Un « Laudato Si’ en actes » grand comme le monde: de retour de la conférence #LaudatoSi18

Nous rentrons tout juste – il y a quelques heures – de la conférence internationale « Laudato Si’ – Saving our common home and the future on life on earth » organisée au Vatican par le dicastère pour le développement humain intégral. On se pince encore un peu mais oui, invités au nom de la revue Limite, nous avons bien assisté à cet événement, entre un comptage raté de hiboux à Dardilly et un suivi de carrière à Mions.

Pour en savoir plus sur cet événement, retrouver le programme, toutes les interventions… consultez son site laudato-si-conference.com et les tweets publiés sous #LaudatoSi18

Que retenir de ces deux journées ?

S’il y en avait une seule, je dirais celle-ci : ne laissons plus jamais dire et ne soyons plus jamais tenté de croire que l’écologie, c’est bien gentil, mais c’est un luxe de riches, un sujet de second plan, et que d’ailleurs il n’y a que quelques bobos de New York ou de Paris pour s’en soucier. Qu’on a autre chose à faire que s’occuper des petits oiseaux quand on doit affronter le chômage.

Il faudrait que tous ceux qui ne sont pas convaincus puissent rencontrer ces gens des îles du Pacifique, du cœur de l’Amazonie, d’Inde ou du bassin du Congo, du Groenland ou du Burkina-Faso, qui se battent là-bas, au quotidien, dans leurs villes, leurs villages, leurs campagnes et leurs forêts, pour leurs terres, leurs fleuves, leurs familles et leurs enfants. Ils leur expliqueront pourquoi sauvegarder les arbres, les sources, la forêt, pourquoi développer l’agro-écologie plutôt que les puits de pétrole, pourquoi limiter le réchauffement global à 1,5°C, et offrir un avenir décent à tous, c’est tout un. C’est plus que lié, c’est la même chose. Ce n’est ni moi, ni un onucrate rousseauisant, ni un éditorialiste de Manhattan ni un cardinal italien ni même un pape argentin qui l’affirment, c’est eux. (Chez nous, c’est la même chose ; mais la modération des climats tempérés et une dépense d’énergie effrénée nous le cache encore pour quelque temps).

Et ils sont venus de l’autre bout du monde pour nous le dire.

Mais pas que pour le dire : pour témoigner, depuis le terrain. Le terrain, c’est là où les Pacific Climate Warriors de Nouvelle-Zélande ou des Samoa rapportent que des grands-parents ne peuvent plus montrer à leurs petits-enfants où ils jouaient et allaient à l’école : tout ça est sous un mètre d’eau. Le terrain, c’est là où le cardinal Barreto Jimeno reçoit des menaces de mort parce qu’il défend les paysans, les autochtones, qui veulent sauvegarder leurs terres contre un projet d’exploitation d’hydrocarbures. C’est là, à Patna, dans le nord de l’Inde, où les étudiants de l’ONG Tarumitra reboisent, recréent des forêts, de véritables réserves naturelles – oui oui, Elzéard Bouffier existe, mais il est indien et il a dix-huit ans. C’est chez les membres du REBAC (Réseau ecclésial du bassin du Congo) où l’on se mobilise pour sauver l’un des trois poumons verts du globe (avec l’Amazonie et l’Asie du Sud-Est bien entendu), et même de former un réseau qui unisse les défenseurs de ces trois grandes entités forestières. Ils ont autre chose à faire pour « le développement », pourtant, n’est-ce pas ?

Et bien non.

Nous ne mesurons pas, en France, où nous sommes cinq pour cent de catholiques, pas beaucoup d’écologistes engagés et encore moins qui sommes les deux à la fois, ce que ça signifie à travers le monde, Laudato Si’. Pour nous, ça reste une préoccupation qui commence doucement à mobiliser un groupe archi-minoritaire de la société. Ailleurs et notamment dans ce que nous appelons le Tiers Monde, c’est un élan, un souffle vital qui se traduit par d’innombrables initiatives au profit de la planète et de la dignité des pauvres, des petits, des déclassés, des indigènes oubliés, que sais-je, tout cela à la fois, tout cela ensemble. Tout n’est pas né de l’encyclique bien sûr. Je ne sais plus quel est le participant, un représentant des peuples indigènes d’Amazonie je crois, qui a dit : « lisant cette encyclique nous avons été enthousiasmés de voir le pape reprendre nos mots, nos combats ». Mais tout ce qui bourgeonnait ici et là peut maintenant s’unir, les racines s’entrelacer comme elles le sont dans le sol de la forêt, une forêt grande comme le monde. Et cela faisait du bien, d’ailleurs, d’élargir notre horizon au-delà des réflexions franco-françaises – certes fort utile, et notre pays a besoin qu’on pense sa situation, son état, son avenir – mais regarder au-delà, c’est régénérant. Se dire : cette personne est venue des Samoa, celle-là du Pakistan, celle-là du Pérou pour parler d’initiatives écologiques concrètes à Rome, rien que ça, le vivre concrètement, cela ne laisse pas intact.

De même, nous Occidentaux, croyants et non-croyants, ne mesurons pas le rôle que peut jouer l’Église. Je ne parle pas de l’institution avec ses allures pyramidales mais bien du réseau formé par la communauté des croyants. Dans de nombreux pays où l’État est défaillant sur tout ou partie de ses territoires, ou hostile aux pauvres, ou corrompu, ou tout cela à la fois (et ça va souvent ensemble, et sous toutes les latitudes) l’Église, elle, est présente. Non évidemment que les hommes d’Église soient tous intègres dévoués corps et âme à la cause des pauvres (mais il y en a quand même pas mal…) – ils sont pécheurs comme les autres. Mais elle existe comme entité toujours là pour que s’unissent les hommes de bonne volonté. Un rôle qu’elle endosse au fond depuis toujours, et jamais si bien que quand le césaropapisme sombre.

Bref : ça bouge. Pas assez vite. Là-dessus, scientifiques et hommes du cru s’accordent : tout va très mal et il nous reste peu de temps, presque pas de temps avant que la crise climatique et la crise d’extinction –et celle-ci, même s’il faut encore souvent le rappeler, tend à s’imposer comme une urgence aussi aiguë que l’autre – avant que ces crises, donc, ne nous jettent dans un chaos qu’il vaut mieux ne pas imaginer. Le chaos et la honte pour les coupables, et honte il nous a fait, ce chamane groenlandais, à la tribune avec son collier de dents d’ours, qui tonnait « je vous ai vus ! vous ne respectez même pas les intervenants de votre propre conférence : je vous ai vus, vous étiez tous sur votre téléphone. Et le monde non plus ! vous ne le voyez pas ! il ne vous intéresse pas, vous regardez votre téléphone. »

Mais ce n’est pas qu’à l’aune de l’immobilisme occidental (ni de notre téléphone) qu’il nous faut juger la situation. C’est aussi à l’espérance qui naît devant tous ces arbres qui sont plantés, qu’il s’agisse de ceux de Tarumitra, des monastères de Poblet ou de Notre-Dame du Chêne, du centre Songhai (centre d’agro-écologie au Bénin) et de bien d’autres encore. Nous avons conclu les travaux en répétant qu’il y en avait assez des sommets et encore des sommets, qu’il fallait des actions. Cette « conférence internationale » était un peu plus qu’un sommet, justement parce qu’elle réunissait des femmes et des hommes, des moins jeunes et des jeunes, engagés sur le terrain et parlant du (depuis le, et au sujet du) terrain. Nous avons échangé des contacts (et j’ai maudit vingt fois par heure mon anglais calamiteux) mais aussi de l’espérance, la certitude de ne pas être seuls, de ne pas être abandonnés. La certitude aussi que l’Église donnait là la première place aux combats des pauvres – des pays pauvres, des peuples indigènes, pour leur dignité.

Il y aurait encore beaucoup à dire ; et notamment le fait que nous n’avons jamais oublié dans nos travaux que le fil rouge, c’est de recevoir avec gratitude la planète, la Création comme un don, un don non pas pour accaparer, mais pour redonner, partager. Que l’écologie n’est pas qu’une question scientifique, biologique, économique ni même anthropologique mais aussi une louange.

A part ça, je déteste l’avion, surtout quand il y a un tel vent de travers qu’il se pose en crabe, je déteste les procédures dans les aéroports, et il y a du Serin cini dans les jardins du Vatican et même que je l’ai saisi sur Ornitho.it

LaudatoSi18Temoins

Assis à la tribune, de gauche à droite: Macson Almeida, Don Bosco Alliance verte, Inde; Delio Siticonatzi, REPAM (Red Ecclesial Panamazonica); Allen Ottaro, Réseau catholique de la jeunesse pour l’environnement durable en Afrique (Kenya); Bruno-Marie Duffé, secrétaire du dicastère pour le développement intégral (DSSUI); le cardinal Parolin, secrétaire d’Etat du Saint-Siège; le cardinal Turkson, Préfet du DSSUI; Delia Gallagher, (CNN); Laura Menendez (Mains Unies / Espagne); Jade Hameister (Australie), plus jeune exploratrice à avoir atteint le Pôle Nord