, de ses vires, ressauts, corniches, pins nains et joubarbes poussés en jardins suspendus.

Ou bien entre les gargouilles de la cathédrale, ou même dans cette curieuse boîte en saillie sur la façade d’une très hype tour de bureaux.

De temps en temps, une série de cris aigus la tire de sa somnolence. Arrive un oiseau gris au capuchon noir, une boule informe aux pattes.

Il n’est pas plus gros qu’un pigeon de ferme. Il vole vite, avec ses ailes en faux. Il dépose la proie sur une corniche.

La femelle Faucon pèlerin se lève et vient dépecer la proie que vient de lui apporter le mâle: un merle, un étourneau, une mésange.

Il est plus petit que sa compagne d’un bon tiers. Aussi son relais sur la ponte est-il médiocrement réussi. Il couvre mal les œufs.

La femelle reprend les choses en main. Le partage, d’accord, mais chacun son rôle principal. A elle, l’incubation et la sécurité du nid.

A lui, la chasse. Le voilà qui se place à l’affût sur un piton. Nous allons pouvoir l’observer.

Dans nos jumelles, son capuchon noir prolongé d’une longue « moustache » contraste avec la poitrine claire et le dos gris ardoisé.

Le ventre est finement strié dans le sens horizontal. Des zébrures verticales et plus grossières indiqueraient un oiseau immature.

De si loin, nous pouvons à peine remarquer la taille impressionnante de l’œil et la « dent » qui prolonge la mandibule supérieure du bec.

L’œil du Faucon pèlerin est si gros que si nous avions le même, il atteindrait la taille d’un pamplemousse.

Il est également beaucoup plus performant pour remarquer des formes sombres évoluant sur un fond de même.

Les serres de l’oiseau sont longues, élancées, faites pour se projeter au loin et lier une proie en plein ciel.

Quant à la dent, je ne vous fais pas de dessin sur son utilité, n’est-ce pas ?

Attention ! voici le mâle qui bascule dans le vide. Il s’élance, à coups d’aile énergiques. Son accélération est déjà sensible.

Il décrit un large cercle dans le ciel. Où va-t-il donc ? Le suivre devient difficile.

Soudain, sans crier gare, la trajectoire s’incurve vers le bas. L’oiseau replie ses ailes et adopte la forme d’un obus.

L’accélération est foudroyante. On a peine à croire qu’il s’agit d’un être vivant.

De près, nous verrions le bout des rémiges battre, augmentant encore la vitesse et contrôlant la direction.

Une cabriole, une deuxième, nous n’avons rien vu venir et voici déjà le mâle qui remonte lentement, un étourneau dans les serres.

Revoyons la scène au ralenti. La première phase constitue le vol de placement. Le faucon cherche un point d’où lancer l’attaque.

Pendant toute cette phase, la future proie ne peut même pas savoir que quelqu’un, dans le ciel, se pourlèche déjà le bec à ses dépens.

Puis le Pèlerin met en œuvre toute sa puissance. Il se lance dans un semi-piqué rectiligne qui l’amène près de sa proie à près de 200km/h.

Deux situations se présentent alors. Si la proie n’a rien vu venir, tout est simple. Le faucon freine en ouvrant les ailes.

La différence de vitesse est désormais assez faible. Le faucon n’a plus qu’à projeter ses longues serres en avant et « lie » sa proie.

Cette fois-ci, l’étourneau a entendu in extremis le sifflement du chasseur lancé à ses trousses. Il a basculé et piqué.

Le faucon a suivi, achevant sa course d’un piqué secondaire quasi vertical, et rattrapé sa proie à pleine vitesse.

Il a alors lancé ses serres en avant, et porté un coup sec d’avant en arrière sur le dos de la proie, labourée et tuée sur le coup.

La Nature offre peu de spectacles comparables aux chasses du Faucon pèlerin. Certains piqués presque verticaux dépassent 300 km/h.

Le plan de l’attaque varie sans cesse, en fonction de la topographie, de la proie et de ses réactions… Les proies se défendent, aussi.

Les grands vols sont ainsi rarement attaqués, car le faucon « sait » qu’il sera sans doute repéré par l’une de ses proies potentielles.

Ces dernières usent de diverses manœuvres évasives, crochets incessants, en tâchant de gagner le couvert des toits ou des arbres.

Le Pèlerin, en effet, ne peut chasser qu’en plein ciel. Ses ailes sont taillées pour la vitesse, ce qui requiert de l’espace.

Revenons à notre couple. Plus petit, le mâle n’est pas plus rapide, mais généralement plus agile.

La femelle, plus lourde, plus puissante, est plus à même de défendre le nid, contre d’autres Rapaces ou le Grand Corbeau notamment.

Elle défend ainsi une « bulle » de quelque 600 m de diamètre autour de son nid, contre tout intrus.

Après quarante jours sur la cuvette vaguement grattée du nid, un petit « pip » résonne à travers un œuf.

La femelle répond d’un petit « tiok » et encourage le poussin à briser la coquille. Il est issu du premier œuf. Sitôt pondu, sitôt couvé.

La femelle a pondu ses 4 œufs à un jour d’intervalle et couvé aussitôt : ils éclosent avec le même décalage. Malheur au plus jeune poussin !

Il aura d’entrée un retard de développement significatif sur ses aînés. Plus faible, il se battra moins pour la becquée. #cerclevicieux

Et si les proies manquent, il passera carrément à la casserole. Pendant ce temps, les autres grandissent en force et en sagesse.

C’est toujours le mâle qui assure l’essentiel de la chasse, du moins tant que la femelle doit encore réchauffer les poussins en duvet.

Âgés d’un mois, les jeunes commencent à arborer leur plumage à travers les restes de duvet. Plus roux, et plus strié que celui de l’adulte.

Vers 40 jours, ils se promènent sur l’aire ou dans le nichoir, battent l’air de leurs ailes toutes neuves, frôlent la perte d’équilibre.

Un jour, ils tombent. Miracle ! Les ailes marchent ! Ils volent. C’est l’étape critique. Ce premier envol échoue souvent.

Sur une falaise, on trouve toujours une vire à laquelle se raccrocher. En ville, c’est une autre affaire. Le jeune se retrouve au sol.

Si tout va bien, un ornithologue bénévole est là pour le récupérer et le remonter. Une fois… Deux fois, parfois plus…

Car l’espèce est suivie de près. Dans les années 70, elle a failli disparaître. La chasse et surtout le DDT avaient presque eu sa peau.

Bio-accumulant ce pesticide agricole via ses proies, le Pèlerin était empoisonné ou stérilisé. Les œufs trop minces se brisaient.

D’énergiques actions de protection des nids, l’interdiction de certains pesticides l’ont sauvé. Il recolonise l’Europe, jusqu’en ville.

La population française est passée de 200 à environ 1500 couples. C’est beaucoup mieux. Mais cela reste bien peu dans l’absolu.

Voilà pourquoi les Faucons qui tentent de s’installer en ville reçoivent parfois un « coup de pouce » par la pose d’un nichoir.

On choisit un immeuble déjà fréquenté par l’oiseau. Ensuite, c’est lui qui décide. Des parades au mois de janvier ? C’est (presque) gagné !

Mais ce n’est pas un lâcher, encore moins un achat de « dépigeonneurs bio ». Le Pèlerin ne mange pas tant de pigeons que ça.

C’est une compensation au fait d’avoir construit d’immenses villes si défavorables à la biodiversité. On lui doit bien ce petit retour.

Beaucoup de grandes villes françaises abritent désormais le Faucon pèlerin. Sinon, cherchez les falaises les plus proches !

Peut-être aurez-vous alors envie de rejoindre les rangs de ceux qui ont permis à l’oiseau-bombe de survivre dans le ciel de France…

Voilà! C’est fini pour ce #tweetoizo -bombe… Merci de l’avoir suivi !

Je m’aperçois que j’ai oublié de préciser un truc. Le Pèlerin n’a pas la vie facile: 8 de ses attaques sur 10 échouent.

Du coup, je pensais conclure sur le fait que lui n’aurait pas raté les colombes du #PapeFrancois mais en fait sûrement si.

Et enfin bien sûr: à l’instar d’Hildegarde de Bingen, que contempler la Création nous mène à notre vraie vocation: la Louange! #tweetlouange

Carême: un désert empli de Vie

Nous voici en Carême.

Y entrer sans proférer de poncifs – même souverains – est presque aussi difficile que de le vivre sur les pas du Christ.
Tant pis, risquons-en quelques-uns et tâchons d’aller quelques pas au-delà.

Le Carême est un temps de pénitence et d’austérité ; mais, sans doute pas par hasard, il coïncide aussi, au moins dans notre hémisphère, avec le printemps, avec l’exubérance de la vie qui renaît. C’est là le plus simple et le plus ancien signe avant-coureur de la Résurrection.
Un temps de pénitence ? Plutôt un temps de dépouillement : ôtons nos pelures superflues, nos graisse spirituelles, nos épaisseurs qui ne nous protègent qu’en nous isolant – en nous enfermant. C’est un temps pour la simplicité, pour l’essentiel, pour l’accueil ; un temps pour recevoir au lieu de prendre.

C’est un vrai temps d’écologie intégrale, en somme. Et les chrétiens sont désormais nombreux à le vivre comme tel : en témoigne ce foisonnement d’initiatives autour du thème « vivre un Carême avec la Création » dont le blog Visibles et invisibles recense les plus notables : Vivre un carême écologique

Cette année, les hasards climatiques font coïncider ce mercredi des Cendres avec un printemps plutôt précoce. Précoce ? Comment le savoir ?

En observant.
Pour se dépouiller, ce qu’on ôte en premier, ce sont les lunettes, « protectrices », déformantes, teintées, rayées, opacifiées.
Et nous regardons.

Même en ville, il y aura toujours un arbre qui, un beau matin, ouvrira ses bourgeons. Un oiseau qui est parti : les mouettes qui valsaient sur le fleuve, la bande de pinsons qui squattait la mangeoire. Un qui est arrivé : la Fauvette à tête noire qui sifflote sa ritournelle dans un buisson, le premier Milan noir, la première hirondelle. Une fleur qui s’est ouverte. Ou juste la lumière, un peu plus franche, un peu moins froide.

Il y aura chaque matin une pulsation de vie. Car le Carême est un temps de vie, pas un temps de deuil et de grisaille.
Il y a chaque matin un petit changement à noter dans un carnet, avec une date, aux côtés d’une courte prière, et ainsi s’ébauchera le calendrier d’un Carême avec le printemps, qui culminera aux Rameaux dans une grande explosion de verdure, jusqu’à ce que Pâques accomplisse tout à fait la Résurrection de l’univers entier.

« Oh, hé, Jésus il était au désert, pas dans la nature ! »
Mais qu’est-ce que le désert ?
Le Christ au désert se retire du monde et des regards des hommes.
Le désert, c’est le lieu sans hommes. C’est le contraire du monde entendu comme ce qui ne vient pas du Père (1 Jn, 15-17). C’est une rude demeure pour l’homme et pour le peuple de Dieu, mais la terre d’élection de toute une part de la Création. C’est là que Dieu nous dit avoir placé l’âne sauvage, lui qui se rit du tumulte des villes et n’entend pas les cris d’un maître (Jb 39, 6-7) – lui qui est, lui aussi, libre et loin du monde.
En retrouvant la Création autour de moi, en la regardant moi aussi à travers le tumulte des villes, en les quittant un temps pour mieux aller à sa rencontre, en laissant entrer en moi le frémissement de sa résurrection printanière, je peux me retirer au désert, un vrai désert christique et biblique : vide de monde, mais empli jusqu’à en déborder de Dieu et de sa Création, de son projet pour l’Univers : le Christ. Prêt à sentir, dans quelques semaines, frémir Sa Résurrection majuscule.