Construire une paix qui ne vient pas

Note préliminaire : tout ceci n’est que ressentis personnels sans la moindre prétention à l’expertise.

Une de plus.

Peut-être une autre le temps que j’écrive ces lignes.

Et tout a marché comme sur des roulettes : comme l’écrit remarquablement Slate, « le petit frisson dégueulasse de l’alerte attentat » s’est déchaîné. Et pas que chez les journalistes. Chez les anonymes, chez les politiques aussi ; on a vu Christine Boutin relayer la rumeur de fusillade rue Vernet … mais pas le démenti, pourtant bien vite sorti.

Peut-être parce qu’ils ont la chance que la peur les épargne assez pour se permettre de jouer avec celle des autres.

Dangereux. Car cette petite mécanique a pour première conséquence de révéler et d’aggraver encore l’irrationnel de la peur du terrorisme, je veux dire : l’ampleur de son impact psychologique, par rapport au fait brut. Ce qui est précisément le but du terrorisme.

Il est rare – et prions certes et agissons pour qu’il en reste ainsi ; j’y reviendrai – que le terrorisme, dans un pays occidental, devienne une cause première de mortalité. En France, les accidents de la route tuent vingt fois plus, les accidents domestiques 70 fois plus, les suicides 60 fois, et le tabac trois cents. À l’aune de la peur que nous inspire le terrorisme, le nombre de cancers mortels, et parmi eux, de cancers à cause environnementale, devrait nous inspirer une terreur permanente plongeant la population dans l’hypocondrie. Et aucun politique ne devrait pouvoir être pris au sérieux sans un projet en béton contre l’abus de pesticides et de perturbateurs endocriniens. Si la sécurité est la première des libertés, rationnellement, c’est d’abord cette sécurité médicale et sanitaire qui devrait truster les unes. Il n’en est rien. Pourquoi ?

L’acte terroriste est vu comme intolérable, car évitable, anormal. C’est vrai. Il n’est pas question de « nous y faire ». Mais n’en va-t-il pas de même des suicides, des cancers à cause environnementale, des accidents de la route et de la plupart des accidents domestiques ? Nous nous sommes bien laissés intoxiquer à coups de « c’est le progrès » au point de trouver tout ça normal. Dû au hasard. Sans cause. Sans que ce soit la faute de personne. C’était évitable et nous n’en serions peut-être pas là.

Mais il ne s’agit pas là, bien sûr, de violences dirigées sciemment contre des personnes (tout au plus de conséquences cyniquement assumées, et c’est assez pour causer la mort en masse). Ce sont des choses qui peuvent arriver dans une société en paix, croyons-nous. Ainsi rejoignent-elles la « normalité ».

Des sociétés en paix ? Les années antérieures à « Charlie » nous apparaissent aujourd’hui comme des temps heureux, paisibles, où l’on n’avait pas à s’en faire. Évidemment absurde. Pour ne parler que de lui, le terrorisme frappe l’Occident depuis les années 70. Que dis-je : depuis les années 1880, avec des va-et-vient. Deux Présidents de la République ont été assassinés. Il n’y avait pas plus aveugle ni plus imbriqué avec le grand banditisme que le terrorisme anarchiste de la « Belle Époque ». Quant aux années 70-80, ce sont celles de Septembre noir, d’Action directe et autres Brigades rouges. Tout cela avant même l’émergence du terrorisme islamiste. Et l’absence de bombes n’est pas la quiétude pour autant. Qu’est Mai 68 sinon l’explosion d’une profonde et irrésoluble tension ? Aujourd’hui, le terrorisme vient que se surajouter à la gravissime crise de l’emploi, désormais vieille de quarante ans, aux inégalités, et à toutes les formes de tension qu’alimente la multiforme crise écologique : catastrophes naturelles, crainte de l’accident nucléaire ou chimique, conséquences présentes et à venir du dérèglement climatique. « Avant », nous dormions déjà fort mal.

Nos sociétés sont parcourues de tensions mortelles. Des gravures néolithiques prouvent qu’il n’y a là rien de nouveau. Et comme le démontre Olivier Rey dans Une question de taille, nos métropoles géantes ne peuvent qu’aggraver le problème. Quelque libre que soit chaque individu de devenir « bon » ou « mauvais », il existe toujours une part d’individus dangereux, pas forcément en hausse d’ailleurs ; mais la taille même, la densité simple de ces fourmilières humaines génèrent de façon mécanique la possibilité pour ceux-ci d’entrer en relation et de multiplier la menace qu’ils représentent ; et de même les opportunités pour eux de commettre des horreurs aux dépens de foules vulnérables. L’entassement, le vacarme, bref, tout ce qu’on appelle la « faible qualité de vie » augmentent encore la tension d’un cran, en sus de tous les facteurs déjà cités.

Rien qu’à cause de tout ça, il est vain de désigner l’islam (ou même « léreligion ») comme cause au sens où il suffirait de les supprimer pour entrer dans une ère infinie de paix et de félicité universelles, au son des flûtes et sous les pétales de roses.

Ben non. Toutes les autres sociétés humaines ont généré aussi ressentiment, tensions, haines, mobilisation par les assoiffés de pouvoir des simples assoiffés d’une vie paisible, et l’islamisme est le tuyau du moment par lequel jaillit cette violence. J’entends par là, non qu’il ne soit « pas le problème » de notre époque, mais que s’il n’existait pas, nous aurions d’autres violences tout aussi graves à la place. Ce n’est pas lui qui pousse l’agriculteur au suicide ni le bandit à braquer une banque. On vient même d’apprendre que l’énergumène qui a failli tuer toute l’équipe du Borussia Dortmund ne cherchait qu’à spéculer sur la baisse des actions du club.

Bref, on se tuerait pour d’autres raisons, y compris, le cas échéant, entre bons petits Blancs de racines fort chrétiennes. Chez les hameaux de fermiers à faucilles de silex comme dans les villes-mondes industrielles, la société vraiment en paix est un rêve, un fantasme, nous devrions le savoir.

Et pourtant nous avions cru la toucher du doigt.

C’est peut-être l’une des raisons de notre épouvante.

Les tensions sont de tout temps, certes. Mais il existe aussi des interludes où la concorde et la prospérité générales semblent soudain à portée. Et les plus de 35 ans de notre époque en ont vécu une : la chute du Mur. Souvenez-vous. Pour ma part, j’avais 13 ans en 1989. Rappelez-vous cette décennie. En dix ans, nous étions passés de l’ombre sinistre des euromissiles au triomphe de la paix et de la liberté sur l’étoile rouge, sans un coup de feu ; et nous avions vu de même les dictatures de droite d’Amérique latine ou des Philippines tomber comme des fruits mûrs. L’Apartheid vacillait sur ses bases. Les vieux despotes africains s’éteignaient, et dans cette dynamique, l’écrasement du Printemps de Pékin apparaissait comme l’ultime soubresaut d’un monde en train de finir.

Traitez-nous de naïfs, je voudrais vous y voir : comment vouliez-vous qu’à cette époque, nous n’ayons pas été tentés de croire que ça y était, que tous les peuples allaient se tendre la main d’un bout à l’autre du monde et parachever ensemble le règne de la paix et de la vie bonne pour tous, que plus jamais un tyran n’oserait lever une oreille et que la fin des inégalités n’allait plus dépendre que de nous ?

Que notre vie ne dépendrait plus que de nous et qu’il n’y aurait plus d’armes braquées sur quiconque ?

Le même rêve n’a-t-il pas habité l’humanité en 1919, par exemple ?

Nous avons vite compris que ce serait plus dur que prévu. Mais se dire que c’est fini, que c’est raté, et que ce sera toujours raté jusqu’à la fin des temps, c’est une autre histoire. Nous ne voulons pas renoncer à ce rêve parce qu’il semblait se concrétiser enfin, et voilà pourquoi, peut-être, son échec nous scandalise et nous horrifie plus qu’il ne devrait. C’était si bien parti.

Cherchons encore : il y a ce constat de se trouver, inexplicablement, pris pour cible par une haine glacée, implacable, sans comprendre pourquoi. Par le terrorisme, nous nous sentons visés, chacun personnellement et d’une manière atroce et injuste.

Nous nous sentons surtout impuissants. Il ne faut pas céder à la peur, c’est entendu. Il faut faire preuve de résilience. Nous pouvons nous inspirer des Londoniens en 1940. C’est vrai. Ils n’avaient rien fait qui justifiât qu’on bombarde leurs maisons. Il n’en fallait pas moins courber le dos, attendre, et enterrer les morts.

Il fallait se mobiliser pour la victoire finale, ce qui, pour un civil, prenait des formes bien modestes et bien indirectes.

Le but politique n’en était pas moins clair. L’Allemagne vaincue, ce serait fini.

Quand sera-ce fini ? Quelle victoire sur le terrorisme ? Nous nous sentons impuissants parce que nous, civils, pouvons un peu voir ce qu’il ne faut pas faire, mais guère voir ce qu’il faut faire ni ce que nous pouvons y faire. Pas grand-monde ne semble le savoir clairement. Passe encore que la course vers la solution politique du conflit soit longue et difficile, si l’on s’y sait embarqué. Mais si l’on n’a même pas idée du cap, comment voulez-vous y arriver ?

Nous espérions maîtriser notre destin et voilà la perte de contrôle absolue. Subir sans même savoir en attendant quoi. Sans même savoir quel objectif peut se fixer l’État, l’homme politique, a fortiori le citoyen. Traquer les réseaux terroristes existants, oui, bien sûr. Mais empêcher qu’ils renaissent sans cesse ? Et empêcher qu’ils naissent sous d’autres formes, sous d’autres bannières ? Mystère.

Mystère et boule de gomme de dirigeants qui, du reste, savent qu’on gouverne mieux une société divisée. Que des citoyens unis – autrement que mobilisés par quelque funeste chef de guerre – pourraient bien avoir l’idée de se passer d’eux, de se voir autonomes. Divisons donc et prenons le pouvoir.

De fait, tous nos candidats « rassemblent » en divisant. Rassemblent contre et rarement pour. Pas même pour faire quelque chose ensemble.

C’est l’impasse de l’impuissance : normal d’avoir peur, acculés sans défense.

D’où viendra l’issue ?

D’une « société écologique » n’espérant plus l’illusoire miracle d’une surabondance matérielle, mais fondée sur les liens humains tissant une « vie bonne » plus sobre, et partant moins compétitrice, moins hargneuse, moins tendue (n’a-t-on d’ailleurs pas assez démontré que le dérèglement climatique et les sécheresses à répétition jetaient des hommes dans les bras du djihadisme ?)

Celle-ci est-elle possible ? Pouvons-nous la fonder plantule par plantule, au-delà de la peur ? Qui en voudra ? Nous sommes beaucoup, sans doute… parfois à la désirer sans le savoir. Sa route est pavée de renoncements : à des biens, au pouvoir, à la facilité de la haine, et surtout, hélas, à la croyance que cette société de paix simple et mondiale puisse, réellement, survenir. Seul le retour ultime du Christ donnera même pâture au lion et à l’agneau – au vif soulagement des mercantis, car ils n’auraient alors plus qu’un seul produit à vendre aux deux. En somme, il faut surmonter notre peur pour construire une paix dont nous savons d’avance qu’elle ne sera jamais aussi complète que nous l’espérons, une « vie tranquille » qui ne peut être qu’un doux rêve. Nous savons que la paix, la paix générale, c’est pour demain, mais jamais pour aujourd’hui. Cela ne sera jamais pour un aujourd’hui humain.
Mais cela reste le seul moyen de s’en approcher quelque peu. Nous avons peur mais il faut cultiver notre jardin.

Coup de froid sur la nature

Les débats politiques n’y changent rien, les insultes volent, mais l’écologie de terrain continue son travail, comme elle peut.

Il faisait frisquet à sept heures juste, sur les hauteurs de Dareizé (50 km au nord-ouest de Lyon), à presque 700 mètres. C’est un de mes points STOC-EPS habituels. Le STOC-EPS est un suivi d’oiseaux communs sur lequel je ne reviens pas http://vigienature.mnhn.fr/page/protocole-et-aide-lanalyse Disons juste, si vous n’êtes pas familier de ce blog, qu’il s’agit d’un des nombreux carrés-échantillons où l’on compte, deux fois par an, l’abondance des oiseaux, d’une manière simple, suffisante pour élaborer, avec la masse de données, des tendances nationales et régionales d’évolution des espèces communes.

A force, on les connaît, ces carrés. A quelques variations de date ou de météo près, on sait à quoi s’attendre et les surprises sont rares. Aujourd’hui, sur ce premier point, le Bruant jaune habituel manquait. Mais sur le numéro deux, j’ai entendu un Torcol, et ça ne m’arrive pas souvent. Le Torcol est une sorte de petit Pic vêtu couleur écorce, qui aime les vieux arbres creux, dans le bocage, pas en forêt. Théoriquement répandu au sud d’une ligne Nantes-Sedan, il n’en est pas moins rare.

Le reste fut sans surprise. Bien moins de Rossignols et de Fauvettes grisettes – pas une seule, même – qu’hier à Chassagny, plus au sud, et surtout plus bas. Tant mieux : c’est bien gentil les rossignols, mais quand ils chantent, on n’entend qu’eux, et quand vous n’avez que cinq minutes réglementaires pour démêler la pelote des chants d’oiseaux que vous entendez, il vous vient une irrépressible envie de les faire taire.

Il n’empêche qu’il faisait beau, presque calme – sauf en contrebas, près de la grand-route – et que les talus étaient hérissés de coucous (oui, à cette altitude, il y a un peu de retard) et des premières silènes. Les prés, tout blancs-rosés de cardamines, la fleur qui s’épanouit quand arrive le Coucou, l’oiseau. Dont j’ai entendu, d’ailleurs, une bonne demi-douzaine de chanteurs.

J’ai même vu quelques orchidées. Orchis mâle, je pense.

Et puis il y a ces observations d’oiseaux communs mais qui se laissent voir de près, pour une fois : le Tarier pâtre, tête noire, ventre rouge, épaulettes blanches ; le couple de Faucons crécerelles toujours fidèle à sa lucarne sur une vieille grange de pierre, de ce beau porphyre local d’un rouge pâle ; et la linotte, et le geai.

Et les Hirondelles rustiques juste aperçues en voiture mais qui ont bien retrouvé la vieille ferme, celle dont le tracteur, implacable, macule de boue la grand-route au même point kilométrique.

Oui, tout ça, par une belle journée, devrait réjouir le cœur. Sauf qu’il n’y est pas.

Déjà, c’est tout juste si l’on a le temps de les voir, les faucons, les silènes, les orchis et les geais. C’est le protocole : pour garder des conditions aussi homogènes que possible d’un point à l’autre, il faut faire vite. Avant le lever du soleil, tous les oiseaux ne chantent pas encore. Deux heures après, beaucoup commencent déjà à se taire. Il y a dix points de cinq minutes à faire, plus les temps de déplacement. Vous voyez que pour éviter un biais énorme entre vos points 1 et 10, il ne faut pas lanterner sur les petites routes.

Et puis vous êtes seul. Les données sont saisies, oui, mais avec qui partagez-vous les talus jaunes de fleurs, l’émotion à « capter » le Torcol, les cabrioles des crécerelles ? « Point 690325_01 – FALTIN 2 1xmâle 1xfemelle Code atlas 6 » c’est un peu sec.

Peut-être est-ce pour cela, en fin de compte, que le message ne porte pas.

Que le financeur même de cette collecte de données s’en moque, et n’hésite pas à prétendre, à qui veut l’entendre, que vous ne sortez jamais de « votre bureau parisien » (ou lyonnais, mais qu’importe), quand ce n’est pas à vous traiter d’insecte malfaisant.

Parce que du frémissement de la vie, dans les données, il ne reste rien.

Pourtant, disait Saintex, il ne faut pas dire à une grande personne « J’ai vu une maison blanche avec des tuiles roses et une glycine » mais « J’ai vu une maison de cent mille francs ». Alors elle s’écrie : « Comme c’est joli ! »

Nous avons à peu près tout essayé : l’émerveillement, l’utilitaire, les chiffres, et généralement une combinaison de tout cela.

Et rien à faire : la vie sauvage se retire du monde où nous avons à vivre aussi, et cela signifie que nous y passerons bientôt, nous aussi, et le sujet ne sera même pas devant les urnes dimanche.

Alors on continue mais le cœur, certains matins froids, n’y est plus.

Et puis le cœur n’y est pas parce que dès le premier point, de là-haut, on devinait la métropole. Hérissée de tours aiguës, au profil tranchant. Hérissée de brumes, de fumées, de tensions et de haines, et qu’il allait falloir y replonger.

Non qu’il n’y en ait ici. Qui me dit que la jolie ferme au bout du chemin n’héberge pas un paysan au bout du rouleau, criblé de dettes ?

Mais voilà. Tassés par millions sur quelques kilomètres carrés, pourris de NOx, de vacarme et de rancoeurs, loin des coucous et des silènes… et c’est là qu’il faut revenir. Sans oublier de pianoter sur le smartphone même où l’on a noté l’hirondelle, pour apprendre les mauvaises nouvelles du jour.

De retour on saute sur les sites d’info en continu avant que de saisir les obs’.

La grenouille saute dans l’eau bouillonnante de haine et ce n’est pas comme dans la fable. Elle le sait parfaitement. Mais elle n’a pas le choix.

En Avent… la politique

« Or, le peuple était dans l’attente. »
Décidément, depuis deux mille ans, rien n’a changé. Nous sommes dans l’attente. Nous sommes dramatiquement insatisfaits de notre pays, de notre société, de nos perspectives d’avenir. Notre rapport à l’étranger est problématique, et plus encore notre rapport au pouvoir. Déconnecté, corrompu, tenté par la dérive sécuritaire… Nous avons nos collecteurs d’impôts. Nous avons nos scribes et nos pharisiens (généralement c’est l’autre. Et comme le disait Desproges, le pharisien est sot. Il croit que c’est nous qui faisons du pharisaïsme alors que c’est lui.)
Et nous n’avons plus guère de prophètes (ou ne les voyons pas, ce qui revient au même). D’ailleurs, selon certains, se nourrir de miel passerait encore mais dévorer d’innocentes sauterelles serait encore trop cruel.

Nous sommes dans l’attente comme le peuple d’Israël. Nous voyons bien qu’il y a un truc qui cloche (et même beaucoup). Alors, nous espérons le coup de balai miracle.
« Il (ou elle) va remettre de l’ordre dans la maison. Chacun chez soi et chaque chose à sa place. Il (ou elle) a de l’autorité, des convictions, etc. » Un chef à poigne, intègre et ferme, sans pitié. Ça, ça aurait de la gueule. Postures martiales des candidats. La tête levée, le cou tendu. Ceux de qui c’est-de-la-faute ne vont pas rigoler. Cette fois, ils vont voir, les Romains. Ça va être la vague Messie (à ne pas confondre avec celle qui balaie les pelouses de Liga le samedi soir, merci). On va te me les bouter hors de Palestine et reconstruire un beau palais pour notre Messie de combat. L’iconographie croisée fait recette. On brandit son identité en sautoir comme un glaive – qu’il s’agisse, d’ailleurs, d’une « identité chrétienne » ou d’une « identité laïque républicaine ».

D’ailleurs, nous répétons en boucle que nous sommes en guerre – contre tout. Après quarante années de « crise », c’est désormais la « guerre », et la menace du « chaos » a succédé au spectre de la « récession ». Chacun d’entre nous est invité à se montrer bon républicain en sachant voir dans son voisin un ennemi mortel. Musulman radicalisé, khmer vert, catho-clérical-intégriste, fraudeur fiscal, fonctionnaire-fainéant, chômeur-assisté, ou tout simplement concurrent sur le marché (du travail ou autre). Nous pensions pourtant avoir compris le prix et la vraie valeur de la paix, il y a un mois. Et nous n’avons rien de si pressé que de déclarer des guerres à tout va !

Déjà, pour commencer, fichez la paix à la crèche. Voyez en elle ce qu’elle est : l’évocation, qu’on y croie ou non, d’un Dieu humble et proche des gens simples, des pauvres, des faibles. Cessez d’en faire l’étendard d’un défi politicard, le bouclier d’une défense, l’épée d’une agression contre « votre liberté ». Sur ce dernier point, même et surtout si vous pensez, si vous savez que celui qui l’a disposée là l’a fait dans ce but. Renvoyez-lui donc qu’il est à la ramasse, celui qui embauche le Christ de Bethléem pour en faire son épée. Au lieu de rentrer dans son jeu, retournez-lui son pathétique contresens. Celui qui a tant aimé le monde qu’il a souffert la Passion pour lui ne peut agresser personne, et surtout pas par son image dans la paille.

La crèche. Nous l’avons posée au pied du sapin – enfin, non. (J’espère que non car la monoculture du sapin de Noël est anti-écologique et anti-paysanne au possible.)

Une fois de plus, donc, ce sera la même histoire. L’Avent touche déjà à sa fin et nous allons encore nous faire la même remarque : nous attendons un chef de guerre et Il arrive comme un enfant. Et il fera son entrée dans la Ville monté sur un âne, avant de passer à la casserole. Et nous nous dirons encore que nous ne l’avons pas reconnu, etc.
Mais j’en ai assez, moi, de rater mon Avent de cette manière-là, pas vous ?
Cela dit, je ne sais pas plus que vous comment faire.

Je voudrais qu’on en sorte. Que « lâcher prise » et « accueillir Dieu comme un enfant » (avec les deux sens possibles), cela cesse d’être des mots creux qu’on remâche tous les ans. Nos débats, nos réseaux, notre blogosphère bruit d’un seul thème : tenter de tout comprendre et d’imaginer la solution qui remettra tout en ordre, une bonne fois. Rien de plus louable en soi, c’est comme cela que commence la politique, ou même la citoyenneté : se sentir concerné par ce qui nous dépasse, et vouloir y apporter un peu de bien à partager. Seulement, précisément, cela nous dépasse ; le monde n’a jamais marché droit ni tourné rond, et ne le fera jamais avant que Lui revienne autrement que monté sur un âne. Mais Sa venue comme un enfant, Son entrée à Jérusalem sur un âne, et toute la suite, ont bouleversé le monde comme jamais. L’amour, le don, l’humilité ont fait bien plus, ont imprimé une marque plus durable dans l’histoire qu’aucun conquérant, jamais. Ils ont relevé bien plus de défis qu’aucun chef charismatique, aucun parti totalitaire, aucune politique « courageuse » (entendez par là consistant à serrer la vis des faibles et des pauvres pour sauvegarder le trône du puissant). Ce ne sont pas des mots, ça : c’est ce qu’enseigne l’Histoire. Et c’est aussi ce que nous professons chaque dimanche (au moins).

L’échec à mobiliser les citoyens occidentaux face à la crise écologique révèle à quel point nous ne croyons pas ce que nous savons. Face au mystère de l’Incarnation, croyons-nous ce que nous professons, ce que nous chantons, ce que nous acclamons ?

Si oui, alors c’est avec au cœur l’enfant de la crèche que nous bataillerons en politique. Non pas seulement dans notre « conversion individuelle » mais dans tous nos engagements, et aussi dans nos exigences vis-à-vis des élus, ceux qui se réclament du bien commun, de « valeurs humanistes de la République » et a fortiori ceux qui revendiquent des « racines chrétiennes ». Oeuvrez donc dans l’amour et par amour ; ayez souci du faible et du pauvre, respectez tout ce qui nous est donné. C’est notre exigence de citoyens et de chrétiens, si vous-mêmes vous dites tels. Puisez, puisons dans la crèche la vraie inspiration. Tout particulièrement cette année, l’année de la miséricorde.

On le dit tous les ans. Cette fois, on le fait. D’accord ?

L’écologie (et la foi) contre la peur

« La France se replie sur elle-même ». « Le Front national rassemble la France qui a peur ». Et de railler, bien entendu, la soi-disant mesquinerie de ces peurs, le « bas du front » d’une « France moisie ». Trente pour cent des suffrages exprimés, tout de même. Qu’envisagent donc nos génies de l’insulte ? la noyer ?

Mais à ces mêmes génies, je ferai aussi observer qu’ils ne manquent pas de culot. La France a peur ? Quel étonnement !
Au moins depuis septembre 2001, notre classe politique n’a jamais rien su faire d’autre que nous écraser de peurs.

Peur de « la crise » : quarante-deux ans de crise tout de même, contre trente aux Glorieuses du même nom, qui n’empochent même plus le bonus défensif. Une peur face à laquelle rien ne nous est proposé que les « solutions » les plus anxiogènes : commodités de licenciement, baisse des salaires – et prioritairement des plus bas, report de l’âge de départ en retraite, etc. Et de nous citer en exemple l’Allemagne et son taux de chômage en baisse… en raison de l’explosion du nombre des travailleurs pauvres.
Depuis si longtemps, bien avant l’état d’urgence permanent, nous baignons dans l’état de crise permanent.
Et nous nous sommes livrés aux professionnels de la « gestion de crise ». Ils présentent bien. Ils sont raisonnables, eux, ils sont pragmatiques. Ils savent. Ils aiment nous rappeler que ce n’est pas à nous de penser ; de toute façon, on ne pense pas Monsieur, on ne pense pas, on compte. Et ne pensant plus, nous nous sommes laissés balloter par nos émotions, et avant tout par notre peur.

Peur du terrorisme, naturellement : le plus fier-à-bras des partis sur le sujet remporte les suffrages ? Quelle surprise ! Dans quoi pouvons-nous baigner quand le « quotidien de référence » choisit de placarder à la une, chaque jour, l’éloge funèbre d’une des victimes du 13 novembre ? Comme s’il en était besoin pour se souvenir, comme si l’on allait honorer et défendre « la joie de vivre » en barbotant dans le deuil cent trente jours de rang.

Peur du lendemain : étonnant, quand le projet d’avenir se limite à toujours plus de compétition, toujours plus de précarité, de conflits et de tensions, toujours moins de repères, de points d’ancrage, au combat permanent dont seule une poignée peut sortir vainqueur ? Au chaud dans leur tour d’ivoire, les scribes – qui, aujourd’hui comme hier, jouissent, comme chacun sait, d’une situation assise – peuvent bien huer ces Français déjà pauvres et précaires pour leur manque d’enthousiasme à s’enfoncer encore plus à l’aveuglette dans l’inconnu, après leur avoir décrit ce dernier comme terriblement dangereux. Effarant darwinisme sociétal : celui qui aspire à construire une existence paisible pour lui, ses proches et ses descendants, voire ses contemporains, est vilipendé comme faible, indigne de la Liberté, de la Modernité. Il est loin le temps où Léon Blum défendait à la tribune le droit du travailleur à la paix du foyer. Ainsi hue-t-on le retour du spirituel comme preuve de faiblesse : « qui sont donc ces faibles qui veulent plus d’amour, plus de fraternité, plus de justice ? Au combat, que diable ! et en compétiteurs sans merci! »
Le ton avec lequel nos chantres du Marché décomplexé vendent la guerre de tous contre tous ressemble péniblement aux tirades enflammées des généraux vantant le sacrifice suprême à l’été Quatorze.

Peur de l’autre. Quoi, la France aurait peur de l’autre ? Cet autre allègrement assimilé à l’ennemi intérieur depuis des années ? Cet autre, cible depuis quinze ans d’une rhétorique Nous/Eux : jeune, c’est un délinquant ; barbu, c’est un terroriste ; catholique, c’est un agent moyenâgeux du Vatican tentaculaire ; écologiste, c’est un djihadiste vert ; handicapé, c’est quelqu’un qui n’aurait pas dû naître ; chômeur, ou tout simplement pauvre et bénéficiant d’allocations, c’est un parasite ; salarié, c’est un tire-au-flanc congénital ; migrant, c’est une opportunité de tirer les salaires et les conditions de travail vers le bas. « En tout cas, mes chers électeurs, vous êtes entourés de gens Pas Comme Vous, c’est-à-dire de gens qui vous veulent du mal. Rasez les murs, la France est infiltrée d’autant de cinquièmes colonnes que nous en fantasmons pour vous. Mais vous êtes bien rances et moisis d’avoir peur. »

Peur enfin à cause d’un sentiment d’impuissance. Nous vivons écrasés de « c’est ainsi », « il faut s’adapter », « c’est la modernité » (ou la postmodernité), ce que vous voudrez : peu importe : nous ne sommes plus citoyens ni acteurs dans ce monde-là, nous ne le bâtissons pas plus que nous ne le pensons, ou alors « à l’insu de notre plein gré ». Nous sommes priés de subir. Il nous faut accepter ce qui est, soi-disant, la résultante de la liberté, mais que personne n’a souhaité, ni prévu, et dont bien peu veulent, ne serait-ce qu’en raison du nombre effarant de laissés pour compte. Nous sommes priés de nous laisser traîner là et, c’est bien connu, il n’y a pas d’alternative.

Il n’est pas un parti qui n’ait fondé son discours sur la peur. Il n’en est pas un qui n’ait pris soin de peindre, avec ses propres couleurs, le climat le plus anxiogène possible, pour mieux se poser en sauveur. Sans surprise, le plus chevronné en la matière l’emporte – d’une courte tête – avec un discours bien rodé : comme il n’y a pas de plus authentique Autre que l’étranger, c’est cette dénonciation-là qui rallie les suffrages. Nous sommes si bien entre nous !
Rien que l’épisode Breivik devrait nous en dissuader. Ou alors quelque regard en arrière dans notre histoire. Jamais l’homogénéité culturelle, religieuse ou ethnique n’a garanti en soi, et en quelque manière que ce soit, une société moins parcourue de tensions, moins criminogène, ni même moins divisée.
En revanche, attiser les peurs, les rejets, les divisions et en jouer les exaspère jusqu’au risque d’explosion. Etonnant, non ?
Que faire d’autre ?
« Joie de vivre, vivre ensemble, tous en terrasse ! » Et voici l’horizon eschatologique proclamé par notre Premier ministre : « Consommez, c’est le moment des fêtes, dépensez, vivez ! »
Et ce vide ne comble pas le vide. Décidément, nous vivons une époque de grandes découvertes pour nos maîtres.

Avec quoi le comblerons-nous donc ?
Ce temps de l’Avent donnerait bien des idées : miséricorde et Grâce.
Il y a gros à parier que sur les marchés de Bethléem, ces réseaux sociaux du temps d’Hérode, on s’exprimait à peu près comme sur les nôtres : c’est la crise, c’est à cause de ces étrangers, nos élites veulent la mort du petit commerce et vous avez vu cette présence policière, ces bruits de bottes (enfin de caligae). Et ça ne L’a pas dissuadé de venir.

Ce n’est pas tout. Malins comme je vous connais, vous avez remarqué qu’il manque un point dans ma première partie : la crise écologique.
Et c’est vrai. Celle-là aussi, nous peinons à la présenter autrement que comme source d’angoisses sans nom. Je serais mal inspiré de le nier. C’est qu’à la différence de toutes les autres, c’est vraiment une angoisse mortelle, et qui pourtant, reste obstinément à l’arrière-plan. Nous n’avons plus de temps à perdre et pourtant « nous ne croyons pas ce que nous savons ». C’est effrayant, pour de vrai. Et personne n’a envie de l’entendre. Ce n’est pas le bon moment.

Et pourtant, parce qu’il est question de vie, nous écologistes – et spécialement écologistes chrétiens – devrions, tout spécialement, savoir conjuguer l’exposé de la vérité à l’annonce de l’espérance. La catastrophe menace, elle est même déjà là, mais la bonne nouvelle, c’est que les réponses, les bonnes réponses, sentent la vie. Chacun de nous ne peut sans doute pas grand-chose, mais au moins y a-t-il quelque chose à faire, c’est-à-dire déjà refuser de subir.

L’écologie, celle des citoyens qui s’engagent et des scientifiques qui parlent vrai, n’est pas occupée à instrumentaliser une crise au profit d’un vague pouvoir. Je sais que l’accusation est courante : autant accuser votre médecin généraliste de diffuser lui-même le virus de la grippe… Nous nous en passerions bien, de ce combat. Mais il faut bien. Mais je m’égare : je disais, donc, qu’il y a une bonne nouvelle que nous devons savoir annoncer. Cette nouvelle, c’est que le remède n’a pas vocation à être plus amer que le mal. La conversion écologique sera joyeuse, ou alors elle ne sera pas écologique. A M. Valls et à ses pairs, opposons Isaïe 55 : pourquoi consommer et dépenser de l’argent pour ce qui ne rassasie pas ? Retrouvons le chemin des véritables mets succulents : l’humain plutôt que les biens, l’oiseau dans l’arbre plutôt que sur l’écran, la relation en vrai plutôt que « l’expérience connectée », la gratuité plutôt que la rentabilité, le partage plutôt que l’austérité. Il sera autrement plus simple, alors, d’opposer à mesdames Le Pen la fraternité universelle et l’amour du prochain sans condition.

Notre responsabilité est là : être signes et paroles d’espérance. Alors, nous n’aurons plus aucun besoin des professionnels de la gestion des peurs.