Le ton, c’est bon ? Pas si sûr.

C’était une remarque, au détour d’une réunion-repas-on refait le monde jusqu’à minuit, à propos de certains sites, de certaines revues. Comment lit-on, comment écrit-on, aujourd’hui, dans le domaine, disons, de l’actu et de la politique au sens le plus large ? Souvent revient cette remarque « les idées sont intéressantes, mais le ton me gêne ».

En particulier, la généralisation du ton très engagé, très polémique, que l’on retrouve surtout, justement, sur les blogs, mais qui en déborde largement sur un nombre croissant de médias. Ce que j’appellerais le ton réseaux sociaux, le ton Twitter. Oh, Twitter, je ne le connais que depuis deux ans, et encore, dans certains réseaux, spécifiquement politiques et militants. Ce n’est pas forcément représentatif. Mais je constate à quel point, à force d’y baigner, il modèle et uniformise notre façon d’appréhender les divers sujets d’actualité ou de fond, et surtout notre manière de les traiter.

Au diable la démonstration solidement bâtie à tous les étages : c’est trop long ! Qui lit un article de blog long de quatre pages ? Le lecteur veut foncer. Il cherche les sous-titres, les extraits mis en exergue. A terme, c’est toute la profondeur de traitement qui souffre. Ce n’est pas très grave sur un blog, ce l’est davantage de la part de médias plus assis. Encore faut-il que nous, lecteurs, manifestions notre demande d’information fouillée, posée, mesurée.
Revenons du côté « auteur ». A force de ferrailler en cent quarante caractères, on a vite fait de chercher la formule qui tue, l’aphorisme qui porte l’estocade, le retour cinglant qui brise l’échange interminable et stérile. En tout cas, je l’avoue, je balance sans cesse entre l’argumentaire construit et le pamphlet polémique, l’éloquence à coups de sabre, pressée, tranchante, guerrière, sans réplique. Mais en règle générale, celle-ci ne séduit que les convaincus et nous enferme dans le piège numéro un des réseaux sociaux : croire que nous sommes entendus du monde entier, alors que nous ne touchons, à de rares exceptions près, que notre clan.

Confrontation de points de vue sur Twitter, allégorie (XIVe)

Confrontation de points de vue sur Twitter, allégorie. British Library, XIVe.

Ce n’est d’ailleurs pas qu’un problème de ton, mais aussi de références (ou de référentiel). A force de ne parler qu’entre nous sans nous en rendre compte, nous finissons par croire universellement partagées des références de plus en plus claniques. Dans le cas le plus anodin, c’est une blague typique de twittos qui va tomber à plat lors d’un repas familial (par exemple lâcher « #Gender ! » entre la poire et le fromage en oubliant qu’on est le seul de la tablée à savoir ce qu’est un hashtag). Au pire, c’est un article qui sera totalement incompris ou le message tout entier d’un courant, d’une association, qui ratera constamment sa cible, parce qu’il aura manqué, entre l’émetteur et sa cible désignée, le tout dernier maillon de la chaîne, le barreau supplémentaire qui permet d’attraper l’échelle.

De cet ordre, par exemple, est l’absurde marronnier de Noël relatif aux fraternisations dans les tranchées, ce « tabou de l’histoire de France ». Un tabou qui figure même dans certains historiques officiels de régiments, voire des journaux de marche ? Un tabou évoqué par la plupart des récits et carnets de soldats ? Un tabou, décrit pleine page et richement illustré jusque dans un documentaire junior que je feuilletais à l’âge de dix ans, une vingtaine d’années donc avant le célèbre (et bien naïf) film sur le sujet ? Non. Juste quelques personnes ignorant tout – mais vraiment tout – de l’histoire du premier conflit mondial et qui ont extrapolé leur inculture à tout le pays, forgeant le mythe d’un « tabou jusqu’au début des années 2000 ».
Il est vrai qu’un article se vend drôlement mieux avec le mot « tabou ». Il attire l’attention sur nous. Même fumeux, il nous grossit héros de la liberté, lanceurs d’alerte. Que d’informations non vérifiées, que de « scoops » qui ne révèlent en fin de compte que notre méconnaissance du sujet, et en fin de compte, que d’articles « choc » qui, là encore, le seront lus que par les convaincus.
Certes, il a de grandes chances d’être très lu, très partagé, très retweeté. Toujours par les mêmes.

Prenez ce blog-ci, par exemple. Il aura bientôt deux ans et pourtant ses statistiques plafonnent dans l’insignifiant : dix à vingt visites par jour. Trente à cent (vraiment au mieux) les jours de publications. Et bien souvent les mêmes lecteurs. Au-delà de ces fidèles, pas grand-chose. Alors qu’il s’agit, bien entendu, du blog le plus extraordinaire de toute la cathosphère, n’est-ce pas ? (fuite éperdue sous un barrage de tomates du Maroc du premier janvier, pas mûres et très dures)

Mais du point de vue de la cause que nous cherchons à promouvoir parce qu’elle nous paraît bonne pour tous, l’article bien senti, acéré comme une lame, et bien… il ne servira à rien. Tout au plus à dresser notre clan contre les autres, à durcir les clivages dans un pays qui hurle déjà sa douleur d’être divisé, déchiré, éparpillé façon puzzle.
Mais à initier un échange, un dialogue, une rencontre ? A convaincre, à convertir, à faire changer d’avis ? C’est presque impossible.

D’ailleurs, revenons un peu sur notre propre parcours dans ces Quelquechose-Sphères… Combien de fois (et plus que jamais je m’inclus dedans) avons-nous changé d’avis, revu notre position, évolué dans nos convictions à la lecture d’un article venu du « clan d’en face » ? Dans combien de cas nous sommes-nous convertis ?
Cela existe. Il serait d’une idiotie péremptoire de prétendre le contraire. Mais c’est bien rare.

Sur nos réseaux, l’autre est l’ennemi. Me mettant à suivre un compte twitter du registre « écologie, cause animale, vegan » je m’entendis immédiatement répondre « Tiens, je me retrouve follow par un mâle blanc suprémaciste éleveur de portée humaine, la seule autorisée à pulluler » (sic). Ma foi… L’autre est l’ennemi et la différence – hormis superficielle – terrorise : on la voit ferment de guerre. « Parler à quelqu’un, c’est normaliser, légitimer, approuver ses idées alors qu’elles nous répugnent » – et voilà comment la confrontation des idées, socle fondamental de tout progrès, de toute démocratie, devient, au nom même de la démocratie, une monstruosité à combattre.

Que pouvons-nous y faire ? Peut-être descendre de son piédestal le sacro-saint coup de gueule, délaisser la polémique pour la discussion, la mobilisation pour la rencontre. Entre la « pensée unique » et la fourmilière de tribus en guerre, fières de « ne pas discuter avec » ceux-ci ou ceux-là, il y a place pour une troisième voie, c’est même la plus répandue, celle que nous n’aurions jamais dû quitter. Le bâton de pèlerin plutôt que le sabre d’abordage. En ce temps de Noël, ce serait une bonne idée, non ?

En Avent… la politique

« Or, le peuple était dans l’attente. »
Décidément, depuis deux mille ans, rien n’a changé. Nous sommes dans l’attente. Nous sommes dramatiquement insatisfaits de notre pays, de notre société, de nos perspectives d’avenir. Notre rapport à l’étranger est problématique, et plus encore notre rapport au pouvoir. Déconnecté, corrompu, tenté par la dérive sécuritaire… Nous avons nos collecteurs d’impôts. Nous avons nos scribes et nos pharisiens (généralement c’est l’autre. Et comme le disait Desproges, le pharisien est sot. Il croit que c’est nous qui faisons du pharisaïsme alors que c’est lui.)
Et nous n’avons plus guère de prophètes (ou ne les voyons pas, ce qui revient au même). D’ailleurs, selon certains, se nourrir de miel passerait encore mais dévorer d’innocentes sauterelles serait encore trop cruel.

Nous sommes dans l’attente comme le peuple d’Israël. Nous voyons bien qu’il y a un truc qui cloche (et même beaucoup). Alors, nous espérons le coup de balai miracle.
« Il (ou elle) va remettre de l’ordre dans la maison. Chacun chez soi et chaque chose à sa place. Il (ou elle) a de l’autorité, des convictions, etc. » Un chef à poigne, intègre et ferme, sans pitié. Ça, ça aurait de la gueule. Postures martiales des candidats. La tête levée, le cou tendu. Ceux de qui c’est-de-la-faute ne vont pas rigoler. Cette fois, ils vont voir, les Romains. Ça va être la vague Messie (à ne pas confondre avec celle qui balaie les pelouses de Liga le samedi soir, merci). On va te me les bouter hors de Palestine et reconstruire un beau palais pour notre Messie de combat. L’iconographie croisée fait recette. On brandit son identité en sautoir comme un glaive – qu’il s’agisse, d’ailleurs, d’une « identité chrétienne » ou d’une « identité laïque républicaine ».

D’ailleurs, nous répétons en boucle que nous sommes en guerre – contre tout. Après quarante années de « crise », c’est désormais la « guerre », et la menace du « chaos » a succédé au spectre de la « récession ». Chacun d’entre nous est invité à se montrer bon républicain en sachant voir dans son voisin un ennemi mortel. Musulman radicalisé, khmer vert, catho-clérical-intégriste, fraudeur fiscal, fonctionnaire-fainéant, chômeur-assisté, ou tout simplement concurrent sur le marché (du travail ou autre). Nous pensions pourtant avoir compris le prix et la vraie valeur de la paix, il y a un mois. Et nous n’avons rien de si pressé que de déclarer des guerres à tout va !

Déjà, pour commencer, fichez la paix à la crèche. Voyez en elle ce qu’elle est : l’évocation, qu’on y croie ou non, d’un Dieu humble et proche des gens simples, des pauvres, des faibles. Cessez d’en faire l’étendard d’un défi politicard, le bouclier d’une défense, l’épée d’une agression contre « votre liberté ». Sur ce dernier point, même et surtout si vous pensez, si vous savez que celui qui l’a disposée là l’a fait dans ce but. Renvoyez-lui donc qu’il est à la ramasse, celui qui embauche le Christ de Bethléem pour en faire son épée. Au lieu de rentrer dans son jeu, retournez-lui son pathétique contresens. Celui qui a tant aimé le monde qu’il a souffert la Passion pour lui ne peut agresser personne, et surtout pas par son image dans la paille.

La crèche. Nous l’avons posée au pied du sapin – enfin, non. (J’espère que non car la monoculture du sapin de Noël est anti-écologique et anti-paysanne au possible.)

Une fois de plus, donc, ce sera la même histoire. L’Avent touche déjà à sa fin et nous allons encore nous faire la même remarque : nous attendons un chef de guerre et Il arrive comme un enfant. Et il fera son entrée dans la Ville monté sur un âne, avant de passer à la casserole. Et nous nous dirons encore que nous ne l’avons pas reconnu, etc.
Mais j’en ai assez, moi, de rater mon Avent de cette manière-là, pas vous ?
Cela dit, je ne sais pas plus que vous comment faire.

Je voudrais qu’on en sorte. Que « lâcher prise » et « accueillir Dieu comme un enfant » (avec les deux sens possibles), cela cesse d’être des mots creux qu’on remâche tous les ans. Nos débats, nos réseaux, notre blogosphère bruit d’un seul thème : tenter de tout comprendre et d’imaginer la solution qui remettra tout en ordre, une bonne fois. Rien de plus louable en soi, c’est comme cela que commence la politique, ou même la citoyenneté : se sentir concerné par ce qui nous dépasse, et vouloir y apporter un peu de bien à partager. Seulement, précisément, cela nous dépasse ; le monde n’a jamais marché droit ni tourné rond, et ne le fera jamais avant que Lui revienne autrement que monté sur un âne. Mais Sa venue comme un enfant, Son entrée à Jérusalem sur un âne, et toute la suite, ont bouleversé le monde comme jamais. L’amour, le don, l’humilité ont fait bien plus, ont imprimé une marque plus durable dans l’histoire qu’aucun conquérant, jamais. Ils ont relevé bien plus de défis qu’aucun chef charismatique, aucun parti totalitaire, aucune politique « courageuse » (entendez par là consistant à serrer la vis des faibles et des pauvres pour sauvegarder le trône du puissant). Ce ne sont pas des mots, ça : c’est ce qu’enseigne l’Histoire. Et c’est aussi ce que nous professons chaque dimanche (au moins).

L’échec à mobiliser les citoyens occidentaux face à la crise écologique révèle à quel point nous ne croyons pas ce que nous savons. Face au mystère de l’Incarnation, croyons-nous ce que nous professons, ce que nous chantons, ce que nous acclamons ?

Si oui, alors c’est avec au cœur l’enfant de la crèche que nous bataillerons en politique. Non pas seulement dans notre « conversion individuelle » mais dans tous nos engagements, et aussi dans nos exigences vis-à-vis des élus, ceux qui se réclament du bien commun, de « valeurs humanistes de la République » et a fortiori ceux qui revendiquent des « racines chrétiennes ». Oeuvrez donc dans l’amour et par amour ; ayez souci du faible et du pauvre, respectez tout ce qui nous est donné. C’est notre exigence de citoyens et de chrétiens, si vous-mêmes vous dites tels. Puisez, puisons dans la crèche la vraie inspiration. Tout particulièrement cette année, l’année de la miséricorde.

On le dit tous les ans. Cette fois, on le fait. D’accord ?

L’écologie (et la foi) contre la peur

« La France se replie sur elle-même ». « Le Front national rassemble la France qui a peur ». Et de railler, bien entendu, la soi-disant mesquinerie de ces peurs, le « bas du front » d’une « France moisie ». Trente pour cent des suffrages exprimés, tout de même. Qu’envisagent donc nos génies de l’insulte ? la noyer ?

Mais à ces mêmes génies, je ferai aussi observer qu’ils ne manquent pas de culot. La France a peur ? Quel étonnement !
Au moins depuis septembre 2001, notre classe politique n’a jamais rien su faire d’autre que nous écraser de peurs.

Peur de « la crise » : quarante-deux ans de crise tout de même, contre trente aux Glorieuses du même nom, qui n’empochent même plus le bonus défensif. Une peur face à laquelle rien ne nous est proposé que les « solutions » les plus anxiogènes : commodités de licenciement, baisse des salaires – et prioritairement des plus bas, report de l’âge de départ en retraite, etc. Et de nous citer en exemple l’Allemagne et son taux de chômage en baisse… en raison de l’explosion du nombre des travailleurs pauvres.
Depuis si longtemps, bien avant l’état d’urgence permanent, nous baignons dans l’état de crise permanent.
Et nous nous sommes livrés aux professionnels de la « gestion de crise ». Ils présentent bien. Ils sont raisonnables, eux, ils sont pragmatiques. Ils savent. Ils aiment nous rappeler que ce n’est pas à nous de penser ; de toute façon, on ne pense pas Monsieur, on ne pense pas, on compte. Et ne pensant plus, nous nous sommes laissés balloter par nos émotions, et avant tout par notre peur.

Peur du terrorisme, naturellement : le plus fier-à-bras des partis sur le sujet remporte les suffrages ? Quelle surprise ! Dans quoi pouvons-nous baigner quand le « quotidien de référence » choisit de placarder à la une, chaque jour, l’éloge funèbre d’une des victimes du 13 novembre ? Comme s’il en était besoin pour se souvenir, comme si l’on allait honorer et défendre « la joie de vivre » en barbotant dans le deuil cent trente jours de rang.

Peur du lendemain : étonnant, quand le projet d’avenir se limite à toujours plus de compétition, toujours plus de précarité, de conflits et de tensions, toujours moins de repères, de points d’ancrage, au combat permanent dont seule une poignée peut sortir vainqueur ? Au chaud dans leur tour d’ivoire, les scribes – qui, aujourd’hui comme hier, jouissent, comme chacun sait, d’une situation assise – peuvent bien huer ces Français déjà pauvres et précaires pour leur manque d’enthousiasme à s’enfoncer encore plus à l’aveuglette dans l’inconnu, après leur avoir décrit ce dernier comme terriblement dangereux. Effarant darwinisme sociétal : celui qui aspire à construire une existence paisible pour lui, ses proches et ses descendants, voire ses contemporains, est vilipendé comme faible, indigne de la Liberté, de la Modernité. Il est loin le temps où Léon Blum défendait à la tribune le droit du travailleur à la paix du foyer. Ainsi hue-t-on le retour du spirituel comme preuve de faiblesse : « qui sont donc ces faibles qui veulent plus d’amour, plus de fraternité, plus de justice ? Au combat, que diable ! et en compétiteurs sans merci! »
Le ton avec lequel nos chantres du Marché décomplexé vendent la guerre de tous contre tous ressemble péniblement aux tirades enflammées des généraux vantant le sacrifice suprême à l’été Quatorze.

Peur de l’autre. Quoi, la France aurait peur de l’autre ? Cet autre allègrement assimilé à l’ennemi intérieur depuis des années ? Cet autre, cible depuis quinze ans d’une rhétorique Nous/Eux : jeune, c’est un délinquant ; barbu, c’est un terroriste ; catholique, c’est un agent moyenâgeux du Vatican tentaculaire ; écologiste, c’est un djihadiste vert ; handicapé, c’est quelqu’un qui n’aurait pas dû naître ; chômeur, ou tout simplement pauvre et bénéficiant d’allocations, c’est un parasite ; salarié, c’est un tire-au-flanc congénital ; migrant, c’est une opportunité de tirer les salaires et les conditions de travail vers le bas. « En tout cas, mes chers électeurs, vous êtes entourés de gens Pas Comme Vous, c’est-à-dire de gens qui vous veulent du mal. Rasez les murs, la France est infiltrée d’autant de cinquièmes colonnes que nous en fantasmons pour vous. Mais vous êtes bien rances et moisis d’avoir peur. »

Peur enfin à cause d’un sentiment d’impuissance. Nous vivons écrasés de « c’est ainsi », « il faut s’adapter », « c’est la modernité » (ou la postmodernité), ce que vous voudrez : peu importe : nous ne sommes plus citoyens ni acteurs dans ce monde-là, nous ne le bâtissons pas plus que nous ne le pensons, ou alors « à l’insu de notre plein gré ». Nous sommes priés de subir. Il nous faut accepter ce qui est, soi-disant, la résultante de la liberté, mais que personne n’a souhaité, ni prévu, et dont bien peu veulent, ne serait-ce qu’en raison du nombre effarant de laissés pour compte. Nous sommes priés de nous laisser traîner là et, c’est bien connu, il n’y a pas d’alternative.

Il n’est pas un parti qui n’ait fondé son discours sur la peur. Il n’en est pas un qui n’ait pris soin de peindre, avec ses propres couleurs, le climat le plus anxiogène possible, pour mieux se poser en sauveur. Sans surprise, le plus chevronné en la matière l’emporte – d’une courte tête – avec un discours bien rodé : comme il n’y a pas de plus authentique Autre que l’étranger, c’est cette dénonciation-là qui rallie les suffrages. Nous sommes si bien entre nous !
Rien que l’épisode Breivik devrait nous en dissuader. Ou alors quelque regard en arrière dans notre histoire. Jamais l’homogénéité culturelle, religieuse ou ethnique n’a garanti en soi, et en quelque manière que ce soit, une société moins parcourue de tensions, moins criminogène, ni même moins divisée.
En revanche, attiser les peurs, les rejets, les divisions et en jouer les exaspère jusqu’au risque d’explosion. Etonnant, non ?
Que faire d’autre ?
« Joie de vivre, vivre ensemble, tous en terrasse ! » Et voici l’horizon eschatologique proclamé par notre Premier ministre : « Consommez, c’est le moment des fêtes, dépensez, vivez ! »
Et ce vide ne comble pas le vide. Décidément, nous vivons une époque de grandes découvertes pour nos maîtres.

Avec quoi le comblerons-nous donc ?
Ce temps de l’Avent donnerait bien des idées : miséricorde et Grâce.
Il y a gros à parier que sur les marchés de Bethléem, ces réseaux sociaux du temps d’Hérode, on s’exprimait à peu près comme sur les nôtres : c’est la crise, c’est à cause de ces étrangers, nos élites veulent la mort du petit commerce et vous avez vu cette présence policière, ces bruits de bottes (enfin de caligae). Et ça ne L’a pas dissuadé de venir.

Ce n’est pas tout. Malins comme je vous connais, vous avez remarqué qu’il manque un point dans ma première partie : la crise écologique.
Et c’est vrai. Celle-là aussi, nous peinons à la présenter autrement que comme source d’angoisses sans nom. Je serais mal inspiré de le nier. C’est qu’à la différence de toutes les autres, c’est vraiment une angoisse mortelle, et qui pourtant, reste obstinément à l’arrière-plan. Nous n’avons plus de temps à perdre et pourtant « nous ne croyons pas ce que nous savons ». C’est effrayant, pour de vrai. Et personne n’a envie de l’entendre. Ce n’est pas le bon moment.

Et pourtant, parce qu’il est question de vie, nous écologistes – et spécialement écologistes chrétiens – devrions, tout spécialement, savoir conjuguer l’exposé de la vérité à l’annonce de l’espérance. La catastrophe menace, elle est même déjà là, mais la bonne nouvelle, c’est que les réponses, les bonnes réponses, sentent la vie. Chacun de nous ne peut sans doute pas grand-chose, mais au moins y a-t-il quelque chose à faire, c’est-à-dire déjà refuser de subir.

L’écologie, celle des citoyens qui s’engagent et des scientifiques qui parlent vrai, n’est pas occupée à instrumentaliser une crise au profit d’un vague pouvoir. Je sais que l’accusation est courante : autant accuser votre médecin généraliste de diffuser lui-même le virus de la grippe… Nous nous en passerions bien, de ce combat. Mais il faut bien. Mais je m’égare : je disais, donc, qu’il y a une bonne nouvelle que nous devons savoir annoncer. Cette nouvelle, c’est que le remède n’a pas vocation à être plus amer que le mal. La conversion écologique sera joyeuse, ou alors elle ne sera pas écologique. A M. Valls et à ses pairs, opposons Isaïe 55 : pourquoi consommer et dépenser de l’argent pour ce qui ne rassasie pas ? Retrouvons le chemin des véritables mets succulents : l’humain plutôt que les biens, l’oiseau dans l’arbre plutôt que sur l’écran, la relation en vrai plutôt que « l’expérience connectée », la gratuité plutôt que la rentabilité, le partage plutôt que l’austérité. Il sera autrement plus simple, alors, d’opposer à mesdames Le Pen la fraternité universelle et l’amour du prochain sans condition.

Notre responsabilité est là : être signes et paroles d’espérance. Alors, nous n’aurons plus aucun besoin des professionnels de la gestion des peurs.