Chronique d’une saison de terrain – 13 Le comment et le pourquoi

A partir de mai, les matinées de terrain s’enchaînent sans cesse, à moins que la météo ne vienne contraindre à la pause. C’est une phase curieuse, où l’accumulation ramène des questionnements que le tourbillon d’activité ne sait plus masquer.

Village de Schrödinger

Un STOC de plus, dans les monts de Tarare. A une cinquantaine de kilomètres de Lyon, tapi au fond de la vallée, s’étend le petit bourg de Saint-Clément…
Un Saint-Clément de Schrödinger ! Est-il dessus ou dessous ?
Le panneau d’entrée est sans équivoque : Saint-Clément-sous-Valsonne. En revanche, sur toutes les cartes IGN, la nomenclature officielle, on lit : « sur ». Quant aux cartes postales anciennes, elles alternent sur, sous, et même « de ». La mairie, sollicitée, l’affirme : c’est « sous » !
Pourtant, sur le terrain, l’affaire est claire. Saint-Clément est en-dessous, en contrebas de Valsonne, perché sur son éperon un peu plus haut sur la route du col du Pilon. Personne n’aurait jamais dû avoir l’idée bizarre de parler de Saint-Clément-sur-Valsonne pour le village situé en contrebas de Valsonne, dans la vallée du Soanan.

Quelle coquille, quelle intervention technocratique a valu à ce bourg de voir ainsi son nom écorché ? Pourquoi Saint-Clément se retrouve-t-il sens-dessus-dessous-Valsonne ? Contacté, le merle du coin n’a pas souhaité faire de commentaire.

Le carré, lui, s’étend sur les hauteurs, de part et d’autre de cette fameuse vallée, dans laquelle il se contente de semer deux ou trois points. De là-haut, la vue s’étend sur un paysage de hauteurs couronnées de résineux. Fermes, prairies et champs s’accrochent à mi-pente. C’est un carré si familier que j’en ai déjà parlé sur ce blog. De plus, il y a du vent. Il est donc improbable que j’y fasse de prodigieuses découvertes. De toute façon, je ne suis pas là pour ça : vous le savez maintenant bien, le STOC-EPS n’a pas d’autre rôle que d’élaborer, à partir du suivi de centaines de carrés tels que celui-ci, un indice d’abondance des quelque deux cents espèces les plus communes du pays. Le protocole, avec ses points de cinq minutes, est trop léger pour débusquer les raretés ; ce n’est pas son rôle.

Voici l’habituel Pipit des arbres, chanteur des lisières, revenu d’Afrique une fois encore. L’Alouette lulu, cette alouette qui aime moins les champs que les landes et les haies ; et le Tarier pâtre en habit rouge qui craque et siffle son inquiétude. Le nid est proche, à n’en pas douter. Avec quelques grives et pouillots, un Coucou, qui chantent dans les bois, et des Fauvettes grisettes çà et là dans les haies, ils brossent le tableau sonore qui répond à ce paysage varié, montueux, semi-ouvert.
Voilà les habitués. Et c’est tout.

Ce qui ne manque pas d’engendrer une certaine frustration lorsqu’on devine qu’en fouillant un peu plus, ou en s’écartant un brin du point en direction de cette lande à genêts, là-bas, on pourrait trouver « une craquenille un peu sympa ». Mais la science avant tout, il faut d’abord que les données soient comparables d’un carré à l’autre et d’une année à l’autre ; c’est assez de l’effet observateur, qui, déjà, peut faire varier considérablement les résultats sur un même carré.

En coulisses: l’effet observateur

Car il y a un effet observateur. Placez deux ornithologues, un beau matin, dans un même milieu, demandez-leur d’appliquer, sans échanger entre eux, exactement le même protocole, et vous verrez des différences. Modérées, surtout quantitatives, mais réelles. Et ceci, sans qu’on puisse le corréler à une affaire de « compétence ». C’est une tambouille mystère que l’effet observateur. Les qualités innées de l’oreille, auxquelles leur propriétaire ne peut strictement rien, y sont sans doute pour beaucoup. Pour ne rien arranger, elles varient avec l’âge, déclinant dans les aigus ; mais en contrepartie, il existe un puissant effet « expérience » ou « connaissance du carré ». J’ai beaucoup plus de chances de ne pas rater le Bruant jaune du coin, même s’il est loin et qu’on n’entend que par bribes sa petite ritournelle métallique, si je m’attends à sa présence, pour l’avoir déjà contacté ces trois dernières années.

D’où l’importance de conserver un même observateur dans la durée pour un carré donné. C’est déjà un biais de moins. Ensuite, à l’échelle d’un réseau national, ces variations individuelles finissent par se gommer. La cuisine interne du Muséum, pour tirer des données fiables, est évidemment plus complexe que ce bref aperçu, mais je n’en connais pas le détail. Il suffit de les contacter.

Il est donc peu probable que je découvre ici une espèce encore non recensée. Les changements observés sont plutôt à la baisse, comme les Moineaux friquets d’Irigny qui semblent bien avoir totalement disparu.

C’est le fastidieux, mais indispensable travail de veille. En bout de chaîne, c’est comme cela, et pas autrement, que nous saurons quoi faire, si nous ne voulons pas, demain, errer dans une immense usine à ciel ouvert, un monde mort.

Je vous entends. Il est des travaux de veille beaucoup plus fastidieux que de compter les oiseaux sur dix points de cinq minutes dans la campagne, et d’autres où l’on engage davantage sa responsabilité qu’ici, où au fond, si je racontais n’importe quoi dans mes données, personne ne s’en rendrait compte.
Sur le premier point, je n’en disconviens pas, à condition de prendre en compte l’heure de lever et les kilomètres en voiture, et aussi, comme cette chronique vous l’a montré, que c’est rarement la belle et verte campagne qui me sert de décor.

Sur le second, en revanche, c’est non !

Il est vrai qu’à la différence d’un médecin ou d’un architecte, je ne risque pas de poursuites pénales si mes relevés, mes diagnostics sont mauvais. Quand je transmets mes données, vous, la société, le Muséum, le monde (voyons grand) doit me croire sur parole. Encore que – rien ne vous empêche d’apprendre vous aussi les chants d’oiseaux, et de refaire mes carrés.

C’est une question, enfin, une accusation qui, mine de rien, revient souvent. « Vous truquez vos données pour faire apparaître une baisse qui n’existe pas. Vous inventez des espèces rares là où il y a des projets, une crise imaginaire pour justifier votre poste. » Le tout corsé de quelques amabilités pas du tout imaginaires, celles-là.

La question du pourquoi

Et c’est le genre d’attaque que l’on rumine, quand les yeux tirent un peu et qu’on revient de Saint-Clément, le STOC achevé, pour se jeter dans les bouchons de l’entrée de Lyon. Pourquoi faire tout ça ? Pour qui ? Pour ça ? Ai-je raison ?

Reprenons du début.
Pourquoi suis-je là, à l’aube, sous Valsonne à compter les oiseaux ? Pour les protéger afin qu’il y en ait encore dans un an, dans dix, dans cent ans.
Si je bâclais mes relevés ? J’aurais alors, par ma propre faute, anéanti tout ce que j’espère de mon propre travail, de mon propre engagement, et tout cela pour y gagner quoi ? Rien du tout.
Si je les faussais pour faire apparaître des déclins ou des enjeux qui n’existent pas, et me faire payer à les étudier ?
Tout d’abord, inventer des enjeux de protection où il n’y en a pas, pour faire rien qu’à embêter le gentil développement, ce ne serait pas seulement malhonnête, égocentrique et asocial : ce serait se tirer des balles dans le pied. Nous consacrerions alors de l’énergie, du temps, des forces bénévoles, des moyens… à défendre ce qui n’existe pas.
Et cette énergie, ces forces, ces moyens manqueraient au moment de protéger ce qui est réellement en danger.
Car nos moyens, même bénévoles, sont ridiculement limités.

Si nous inventions massivement une crise écologique pour justifier nos postes ?
Dites. Cela vous viendrait-il à l’idée de lancer à votre médecin que la grippe et le cancer l’arrangent bien puisqu’il en vit, et que peut-être même il les invente ?

Déjà, pour produire l’illusion d’une crise, il faudrait que nous soyons bien nombreux à fausser nos données, et en chœur, pour obtenir quelque chose de cohérent. Il faudrait mettre plusieurs milliers de personnes dans la confidence, rien qu’en France. D’autant plus qu’à l’ère des bases participatives consultables en ligne, il n’est pas question de proclamer un résultat qui ne serait pas cohérent avec le jeu de données. Cela se verrait illico.

Ensuite, c’est oublier que nos associations, nos bénévoles, sont avant tout des observateurs. Des personnes qui se baladaient dans la nature, la contemplaient et l’étudiaient.
Et c’est parce qu’ils ont vu disparaître par pans entiers ce qu’ils aimaient étudier et contempler, qu’ils ont compris les phénomènes à l’œuvre, que les associations se sont engagées dans la protection, puis dotées de petites équipes salariées.
Petites, oui. En France, nous ne devons pas être beaucoup plus nombreux que les footballeurs professionnels, et vous savez quoi ? ça paie sensiblement moins. En d’autres termes, si la biodiversité n’était pas réellement menacée, et n’avait pas réellement besoin de nos efforts, nous ferions notre miel de balades naturalistes du dimanche, et aurions un autre métier, sans doute mieux payé, et à coup sûr à moindre enjeu personnel, moindre source d’inquiétude pour l’avenir du monde.

Mais non. Le monde vivant se meurt, il faut tâcher de le panser.
Bien sûr, c’est aussi « pour nous ». C’est parce que j’aime, personnellement, m’émerveiller d’un oiseau, que je vais tâcher de le protéger. Bien sûr que non, ce n’est pas un pur sacrifice désintéressé, un glorieux martyre à coups de carnets d’obs délavés ; il ne faut pas pousser.

C’est un engagement, parmi des milliers d’autres possibles, et un métier, comme des milliers d’autres, parfois dur et d’autres pas, parfois réjouissant, souvent un peu déprimant, qu’on tente, comme des milliers d’autres, de faire honnêtement, de notre mieux, au bénéfice de tous.

Broyant ce noir, il y a déjà beau temps que me voici revenu aux portes de la ville. 39 espèces, mais pas de Huppe, pas de Bruant jaune, pas davantage de Faucons crécerelles à la lucarne où, depuis trois ans, je les voyais nicher. Je veux bien incriminer le vent, mais ça ne me plaît pas. Et puis, ces fermes sans hirondelles, ces haies sans bruants.

Est-ce la proximité de la grande ville, sa pollution, ses grands axes qui rompent les connexions écologiques ? Je ne sais pas. Mais chaque année c’est la même chose. Ce carré est un peu plus pauvre qu’attendu. Le tableau est troué. Difficile d’en dire plus avec ce protocole, mais il est troué.

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Protection de la Nature: nous sommes-nous plantés ?

Voilà maintenant plusieurs décennies que les associations de protection de la nature travaillent, souvent loin des yeux du public, à tâcher d’enrayer la perte de biodiversité.
Quelques oppositions frontales spectaculaires, quand la gravité des enjeux passe les bornes, voilà généralement tout ce qu’on en voit, et rien du tout du travail de fourmi de connaissance, de protection au quotidien et surtout, surtout, de concertation et de conciliation.

Pour protéger: d’abord connaître

Pour ce qui est de la connaissance, j’ai déjà parlé à de nombreuses reprises de l’outil le plus répandu actuellement, la base participative de type Visionature Celle-ci, en France, représente actuellement 38 millions de données, ou bien entre 100 000 et 300 000 par an et par département. Ceci uniquement pour la faune sauvage et pour les groupes d’espèces disponibles à la saisie sur les sites locaux Visionature, coordonnés par la LPO ou d’autres associations.
Cette connaissance, très majoritairement issue de travail bénévole, validée par le travail de vérification des experts associatifs, eux aussi bénévoles ou salariés, est matérialisée, par exemple, par le nouvel Atlas des oiseaux de France, tout récemment publié : c’est le troisième dans notre pays, les précédents datant de 1976 et 1992. Ou les atlas régionaux, comme celui des Amphibiens et reptiles de Rhône-Alpes.
Et comme ces bases et ces enquêtes sont participatives, cette connaissance est recueillie en toute transparence.
C’est elle qui, ensuite, décide l’association à tenter de combattre, atténuer ou accompagner tel projet destructeur pour la biodiversité, et certes pas une vague « idéologie ».

Concilier, échanger, discuter…

Voilà pour la connaissance. Quant à la protection, celle de tous les jours, celle qui ne fait pas les gros titres, ses formes sont si diverses que je ne pourrai citer ici qu’une poignée d’exemples.
Ce seront, par exemple, les innombrables programmes de travail avec les agriculteurs, les « mesures agri-environnement » – en tous milieux, de la plaine à la montagne, des grandes cultures aux vieilles pâtures, des marais au bocage. Couverts végétaux spécifiques, plantation de haies, réduction des intrants, conservation de saules têtards, surveillance et sauvetage des espèces nicheuses au sol, que sais-je. Qui sait, hors réseau LPO, que chaque année, le travail de terrain mené aux côtés des agriculteurs permet de sauver plus de mille nids de Busards des roseaux, cendrés et saint-martin de la moissonneuse ? Que le même genre de travail en commun a, temporairement du moins, stoppé la chute verticale des effectifs d’Outarde canepetière, le plus extraordinaire oiseau des champs de notre pays ?


Outarde canepetière

Moins « glamour », mais tout aussi remarquable est le travail mené aux côtés des exploitants de carrières (alluvionnaires ou de roche massive).
Ces milieux étranges offrent à des espèces rares des « habitats de substitution », c’est-à-dire des ersatz, des remplaçants de leur environnement préféré dans la Nature, où l’homme l’a parfois fait disparaître. Le Petit Gravelot, l’Oedicnème, les sternes y retrouvent les plages de galets absents de nos grands fleuves « maîtrisés ». Le Guêpier, l’Hirondelle de rivage creusent leur terrier dans les fronts meubles des gravières. Enfin, pour le Hibou grand-duc, une carrière de roche massive est une falaise comme une autre… jusqu’au tir de mine. Imaginez la technicité, la virtuosité presque, nécessaire pour sauvegarder la reproduction de ces espèces au beau milieu de l’exploitation, sans paralyser celle-ci. Un coup d’œil aux fiches techniques de la LPO Alsace, par exemple, vous en donnera un aperçu.


Petit Gravelot

C’est pourtant la routine, désormais, pour les associations. Le conflit n’intervient qu’en dernier recours.
Citons encore le Guide biodiversité et bâti de la LPO Isère qui décline de la manière la plus opérationnelle 18 démarches de protection de la Nature en ville : toitures végétalisées, nichoirs incorporés aux immeubles, entretien des espaces verts, etc.

Encore ne puis-je, faute de place, aborder l’éducation à la Nature et les milliers et les milliers d’animations destinées à faire découvrir à tous les publics imaginables les mécanismes qui régissent la fragile biodiversité qui nous entoure.

Tel est le quotidien de nos associations : l’opposition irréductible est loin de représenter le quotidien. Celui-ci est fait d’un patient travail de mise à jour des connaissances et surtout d’actions de protection en partenariat, en collaboration avec l’ensemble de la société civile. Inlassablement, c’est la conciliation avec les activités existantes qui est recherchée, avec à la clé une somme de travail proprement astronomique en termes de négociation, de réflexion, d’étude, de suivi, de technicité.
Tout cela pour une protection de la biodiversité que l’on espérait compatible avec « l’économie » telle qu’elle se présente dans notre monde. Des compromis qui satisferaient tout le monde et ne sacrifieraient personne.

… Et ça n’a pas marché

Et c’est là, que, semble-t-il, nous avons eu tort. Non pas tort de faire ce que nous avons fait, mais de penser que cela suffirait à stopper la chute.
Pas question de condamner en vrac et en bloc tout le travail accompli. Nous y avons cru et il était parfaitement normal d’y croire. Seulement, nous le savons, toute action doit être évaluée. Avons-nous atteint notre but ?

Au vu des chiffres, la réponse est clairement : non. En dépit d’un engagement intense et omniprésent, nous n’avons réussi qu’à freiner quelque peu la perte de biodiversité. C’est déjà pas mal, me direz-vous : sans cette action, la Cigogne blanche, le Faucon pèlerin, le Hibou grand-duc, la Loutre, le Blaireau et bien d’autres encore ne seraient plus qu’un souvenir depuis au moins vingt ans. Mais l’effondrement des effectifs des espèces communes en atteste : la tendance de fond est toujours à la disparition de la biodiversité la plus ordinaire à l’échéance de quelques décennies. Répétons-le encore : la planète a perdu 50% de ses vertébrés sauvages en moins de cinquante ans.

Aussi devons-nous dès à présent affronter ces chiffres et ouvrir le débat : à quoi aboutirons-nous, si nous nous en tenons exclusivement à cette démarche de conciliation technique avec l’expansion sans fin du béton, de l’artificiel, du tout-productivisme ? L’atténuation des conséquences que nous négocions âprement suffit-elle à atteindre notre but : enrayer la perte de biodiversité ? La réponse est clairement : non. Les données prouvent que cela ne suffit pas. Nous avons fait tout notre possible – et même plus – en suivant une voie, elle ne nous a pas menés où nous espérons. La course à l’abîme est plus rapide, plus puissante que nos efforts pour l’en détourner.
Nous nous sommes laissé absorber, digérer par les rouages technocratiques de la société productiviste. Elle nous confine au rôle de rouage vert qui n’empêche rien, et qui ne remplit surtout plus son vrai rôle, celui pour lequel il est né. Cela ne peut plus durer.

Nous en sommes déjà à constater que le problème réside dans « nos modes de vie ». Mais allons-nous reporter sur eux la politique du petit effort de concertation ? Les « modes de vie » ne changeront que si les principes de vie, les paradigmes qui les engendrent évoluent eux-mêmes.

Il faut oser changer les coeurs

Appelons cela comme on veut : le productivisme, le déploiement phénoménal de technique et d’énergie au service exclusif de la course effrénée au profit, le paradigme technocratique, admirablement synthétisé dans Laudato Si, se traduisent par des choix des entreprises, des Etats, des citoyens… follement supérieurs à ce que les « ressources naturelles », et notamment les écosystèmes, peuvent fournir sans s’effondrer. La « conciliation » qui ne remet pas fondamentalement en compte l’attitude extractiviste échoue, c’est le constat, à rétablir l’équilibre. Cette attitude, en effet, ne connaît aucune limite, aucun frein. Elle est, de par ses outils mentaux, hors d’état de prendre en compte la résilience de fragiles systèmes vivants, ou même la très terre à terre finitude d’une ressource. Nous manquons chroniquement de moyens; ceux-ci sont même repartis, et drastiquement, à la baisse. Il faut à présent affronter cette réalité: les moyens nous manqueront toujours, parce qu’une société dominée par le paradigme technocratique au service de l’appât du gain ne nous les octroiera jamais. Elle ne fera jamais le choix de sauver la biodiversité. Elle ne pourra jamais le faire, parce qu’elle est incapable d’en comprendre l’enjeu, autant que de mettre une limite à sa voracité. Pour qu’elle y consente, il faudrait que « ça rapporte », autrement dit, que cela lui permettre de croître encore en force, en emprise, en intensité… et en fin de compte, en impact. L’auto-contradiction est flagrante. Rien ne sera possible sans renverser ce paradigme, d’un bout à l’autre de la Terre et de l’humanité.

Le pire serait de croire que « l’homme ne changera jamais ». Il a déjà beaucoup changé. Il y a mille ans, l’homme occidental se donnait pour but le salut, dans une perspective chrétienne. Etait-ce mieux ou moins bien, n’est pas le sujet : c’est simplement la preuve que le paradigme actuel n’est pas inscrit dans nos gènes. Il n’a pas toujours existé : il n’est donc pas éternel.

Nous ne pouvons plus évacuer, à l’échelle de nos associations, la question de la compatibilité de nos objectifs avec ce paradigme dominant. La biodiversité ne sera sauvée que si celui-ci change, au profit de principes de sobriété, de simplicité, d’un rapport réellement mesuré avec le reste du monde vivant. C’est un travail vertigineux. Mais beaucoup de citoyens, y compris chez les plus pauvres, s’y sont déjà attelés. C’est celui auquel nous appellent aussi bien des figures de « Charlie » que le pape François. Nous ne devons pas abandonner, dans l’intervalle, notre travail quotidien d’urgentistes de la Nature. Lui seul offre l’espoir qu’il restera quelque chose à sauver, quand la conversion écologique du monde sera accomplie. Mais il nous faut aussi être de ceux qui réfléchissent et portent un autre projet politique, d’autres façons d’être au monde, qui seront, enfin, adaptées à la fragilité de la biosphère.

Ce n’est pas dans nos habitudes. Nous avions pu croire que ce n’était pas de notre ressort. Aujourd’hui, les faits, les données, les réalités de notre métier l’imposent.

Héron pourpréHéron pourpré

En Avent… la politique

« Or, le peuple était dans l’attente. »
Décidément, depuis deux mille ans, rien n’a changé. Nous sommes dans l’attente. Nous sommes dramatiquement insatisfaits de notre pays, de notre société, de nos perspectives d’avenir. Notre rapport à l’étranger est problématique, et plus encore notre rapport au pouvoir. Déconnecté, corrompu, tenté par la dérive sécuritaire… Nous avons nos collecteurs d’impôts. Nous avons nos scribes et nos pharisiens (généralement c’est l’autre. Et comme le disait Desproges, le pharisien est sot. Il croit que c’est nous qui faisons du pharisaïsme alors que c’est lui.)
Et nous n’avons plus guère de prophètes (ou ne les voyons pas, ce qui revient au même). D’ailleurs, selon certains, se nourrir de miel passerait encore mais dévorer d’innocentes sauterelles serait encore trop cruel.

Nous sommes dans l’attente comme le peuple d’Israël. Nous voyons bien qu’il y a un truc qui cloche (et même beaucoup). Alors, nous espérons le coup de balai miracle.
« Il (ou elle) va remettre de l’ordre dans la maison. Chacun chez soi et chaque chose à sa place. Il (ou elle) a de l’autorité, des convictions, etc. » Un chef à poigne, intègre et ferme, sans pitié. Ça, ça aurait de la gueule. Postures martiales des candidats. La tête levée, le cou tendu. Ceux de qui c’est-de-la-faute ne vont pas rigoler. Cette fois, ils vont voir, les Romains. Ça va être la vague Messie (à ne pas confondre avec celle qui balaie les pelouses de Liga le samedi soir, merci). On va te me les bouter hors de Palestine et reconstruire un beau palais pour notre Messie de combat. L’iconographie croisée fait recette. On brandit son identité en sautoir comme un glaive – qu’il s’agisse, d’ailleurs, d’une « identité chrétienne » ou d’une « identité laïque républicaine ».

D’ailleurs, nous répétons en boucle que nous sommes en guerre – contre tout. Après quarante années de « crise », c’est désormais la « guerre », et la menace du « chaos » a succédé au spectre de la « récession ». Chacun d’entre nous est invité à se montrer bon républicain en sachant voir dans son voisin un ennemi mortel. Musulman radicalisé, khmer vert, catho-clérical-intégriste, fraudeur fiscal, fonctionnaire-fainéant, chômeur-assisté, ou tout simplement concurrent sur le marché (du travail ou autre). Nous pensions pourtant avoir compris le prix et la vraie valeur de la paix, il y a un mois. Et nous n’avons rien de si pressé que de déclarer des guerres à tout va !

Déjà, pour commencer, fichez la paix à la crèche. Voyez en elle ce qu’elle est : l’évocation, qu’on y croie ou non, d’un Dieu humble et proche des gens simples, des pauvres, des faibles. Cessez d’en faire l’étendard d’un défi politicard, le bouclier d’une défense, l’épée d’une agression contre « votre liberté ». Sur ce dernier point, même et surtout si vous pensez, si vous savez que celui qui l’a disposée là l’a fait dans ce but. Renvoyez-lui donc qu’il est à la ramasse, celui qui embauche le Christ de Bethléem pour en faire son épée. Au lieu de rentrer dans son jeu, retournez-lui son pathétique contresens. Celui qui a tant aimé le monde qu’il a souffert la Passion pour lui ne peut agresser personne, et surtout pas par son image dans la paille.

La crèche. Nous l’avons posée au pied du sapin – enfin, non. (J’espère que non car la monoculture du sapin de Noël est anti-écologique et anti-paysanne au possible.)

Une fois de plus, donc, ce sera la même histoire. L’Avent touche déjà à sa fin et nous allons encore nous faire la même remarque : nous attendons un chef de guerre et Il arrive comme un enfant. Et il fera son entrée dans la Ville monté sur un âne, avant de passer à la casserole. Et nous nous dirons encore que nous ne l’avons pas reconnu, etc.
Mais j’en ai assez, moi, de rater mon Avent de cette manière-là, pas vous ?
Cela dit, je ne sais pas plus que vous comment faire.

Je voudrais qu’on en sorte. Que « lâcher prise » et « accueillir Dieu comme un enfant » (avec les deux sens possibles), cela cesse d’être des mots creux qu’on remâche tous les ans. Nos débats, nos réseaux, notre blogosphère bruit d’un seul thème : tenter de tout comprendre et d’imaginer la solution qui remettra tout en ordre, une bonne fois. Rien de plus louable en soi, c’est comme cela que commence la politique, ou même la citoyenneté : se sentir concerné par ce qui nous dépasse, et vouloir y apporter un peu de bien à partager. Seulement, précisément, cela nous dépasse ; le monde n’a jamais marché droit ni tourné rond, et ne le fera jamais avant que Lui revienne autrement que monté sur un âne. Mais Sa venue comme un enfant, Son entrée à Jérusalem sur un âne, et toute la suite, ont bouleversé le monde comme jamais. L’amour, le don, l’humilité ont fait bien plus, ont imprimé une marque plus durable dans l’histoire qu’aucun conquérant, jamais. Ils ont relevé bien plus de défis qu’aucun chef charismatique, aucun parti totalitaire, aucune politique « courageuse » (entendez par là consistant à serrer la vis des faibles et des pauvres pour sauvegarder le trône du puissant). Ce ne sont pas des mots, ça : c’est ce qu’enseigne l’Histoire. Et c’est aussi ce que nous professons chaque dimanche (au moins).

L’échec à mobiliser les citoyens occidentaux face à la crise écologique révèle à quel point nous ne croyons pas ce que nous savons. Face au mystère de l’Incarnation, croyons-nous ce que nous professons, ce que nous chantons, ce que nous acclamons ?

Si oui, alors c’est avec au cœur l’enfant de la crèche que nous bataillerons en politique. Non pas seulement dans notre « conversion individuelle » mais dans tous nos engagements, et aussi dans nos exigences vis-à-vis des élus, ceux qui se réclament du bien commun, de « valeurs humanistes de la République » et a fortiori ceux qui revendiquent des « racines chrétiennes ». Oeuvrez donc dans l’amour et par amour ; ayez souci du faible et du pauvre, respectez tout ce qui nous est donné. C’est notre exigence de citoyens et de chrétiens, si vous-mêmes vous dites tels. Puisez, puisons dans la crèche la vraie inspiration. Tout particulièrement cette année, l’année de la miséricorde.

On le dit tous les ans. Cette fois, on le fait. D’accord ?

Laudato Si’ : une lecture au retour de mon carré de roseaux

Vous l’attendiez – ou pas… Voici donc un condensé de ce que j’ai retenu de cette encyclique, en ma qualité de grouillot de l’écologie de terrain depuis la fin du siècle dernier.
Du moins les points les plus saillants. Il faudrait tout citer. Mais ce serait très long. Si le coeur vous en dit, il y aura les commentaires, pour le reste.

Allons-y donc gaiement !

Cette encyclique est-elle révolutionnaire ?
Et bien non. C’est nous qui avions oublié que la parole chrétienne était révolutionnaire !
Cette encyclique s’annonçait, s’imposait. Quand l’actualité se fait terrible, et interpelle tout homme, c’est toujours comme cela que l’Eglise s’exprime, en propose une lecture chrétienne. Une encyclique, cela sert à montrer à quel point le message du Christ est de notre temps, pas d’il y a deux mille ans ; et que Dieu continue, inlassablement, de répondre à l’homme, tant dans son péché que dans sa recherche de salut.
C’est toujours par ce moyen que l’Église nous rappelle que notre foi ne se vit pas que dans le secret des cœurs, mais se met en pratique, partout où crie l’humanité blessée. Et si « Laudato Si’ est moins une encyclique verte qu’une encyclique sociale », c’est que l’écologie est aujourd’hui une question sociale : la crise écologique est la menace qui pèse sur la survie même de l’ensemble de nos sociétés.

« Tout est lié » : le pape se met à l’approche systémique

Comme écologue de terrain, il me plaît, ce « tout est lié » ; il plaît aux scientifiques que j’ai entendu s’exprimer sur la question. C’est qu’il faut se garder de le lire comme une espèce de vaste fourre-tout, un « sétoupareil » de bistrot. Un système, c’est un ensemble d’éléments en interaction. L’approche systémique consiste s’étudie sans séparer les éléments des uns des autres, ni des règles par lesquelles ils interagissent. C’est la démarche par excellence de la science « écologie », et de beaucoup d’autres aussi. Il s’agit là d’une approche systémique appliquée à la crise que subit la Création, vue à la fois comme biosphère, gouvernée par ses lois biologiques et physiques, et comme projet divin, uni à Dieu par une Alliance.

Mais restons-en au premier terme. L’encyclique s’ouvre par un long diagnostic.
Elle est frappante par sa grande technicité : on aimerait que nos décideurs politiques maîtrisent autant les dossiers que nous leur présentons. Rien ne manque, avec la précision d’un document technique. Pour un professionnel de l’environnement, il est assez frappant de découvrir aux points 35 et 39 entrer désormais dans le Magistère de l’Église catholique la préservation des connexions écologiques et des zones humides, ces vaisseaux et ces cœurs des écosystèmes !

Sur la question du climat, il n’a échappé à personne que le pape s’alignait sur les positions du GIEC. Ce qui amène à souligner deux points :
– à l’image du GIEC, il assortit son propos de la même prudence, différenciant ce qui est sûr et ce qui est « seulement » hautement probable.
– le dérèglement climatique n’est qu’un des dangers qui constituent la crise écologique, l’arbre qui cache la forêt ou plutôt la déforestation ; et les autres ne font l’objet d’aucune espèce de contestation, ni dans leur ampleur, ni dans la responsabilité humaine. Même avec une épaisse mauvaise foi, nul ne peut prétendre que la perte massive de biodiversité des 70 dernières années, cent fois plus rapide que le rythme normal des crises d’extinction des temps géologiques, puisse être un phénomène « naturel » et sans cause.

N’espérons donc pas trouver, dans l’ultime virgule d’incertitude sur la responsabilité humaine dans le dérèglement climatique en cours, une échappatoire, un droit au déni complet de la crise écologique globale. Celle-ci existe, elle est démontrée ; elle est engendrée par notre pression excessive sur la planète depuis une paire de siècles ; cela aussi s’établit scientifiquement.
N’y eût-il même pas de dérèglement du climat en cours que la situation serait déjà critique sur le plan de la perte de biodiversité, de la chute des ressources halieutiques, de l’état des terres agricoles, de l’empoisonnement général des chaînes trophiques, de la pollution atmosphérique, et autres joyeusetés telles que l’épuisement rapide de stocks accessibles de ressources non renouvelables. Du point 19 au point 43 principalement, l’encyclique énumère tous ces points par lequel le monde craque : déprimant ! Tout se passe comme si nous avions décidé de brûler en deux siècles quatre milliards d’années de réserves, « et après on verra, laissez faire, faites confiance ».

Rien d’étonnant à ce qu’un nouveau chapitre de la Doctrine sociale de l’Église s’ouvre par un tableau réaliste et impeccablement documenté de la réalité du monde. C’est bien « dans le monde » qu’il faut aller porter une parole et poser des actes, non dans quelque univers éthéré, intemporel ou abstrait. L’écologie du pape François a les pieds sur terre.

L’originalité, c’est, donc, l’usage d’une approche systémique pour décrypter le phénomène et répondre à la question « que faire ? » Mais en fait, c’est la seule méthode pertinente. Car ce fameux « tout est lié » n’est pas une vue de l’esprit, mais le constat, en soi banal et irréfutable, d’un monde système. C’est vrai d’un point de vue biologique, c’est la réalité des écosystèmes, du climat, des cours d’eau, de la diffusion dans l’eau, le sol, l’atmosphère des différents polluants, c’est vrai aussi d’un point de vue humain ; autrement dit, chaque acte que nous posons engage toute la planète, et ce n’est pas une vue de l’esprit, c’est une réalité économique, écologique et humaine. Ne sommes-nous pas abreuvés d’information sur l’impact que le moindre de nos choix de consommation engendre sur des écosystèmes, des économies, des sociétés, des hommes, à l’autre bout du monde ? La rapidité des échanges, la puissance de nos machines, l’information à la milliseconde fait de nous tous les éléments d’un système : tous en interaction avec tous. Nul ne peut l’omettre sans irresponsabilité crasse.

Pourquoi cet exposé qu’on pourrait juger loin de la doctrine chrétienne ou de la théologie ? Ce n’est pas, comme certains l’ont prétendu avec mépris, que François se soit « laissé entraîner par l’air du temps ». C’est qu’il ne s’agit pas uniquement de « petits oiseaux ».Des points 43 à 59, le réquisitoire s’abat, implacable : d’une manière tout aussi scientifique, ce sont les conséquences sur les hommes qui sont énumérées, démontrées, martelées. Où l’oiseau et l’abeille disparaissent, le pauvre meurt de faim.

Cet exposé scientifique, auquel ne manquent, intemporalité oblige, que des chiffres, est une démonstration, qui enracine dans la réalité de notre temps l’action chrétienne, l’action en faveur de la dignité inaltérable de tout homme. Or, aujourd’hui, c’est par là qu’elle est attaquée. L’écologie n’est ni une idéologie, ni une option politique ou spirituelle pour nantis au ventre plein : les faits sont là. Défendre le droit à la vie de l’embryon n’a plus de sens, si par ailleurs nos choix politiques et économiques le font naître dans un univers de misère où quelque eau souillée de métaux lourds abrègera bien vite son existence. « Mettre l’humain au centre » est incohérent et absurde s’il s’agit de « créer des emplois » qui par leur nature, leur implantation, leur impact, leurs sous-produits, les conditions de travail qu’ils offrent menacent la santé voire la survie même de leur titulaire, de sa famille, de son prochain.

L’état de la planète est tel que l’homme ne peut plus être sauvé si le reste ne l’est avec lui : cours d’écologie, premier chapitre.

L’écologie, conformément aux Écritures

Ce cours d’écologie se double d’un cours de théologie, sur lequel je ne vais pas revenir, car telle n’est pas ma spécialité. Retenons-en principalement que la réalité écosystémique trouve un parallèle dans la vérité théologique. Le projet de Dieu n’est pas un homme isolé, abstrait, déconnecté : l’homme n’est pas un ange (même déchu). C’est une créature concrète, entourée d’autres ; il a émergé de la foule de ces autres au terme de milliards d’années de patiente évolution ; tout ceci n’est pas que décorum inutile. Toute la Création est très bonne ; quoique blessée par le péché de l’homme, toute la Création est concernée par l’Alliance divine qui suit le Déluge ; enfin, toute entière, elle aspire au Salut.
Ces vérités pressenties par Hildegarde de Bingen ou François d’Assise ont dû attendre, pour nous frapper en pleine figure, que notre toute-puissance vienne menacer l’existence même de tout ce qui vit. Elles n’en étaient pas moins écrites. Ce rappel n’a rien d’une concession à l’air du temps.

S’il est vrai que, parfois, nous les chrétiens avons mal interprété les Écritures, nous devons rejeter aujourd’hui avec force que, du fait d’avoir été créés à l’image de Dieu et de la mission de dominer la terre, découle pour nous une domination absolue sur les autres créatures. (Laudato Si’, 67)

Laudato Si’ : une écologie qui marche sur ses deux jambes

Ces rappels théologiques n’ont rien de décoratif, eux non plus. On a parlé d’une écologie les pieds sur terre et la tête au Ciel. On peut aussi choisir la métaphore d’une écologie marchant sur deux jambes : l’une scientifique, l’autre spirituelle. Choisissez ce que vous voulez.

J’en retiens pour ma part que la « moitié » scientifique garantit à l’écologie selon François un ancrage dans la réalité, qui la protège de l’abstraction, de l’intellectualisme, mais aussi du déni où se réfugient tant de nos concitoyens.
Quant à la « moitié » spirituelle, ou théologique, elle vivifie le combat de terrain par une espérance qui fait cruellement défaut à tant d’écologistes de notre temps, épuisés, découragés, déprimés, ne croyant plus aux revirements possibles… cette désespérance de l’écologisme qui en vient à considérer l’homme comme l’ennemi de sa propre planète, approche dénoncée au point 91. Elle rend à la Création autour de l’homme sa forme de dignité propre : différente de celle de l’homme, seule espèce capable de Dieu, mais, elle aussi, réelle et sacrée. Elle brise l’opposition mortifère homme-nature, bien plus due à Descartes qu’à « la culture judéo-chrétienne » et repositionne l’un et l’autre, chacun à sa place propre dans un projet commun du Créateur. Elle sauve, enfin, l’écologie scientifique de l’écueil de l’utilitarisme : en effet, elle assigne au « reste de la Création » une valeur intrinsèque. L’insecte ou la baleine ne valent pas l’homme, mais ils valent quelque chose, et même bien davantage que ce qu’ils peuvent « nous apporter » (dans le cadre des services rendus par la biodiversité par exemple). La créature non-humaine se voit reconnaître une valeur aux yeux de Dieu, indépendante de celle que l’homme lui accorde pour des raisons utilitaires, affectives ou encore esthétiques (points 81 à 88). Ainsi, paradoxalement, la vision chrétienne de l’écologie n’est pas anthropocentrique !

Agir en chrétien contre la crise écologique

Tout notre agir chrétien dans ce monde (et même tout acte en faveur du bien commun, même non chrétien) doit prendre acte des réalités ainsi énoncées. Du point de vue écologique, c’est une approche très pertinente et réaliste, ce qui ne l’empêche nullement d’être radicale. La gravité de la situation interdit les demi-mesures (194 : Sur ces questions, les justes milieux retardent seulement un peu l’effondrement. Il s’agit simplement de redéfinir le progrès. »)

Mais comment faire ?

Décidément bien complète, Laudato Si‘ évite le dernier reproche fait aux publications écologistes : elle propose un plan d’action. Comme cet article commence à devenir long, je me limiterai à ce qui m’apparaît comme central.

Laudato Si’ propose d’agir à trois niveaux : la personne, le collectif local (« à taille humaine ») et le niveau plus traditionnellement appelé « politique ».
(En réalité, dans les trois cas, il s’agit bien de politique – de se préoccuper de la cité – et au sens chrétien : porter dans le monde une parole et une action qui ne sont pas du monde.)

Le point de départ, c’est la conversion personnelle. Notre foi se nourrit d’une rencontre personnelle avec le Christ : une démarche écologique chrétienne découle de la conversion de l’individu. Pourquoi ? Parce que c’est là que se dit le « Oui » à la vie, c’est là que nous avons la garantie de le poser en toute liberté.
Nous pourrons alors agir et toute la dernière partie de Laudato Si’ fourmille d’exemples d’actions. Un catalogue brouillon et simpliste ? Nullement : le reflet, au contraire, du foisonnement d’initiatives vers une vie plus simple, plus sobre, plus respectueuse du frère et de toute la Création ; foisonnement permanent, sans coordination, sans hiérarchie pesante, sans comité d’experts ; insoumis, subversif (quoi de plus subversif, au fond, que de cesser de répondre à l’injonction de consommer plus ?), fourmillant d’un bout à l’autre de la planète, bien au-delà de nos « quartiers de bobos », jusqu’au plus déshérité des bidonvilles. Souvent davantage là-bas qu’ici, d’ailleurs !
Car en matière d’ingéniosité dans la simplicité, de solidarité dans l’adversité aussi, les pauvres nous précèdent, et de très loin, sur le chemin du Royaume. Saurons-nous écouter ce qu’ils ont à nous apprendre ?

Mais ce n’est que le point de départ. Très vite, quiconque convertit son cœur au respect de la Création découvre qu’il peut faire bien plus que changer quelques comportements individuels. C’est le niveau deux : le collectif, le groupe, l’association, grâce à laquelle deviennent possibles les jardins partagés, les actions juridiques, la sauvegarde d’un arbre ou d’un coteau, et tout ce à quoi oeuvrent depuis longtemps, tous les matins, les routards de l’écologie… Ceux qui, par exemple, ce printemps, comptaient les rousserolles au long d’un morne canal.

Quel est le troisième niveau ? C’est celui qui fait hurler au marxisme certains commentateurs : il s’agit de traiter certaines questions écologiques au niveau des États, voire au niveau supranational.
C’est que l’État, voire l’instance internationale, est souvent l’échelon le plus pertinent – le plus bas échelon pertinent – lorsqu’il s’agit de traiter d’un problème planétaire, en raison même du caractère planétaire des systèmes biologiques ou physiques concernés !

196 : Rappelons le principe de subsidiarité qui donne la liberté au développement des capacités présentes à tous les niveaux, mais qui exige en même temps plus de responsabilité pour le bien commun de la part de celui qui détient plus de pouvoir.

Quelle est notre liberté de préserver une rivière de la pollution, si quelqu’un d’autre dispose du pouvoir d’anéantir tous nos efforts juste parce qu’il habite quelques kilomètres plus en amont ? Ce n’est qu’à l’échelle du bassin-versant qu’une « politique aux vues larges » (Laudato Si’ 197) sera en mesure de servir réellement le bien commun.

La question écologique rappelle avec force que le principe de subsidiarité consiste à régler un problème au plus bas niveau disposant des moyens pour le faire, et certainement pas en un blanc-seing accordé, en toutes circonstances, à la liberté individuelle.

En concluant néanmoins sur la nécessité, l’art et la manière de la conversion écologique personnelle, Laudato Si’ rappelle que tout doit partir « d’en bas », mais pour, ensuite, monter. Non, l’écologie n’est pas qu’une affaire de « liberté individuelle ». Elle ne peut pas rester scotchée au rez-de-chaussée : elle doit, sous peine de rester vaine fumisterie ou bribes de survie arrachées au désastre, grimper les escaliers quatre à quatre et aller toquer à grands coups, chez les puissants, au nom de la parole de tous. Finies, alors, les « chartes » culpabilisantes parachutées d’en haut, mais aussi les menaces de « dictature verte » – assez fantasmatiques, mais qui servent d’alibi commode.

Ceci dit, il y a urgence.

Ah, oui, un dernier point.
« Pourquoi tout le monde fait semblant d’oublier qu’il est question d’écologie humaine ? »
Personne ne fait semblant. Mais personne n’a oublié non plus que la position de l’Église sur la protection des plus fragiles, de l’embryon, des générations à venir sacrifiées par un malthusianisme avant tout soucieux de ne rien partager, ou de ceux que nos sociétés utilitaristes rechignent à prendre en charge ne date pas d’hier. De bien avant, en tout cas, qu’on forge l’expression « écologie humaine ». Allons-nous, demain, louer un acte « d’écologie humaine » à l’heure d’adorer la Croix ?
L’objet, la nouveauté de Laudato Si’, c’est d’élargir et d’intégrer ce souci bimillénaire de la dignité inaliénable de l’homme à tout ce en quoi la culture du déchet la menace.

Là encore, ce ne sont que des logiques qui n’auraient jamais dû nous échapper. Alors cessons maintenant de lire et d’écouter, il est temps de se convertir et d’agir. Cherchez autour de vous parmi ceux qui sont déjà à l’oeuvre, petits et grands, nouveaux et anciens… Foin de l’à-quoi-bonisme! Comme le rappelle l’encyclique au point 181, « il y a tant de choses que l’on peut faire ! »

Qu’avons-nous fait de l’Europe ?

Il y a quelques jours a circulé une pétition destinée à s’opposer à la nomination d’un baron du pétrole à la tête de la Commission Climat de l’Union européenne. Aujourd’hui, c’est le budget de la République française qui va être visé par la Commission européenne où il peut être rejeté sans autre forme de procès, avec mises en demeure de coupes franches ici ou là.

Qu’avons-nous fait pour en arriver là ?

Car où sommes-nous ?
Nous sommes toujours citoyens d’une république, mais nous en sommes réduits à des pétitions pour exprimer notre avis sur la nomination de ceux qui nous gouvernent, et ce, sur des sujets aussi cruciaux que le dérèglement climatique. Nous sommes citoyens d’un Etat souverain, mais celui-ci n’a plus de souveraineté pour établir ce qui fonde normalement l’indépendance d’un Etat, d’un foyer, d’un individu : l’usage qu’il fera de ses ressources.

A ce rythme, nous en serons réduits à chantonner des mazarinades comme seul mode d’action politique.

Oh, il y avait d’exccccellentes raisons, bien sûr. Tout un arsenal de pactes de stabilité devait nous garantir des dangereuses embardées de l’économie. Il nous assigne désormais, aussi, un chemin étroit en matière politique, une façon unique d’user des ressources d’un pays et de les répartir. Mais à la limite, le problème n’est pas – pas du tout, même – le bien-fondé des règles ainsi définies.

Le problème, c’est que près de soixante ans de construction européenne, fondée dans ce qu’on appelait alors le monde libre, et fière d’incarner à la fois la liberté et la prospérité de ce qui n’était encore qu’un demi-continent, soixante ans d’avancées présentées comme des évidences ont abouti à cela : des citoyens dépossédés de la possibilité de choisir leurs véritables maîtres. Et ceci, sans fabuler on ne sait quel complot, cénacle d’Illuminati templiers reptiliens ou je ne sais quoi. Non, c’est un fait, les instances élues le cèdent à des instances où l’on se coopte entre soi. Les citoyens ont si conscience que c’est là que tout se joue qu’ils tentent, éperdus, lorsque l’affaire est grave, d’exercer une vague influence sur les débats. Généralement en vain.

Tout cela pour notre bien, me direz-vous. Quelle infantilisation ! Quelle régression ! Quelle est donc la différence avec l’Ancien Régime, où le roturier n’était bon qu’à voir ses Messieurs débattre de hautes affaires et lui tapoter la tête avec condescendance ? Qui nous garde de pareils gardiens ?

Que la politique de l’UE soit bonne ou mauvaise, le terrible est là : que nous y adhérions ou non n’y changera pas une ligne. Nous avons juste réussi à réinventer une très vieille forme de gouvernance, très archaïque même. Cette forme qui, en tout temps, s’est targuée de la supériorité de vues qui légitimerait son droit à gouverner la plèbe sans la consulter. Tout au plus la « modernité » lui impose-t-elle de prétendre prendre soin des peuples en question, de mieux agir pour eux-mêmes qu’ils ne le feraient eux-mêmes. Là encore, on croirait entendre un parent d’enfant de six ans particulièrement capricieux.

Il ne faut pas s’étonner, derrière, que les citoyens soient prêts à suivre n’importe qui leur promettant de leur rendre le pouvoir ; y compris des partis dont on peut aisément deviner, ou constater sur le terrain, que le réel partage du pouvoir n’est pas leur tasse de thé, non plus que le respect des prérogatives des citoyens.

Le pire est que cette attitude désespérée sert aux pouvoirs en place à justifier leur domination, avec cet argument massue : « vous voyez bien, les gens, quand on les laisse choisir, ils font n’importe quoi. Alors laissez-nous le pouvoir, nous, nous ne ferons pas de bêtises. Faites-nous confiance. »

D’ailleurs, ça ne va pas rater : ce billet sera vraisemblablement classé « europhobe, qui fait le lit du Front national, soutient Zemmour, flirte avec l’extrême-droite catho-souverainiste, met du fromage râpé dans le gratin dauphinois et tue des chatons », en vertu de la pensée par packs précédemment évoquée.

Et d’enfoncer le clou en rappelant qu’Hitler est arrivé au pouvoir de manière démocratique, ce qui veut dire que hein, la démocratie, oui, mais à condition de ne pas laisser trop de cratie au démos, pas trop de choix, sinon, ma bonne dame, voilà ce qu’il fait ce vilain démos : il casse le joujou. Autant le lui enlever tout de suite.

Que ce soit l’occasion de rappeler que NON, Hitler n’est pas « arrivé au pouvoir démocratiquement ». Même en additionnant ses voix et celles du DNVP, il n’a jamais obtenu la majorité au Reichstag. Il n’a pas été nommé chancelier par Hindenburg à l’issue des élections remportées par son parti, entre autres à cause de cela. Il a fini par l’être à l’issue d’élections nettement moins maîtrisées et dans le cadre d’un sale petit jeu de poker menteur entre conservateurs, d’une manière non constitutionnelle. Et une fois en place, il avait si peu la confiance du Reichstag qu’il n’a pas attendu un mois pour balayer le fonctionnement normal de l’Etat à son profit. Ceci sans même parler de l’état de déliquescence des institutions « démocratiques » de Weimar à cette époque ou du caractère « libre » d’élections dans les rues écumées par la SA. Bref.

Nous avions cru à l’Europe. Lors de la chute du Mur, j’avais treize ans. Ce sont de ces moments où l’on sent le souffle de l’Histoire, et en tempête encore. On croyait sincèrement œuvrer pour la paix, la liberté et la prospérité. Qu’avons-nous fait pour nous retrouver avec une paix de plus en plus précaire du côté de l’Est, une liberté de choisir entre blanc et crème, une prospérité remplacée pour longtemps par l’austérité ?

Que faire ?
Si je savais, ce serait dangereux. Je risquerais de devenir un bel exemple de « n’importe qui qui promette aux citoyens de leur rendre le pouvoir ». Je crois n’avoir à peu près rien d’un leader charismatique, et j’en suis bien aise.
M’est avis que déjà, il faut réfléchir. Là aussi, on nous en a déshabitués. Des décennies lénifiantes et infantilisantes ont achevé de nous convaincre que nous étions trop bêtes et pas assez experts en ceci ou en cela pour penser notre monde, notre société, notre projet. Tiens, un projet ! Nous n’en avons plus aucun. C’est l’un des points qu’avait souligné Gaël Giraud, lors d’une conférence dans le cadre de la Journée de prière pour la Création du diocèse de Valence. Notre temps n’a plus aucun projet, plus aucune vision eschatologique à proposer – rien qu’un vague statu-quo désespérant et désespéré. On peut repartir de ça.
Un but, quelque chose qui porte et qui fédère ; comment voulez-vous exiger des citoyens une marche en avant s’il n’y a ni avant ni arrivée envisagée ? Combien de temps à galoper sur un tapis roulant, s’étonnant de ne jamais rattraper la carotte peinte sur le mur de la salle de fitness ?

Un but, des idées, des expériences repartant de la base, des fondements de ce qui lie les citoyens, les fait se sentir concernés par la citoyenneté, c’est-à-dire la vie de leur cité. La « mondialisation » sert aussi d’argument pour nous en dissuader, pour nous rabâcher que nous ne contrôlons rien, que tout se joue ailleurs, que tout nous dépasse, qu’un chef d’entreprise au bout d’un monde peut décider d’un battement de cil de quelque chose qui touchera notre quotidien plus que nous ne pourrons jamais le faire. Déjà, refusons cette désespérance et reprenons dans nos mains les leviers à notre portée. C’est moi qui choisis à qui je parle dans la rue, dans l’immeuble, dans le village, c’est moi qui choisis d’entrer dans une association, dans un réseau, c’est moi qui choisis quels circuits commerciaux m’alimenteront – par exemple. C’est dérisoire, peut-être, mais un peu moins désespérant que de se lamenter sur son impuissance.

De toute façon, avons-nous un autre choix ?

Le spirituel devra-t-il sauver l’écologie ?

Sous un titre volontairement radical, la réflexion qui va suivre s’intéresse aux fondements politiques et techniques de l’écologie ou plus précisément de la protection de la nature, son domaine originel. D’une part, la dégradation continue des ressources naturelles atteint un point critique, ce qui questionne la compatibilité souvent admise de l’écologie et de nos modèles de développement. D’autre part, le rêve techno-scientifique du transhumanisme et du vivant artificiel, ou artificialisé, dernière réponse en date à l’effondrement du vivant, interroge le sens même du combat écologique. Si la technique envisage de proposer à l’homme une « survie » déconnectée du vivant, l’écologie est appelée à enrichir et enraciner autrement son argumentaire pour défendre un homme vivant dans un monde vivant.

Politique et scientifique : les deux légitimités du combat écologique

Prenons une association de protection de la Nature normalement constituée. Elle comprend un socle d’adhérents, de tous niveaux d’investissement et d’activité, une petite équipe salariée, constituée d’écologues professionnels, et une base de données naturaliste, forte de dizaines ou centaines de milliers de données d’observations d’oiseaux, de mammifères, d’amphibiens, de reptiles… recueillies au fil des ans sur son territoire. Cette base constitue la forme visible et tangible de sa connaissance de l’état réel de la biodiversité dudit territoire, ainsi que de l’investissement sur le terrain de centaines de connaisseurs de la biodiversité locale. Cette expertise est à la fois irremplaçable et incessible. Cette association, depuis déjà bien des années, ne perçoit plus de subventions de fonctionnement : si elle perçoit de l’argent de la part d’une structure publique, c’est dans le cadre d’une opération d’étude et de protection de la biodiversité donnée, sur le territoire de cette structure, pour laquelle elle a sollicité un soutien. Elle prend en charge cette mission de bien commun qu’est la protection du patrimoine naturel, à fort investissement humain et bien maigres moyens financiers.

En tant qu’association, d’une part, et menant des actions auprès de partenaires divers, d’autre part, notre association de protection de la nature s’appuie sur une légitimité à deux visages, sans hiérarchie entre eux, du reste.

La première, la plus historique, est la légitimité politique. Attention, ici j’entends par politique, ce qui a trait aux désirs et à l’investissement des citoyens dans la vie de leur Cité. Les décideurs politiques officiels appartiennent à une autre sphère. Théoriquement, ces sphères sont confondues ou du moins reliées par un engrenage direct. Aujourd’hui, cette liaison est agitée de tensions, de torsions, au point que son existence même est controversée. Mais pour l’instant, tenons-en-nous aux citoyens. L’association est formée, fondée, par un groupe de citoyens dont la vision du monde, le projet pour la société, reconnaît la réalité d’une perte massive de biodiversité et les causes anthropiques de cette perte, et n’accepte pas que cette perte se poursuive. Leur but est de vivre dans un monde qui respecte davantage le vivant sauvage.

L’association, sous le regard de la société civile dans laquelle elle évolue, apparaît alors comme l’expression d’un courant politique, éventuellement un nombre significatif d’électeurs, en tout cas une tendance qui existe dans la communauté des citoyens, un sujet qui mobilise des citoyens, les amène à agir, questionner, combattre, défendre, porter. Bref, à agir politiquement (s’investir dans la vie de la polis). Cette légitimité existe parce que l’association comporte un nombre d’adhérents significativement plus élevé que le nombre de salariés et révèle une vie associative réelle, avec des bénévoles actifs, des sympathisants déclarés ; tout ce qui prouve qu’elle représente la forme concrète que prend une idée qui a cours dans la société. C’est ce qui la distingue d’un lobby numériquement peu important ou d’un cabinet d’experts.

Notons ici que ladite polis peut être sereinement ignorante d’une cause dont la gravité est pourtant établie par les faits, par insouciance, ou (plus souvent) par ignorance, ou encore par fatalisme. C’est une limite importante à la possibilité pour l’association de conquérir sa légitimité politique : encore faut-il avoir accès aux tribunes pour exposer son projet.

La seconde légitimité est de nature technique et scientifique.

De ce point de vue, l’association est ferrée à glace. En effet, il convient de rappeler ici avec force quel est le véritable enjeu de la protection des écosystèmes : la survie de l’humanité, pas moins.

Bien que le fait ne soit guère connu, les services rendus par les écosystèmes sont, techniquement, évalués à un chiffre dont l’ordre de grandeur est celui du PIB planétaire ; et toute disparition soudaine des Amphibiens ou des Chauves-souris, pour ne citer que ces taxons, engendrerait pour l’agriculture d’un pays industrialisé une perte chiffrée en milliards de dollars par an : effondrement économique mais surtout physique. Les arboriculteurs chinois contraints à polliniser à la main leurs arbres, avec un résultat peu convaincant, nous en donnent un avant-goût. En clair, si nous n’enrayons pas la perte de biodiversité, peu importeront nos « services » et notre « croissance sans fin de l’économie numérique » : entres autres désagréments… nous n’aurons plus rien à manger.

Ces quelques points factuels et d’autres aisément trouvables et vérifiables sur la toile expliquent l’urgence de balayer la très archaïque – et même obscurantiste, à ce stade de données scientifiques disponibles – croyance en une biosphère aux ressources inépuisables et en un impact de l’homme forcément négligeable face aux capacités d’auto-régénération de la Nature. Il est d’ailleurs troublant de constater que l’humanité même qui, pendant cinquante années de Guerre froide, jugeait tout à fait crédible son propre anéantissement à coups de bombes atomiques, refuse de prendre au sérieux le risque d’autodestruction par effondrement des écosystèmes qui nous nourrissent. Nous sommes pourtant bien placés pour savoir une fois pour toutes que l’homme peut, techniquement, provoquer la fin du monde. On ne peut plus rêver d’une impossibilité eschatologique de l’autodestruction de l’humanité: les moyens en ont déjà été (en sont déjà) réunis.
Par empoisonnement, ça marche aussi. Le calcul est juste un petit peu plus compliqué.

Revenons, donc, à la maîtrise technique du sujet, de la part de l’association.

Celle-ci se fonde sur la capacité de l’association à agir en expert scientifique et technique, c’est-à-dire à être capable
– d’établir un diagnostic de terrain rigoureux, de définir les enjeux de manière objective,
– de proposer des solutions pratiques aux acteurs qui, sur le terrain, sont concernés par ces enjeux.

Le recrutement de salariés, écologues de formation et d’expérience, a pour but principal de renforcer les capacités de l’association dans ce registre. Elle est ainsi à même de brosser un tableau fiable de la biodiversité d’un territoire et de la façon dont celle-ci évolue, d’évaluer de manière scientifique l’impact d’une transformation du territoire ou d’un projet, d’une action, d’une mesure ; et ensuite, de formuler des propositions en réponse à l’inévitable question du « que faire », mais aussi d’agir elle-même – ou aux côtés de divers partenaires – et d’évaluer les résultats. Bref : de connaître la biodiversité sur le terrain et de la protéger concrètement.
Cette légitimité « pratique » est reconnue par les interlocuteurs techniques (services des collectivités locales, aménageurs, entreprises, agriculteurs, etc…) pour des raisons elles-mêmes techniques : données tangibles, éléments factuels, analyses scientifiques, solutions pratiques et techniquement réalisables.

Cependant, si l’association existe, c’est que la biodiversité, sans sa présence, n’est pas assez prise en compte ; et donc, que son respect n’est pas partie intégrante du système technique en vigueur. Ce dernier a pour habitude de l’ignorer superbement dans son quotidien, ou de ne pas la prendre au sérieux. La légitimité technique de l’association consistant à expertiser et résoudre techniquement le problème de la perte de biodiversité, elle ne peut se manifester que si l’interlocuteur reconnaît l’existence du problème. Faute de quoi, même s’il a conscience que sauver une population de Crapauds alytes peut être réussi au moyen d’une certaine action simple à réaliser, il ne verra tout simplement pas pourquoi il consacrerait quelque temps et quelque argent à la sauver. Il sera disposé à le faire,
– soit parce qu’il est « politiquement » convaincu lui aussi (ou désireux de plaire à une clientèle qui l’est),
– soit parce qu’une contrainte légale l’y oblige (cette loi étant elle aussi la manifestation d’une volonté citoyenne),
– soit parce que les écologues auront appuyé leur argumentaire sur une réalité tangible, scientifiquement établie, mais encore fort méconnue : l’homme étant relié aux écosystèmes de mille manières, il reste dépendant de leur bon fonctionnement, de sorte que la perte de biodiversité actuelle compromet, à moyen terme, sa survie même en tant qu’espèce ; et cela se joue non dans d’abstraites hautes sphères, mais tout de suite, devant chaque haie, chaque mare, chaque prairie.

Voilà pour le terrain des faits et du rationnel ; l’association agit alors en tant que rouage supplémentaire dans le système technique global actuel. Face à ces interlocuteurs-là, elle apparaît avant tout comme un agent technique, à la manière d’un ingénieur sécurité ou d’un service sanitaire, si l’on veut. Il faut entendre ici « système » technique comme « mode de fonctionnement mental basé sur » la technique, où seuls ont droit de cité les faits tangibles unis par un ensemble de causes matérielles, jugées rationnelles.

On pourrait, dès lors, conclure que la légitimité technique suffit amplement. Il suffit de convaincre assez d’agents techniques que le feu est à la maison et ils accepteront de faire appel aux pompiers, ces pompiers dont ils ont eu moultes occasions de constater la compétence de terrain. Réciproquement, si l’association n’était qu’un courant politique sans qualités techniques, elle ne serait pas un pompier, tout juste une agaçante sirène, discréditée par son incapacité à proposer des solutions.

Technique contre technique : quand le vivant n’a plus sa chance

Et là, problème. Nous l’avons vu, l’association voit son poids technique limité au référentiel où elle œuvre, se fait reconnaître, et pose des actes. Elle se condamne à un programme fait de compromis, basé sur un postulat implicite : la défense de la biodiversité est possible dans le référentiel technico-économique actuel. Depuis leur origine, les associations oeuvrent dans cet esprit de « conciliation », de « concertation », et mettent en avant la compatibilité de la protection de l’environnement et du « développement économique », sous-entendu dans le référentiel technico-économique de capitalisme libéral de notre temps. Elles n’ont ménagé ni leur peine ni leur ouverture, les exigences de concertation de la méthodologie Natura 2000, par exemple, en attestent. Elles ont appris à leurs dépens que c’est toujours le même qui doit se montrer ouvert. Dans une seule agglomération, des centaines de chantiers s’ouvrent chaque année sans aucune prise en compte de la législation sur les espèces protégées, aucune étude ni demande de dérogation; mais le jour où le lièvre est levé sur un site exceptionnel et le maître d’ouvrage simplement sommé de respecter la loi, on crie aux ayatollahs verts « avec qui on ne peut plus rien faire dans ce pays à cause des crapauds ». Inlassablement, pourtant, elles ont repris leur bâton de pèlerin et défendu la conciliation, la recherche de solutions, le postulat d’une écologie « non contradictoire avec »… un système fondé sur la captation maximale de ressources et de profit par l’individu.

Or, ce postulat est de plus en plus discutable. En effet, ce référentiel est basé lui-même sur un autre postulat : tous les efforts de la société doivent être dirigés vers l’obtention d’une croissance constante du PIB, censée résoudre en retour tous les problèmes. De cette croissance, on s’attend donc à ce qu’elle soit infinie, dans un monde fini. A s’enivrer de chiffres et du dogme selon lequel tout se convertit en unité monétaire, on en oublie ce niveau de réalité trivial : lorsque la terre, le minerai de fer, le pétrole… sont absents, matériellement absents car épuisés, même une somme d’argent infinie ne les fera pas surgir du néant. Mais en attendant, ce dogme gouverne le système technico-économique en vigueur sur l’ensemble du globe, et ce système exige, par définition, une consommation exponentielle et infinie de ressources. Ce qui ne l’empêche pas, d’ailleurs, de s’auto-proclamer « développement durable » comme s’il pouvait y avoir quoi que ce soit de durable dans la consommation infinie de ressources finies.
En dépit des décennies de travail des protecteurs de la nature pour réparer ou contenir cette pression, la perte de biodiversité s’aggrave, et les services rendus par les écosystèmes commencent à s’effondrer.

Aussi est-il grand temps pour l’association de s’interroger : a-t-elle encore quelque espoir d’atteindre son objectif si elle ne traduit son projet citoyen qu’en tant que rouage ? Ou bien y est-elle condamnée à un échec honorable mais complet, ou pire : à compromettre ses propres efforts en servant de caution verte au système qui détruit ce qu’elle cherche à défendre ?

C’est le projet citoyen qui est lui-même interrogé en retour : si les citoyens qui forment l’association maintiennent le cap et persistent à revendiquer un monde respectueux de l’ensemble du vivant, alors ils seront tout naturellement amenés à proposer un changement de système technico-économique, ou plus exactement un changement de paradigme, de vision du monde, au profit d’un modèle où l’homme et le vivant non humain poursuivent leur cohabitation multimillénaire – mais, cette fois-ci, avec un équilibre volontaire, pensé. La recherche d’une compatibilité du culte de la croissance et de l’écologie nous a menés à l’échec global de l’écologie – les ressources naturelles continuent de s’effondrer – au point de compromettre la pérennité de l’homme. Aussi ne pouvons-nous plus « continuer comme avant », si nous voulons atteindre l’objectif de nos combats écologistes. » Nous ne pouvons plus en rester à subir des évolutions sociétales et surtout politiques dont nous savons pertinemment qu’elles vont aggraver encore la crise écologique globale, c’est-à-dire les menaces qui pèsent sur l’ensemble des écosystèmes et par là même de l’humanité, comme nous subissons les conséquences d’un printemps pourri sur la nidification de nos busards. Le combat associatif n’a plus le choix: il doit intégrer cette dimension politique et mener désormais une lutte à deux étages. « Au ras du sol », rien ne change: le travail militant de chaque jour ne perd pas sa pertinence, mais à condition de se penser comme une action d’urgence. Lorsqu’on mène cette intervention, il est « techniquement temps, mais politiquement trop tard ». L’association s’épuisera en tels combats si, parallèlement, elle ne mène le combat à l’étage politique: prôner, défendre, de nouveaux modèles sociétaux où ces situations d’urgence n’auront plus à se produire. Souvent, nous considérons cet étage comme n’étant pas de notre compétence, ou plutôt pas de notre rôle. Pourtant, nous ne sommes pas que des techniciens ni même des ingénieurs maintenance des écosystèmes. Quelque terrible, écrasant, et peut-être même perdu d’avance qu’il puisse être, ce combat est aussi le nôtre.

Ici est alors questionné le point central de la légitimité technique du combat de nos associations : le constat, scientifiquement établi, que le fonctionnement des écosystèmes, aussi harmonieux que possible, est une condition sine qua non pour la survie de l’humanité.

En effet, le paradigme technique est tout prêt à proposer diverses options – hors de prix, et relevant encore de la science-fiction, mais que les servants du culte du Progrès nous promettent pour demain – pour remplacer, partout, le vivant par l’artificiel. Il annonce la couleur de son nouvel atout : le transhumanisme, et son évolution suprême, la « cyborgisation ». Incorporer des machines à notre propre organisme nous offrirait non seulement des « capacités augmentées », mais aussi un affranchissement des liens qui nous unissent au reste de la Terre. Ayant rompu ces liens, l’homme-machine aura dès lors disjoint son destin de celui du vivant. Même celui-ci anéanti, lui pourra continuer à survivre, ou plus exactement à se fabriquer lui-même. La biodiversité dans son infini foisonnement, assimilée par les nouveaux démiurges à un ramassis d’erreurs, d’imperfections et de manque d’efficience, sera remplacée par quelques types standardisés d’êtres vivants artificiels, conçus comme des produits ordinaires, aux fins de produire pour notre compte la matière vivante dont nous aurions encore besoin.
Tout ce dans quoi s’enracine le combat des défenseurs de la biodiversité est-il voué à se disloquer contre ce nouvel ennemi d’acier ?

La vie vaut plus que sa valeur technique

C’est là, et ce sera mon dernier chapitre, que la technique écologique est en échec, car elle n’a plus rien à répondre à cet argument : si nous pouvons survivre plus ou moins sous forme de cyborg, alors il est parfaitement inutile de consacrer tant d’énergie à protéger les écosystèmes et toutes leurs fonctionnalités qui garantissent notre survie en tant qu’être humain, Homo sapiens, enfant de l’évolution du vivant non humain. Il « suffit » de nous résigner à notre propre transformation en semi-machines, évoluant dans un monde entièrement artificiel, nourris de substances produites en usine. Si l’homme se fixe comme seul et unique objectif de se perpétuer sous une forme ou une autre, c’est une « solution ».

D’aucuns nous annoncent déjà que c’est la seule condition, pour lui, de la survie, l’environnement étant déjà trop dégradé pour qu’un avenir s’offre pour le vivant. Bien sûr, il est évident que si on pose ce postulat, et qu’on agit en conséquence, il se vérifiera. C’est ce qu’on appelle une prophétie auto-réalisatrice.

Voici, donc, la question centrale : l’homme une fois « cyborgisé » est-il encore un homme ? Les adeptes de cette voie ne manquent pas d’arguments pour nous répondre soit que « oui », soit que ça n’a aucune importance, étant donné que nous ne nous apercevrons de rien.

Pourquoi oui, ou pourquoi ça n’a aucune importance ? Mais parce qu’on va modéliser nos émotions, nos sentiments, notre intelligence et tout ira bien. Des consciences électroniques prendront le relais de nos consciences biologiques, en continuité. Ainsi, « nous » serons toujours là. Dans le Meilleur des mondes, tout le monde est heureux, et personne, ou presque, n’a conscience d’évoluer dans un cauchemar ! Et puis, nous serons Plus Performants, voyez-vous.

Cette évolution a déjà commencé dans le langage – je ne vous ferai pas insulte en alignant des exemples d’applications du verbiage technique pour désigner des réalités humaines ; ne serait-ce que la « Gestion des ressources humaines »… Dans les mots et dans les calculs, l’homme doit passer sous les fourches caudines des lois de la machine. Il est sommé d’être efficace comme une machine, évalué comme une machine, et par des algorithmes. Alors que résonnent de dérisoires appels pour réclamer la reconnaissance des « intelligences différentes », in fine, chacun doit prouver qu’il est efficace, performant, compétitif, apte à prendre sa place de machine et à se laisser jauger selon des critères machinistes. Saint-Exupéry l’avait déjà bien compris, et aussi Virgil Gheorghiu pour qui nous étions en train d’adopter les lois de nos « esclaves techniques ».

Où de telles lois d’airain sont en vigueur, l’eugénisme, sélection du matériel humain le plus performant, puis la transformation réelle de l’homme en machine sont, en fin de compte, cohérents…

Avec quelles armes allons-nous alors défendre la survie d’un homme biologique, imparfait, fini, mais aussi incroyablement plus fécond lorsqu’il est libre d’être tel qu’il est et non soumis au cadre d’un fonctionnement attendu ? Tant que tout se jugera à l’aune comptable de l’efficacité, l’homme n’aura aucune chance de plaider sa cause : si le but est d’aboutir à une économie efficace, alors l’homme-machine est, effectivement, la meilleure réponse. Mais attention, c’est un tout : à homme-machine, monde-machine et inversement. Nous sommes à une croisée de chemins, des chemins qui s’avèrent, nous l’avons vu, finalement inconciliables.

Si l’homme veut survivre, divers, inattendu, engendré, non pas fabriqué, libre d’une vraie liberté, non d’un ersatz – celui-ci fût-il indiscernable en tant que tel – alors il doit oser cette parole stupéfiante : il y a quelque chose au-dessus de l’efficacité, qui ne doit jamais lui être subordonné. Il y a la dignité de l’homme, la grandeur qui naît précisément de sa finitude et de sa dimension non prévisible, non programmée, non calculée : la fécondité naît là où elle est inattendue.

Le point de non-retour approche. Pour ne pas voir le vivant naturel, le Donné fondamental, acculé au dépôt de bilan final sous le joug d’acier de la machine, nous n’aurons plus le choix : nous devrons dépasser le terrain de l’utilitarisme et oser l’humain, que dis-je, le spirituel.

Dans quel monde voulons-nous vivre ? Dépassons l’utilitarisme !

C’est le moment – et nous y sommes – où il faut oser déclarer « Je veux protéger cet arbre parce qu’il est beau, parce que l’oiseau qui y chante est beau, et que j’ai besoin, comme homme, de cette beauté fragile. Et j’en ai autant besoin que d’un emploi et de nourriture, parce que je suis un homme, pas une bactérie qui n’a besoin que de manger et de se reproduire, et que je ne veux pas qu’on me reprogramme comme une machine qui aura la forme d’un homme et les aspirations d’une bactérie ».
C’est le moment où il faut oser proclamer la dignité de l’homme tel qu’il a été donné à l’Univers et celle de l’Univers tel qu’il a été donné à l’homme, indissociables et grands dans leur finitude même, voire dans leur « inutilité » même.

L’écologiste chrétien aura une longueur d’avance. Il est conscient, avec Hildegarde de Bingen et François d’Assise, que l’homme et l’Univers partagent une même vocation de Louange divine, que les liens biologiques qui les unissent possèdent aussi leur pendant spirituel, et que Dieu divinise toute Création lorsqu’il vient la rencontrer en Christ. Plusieurs articles de ce blog ont déjà tâché de jeter quelques notes en ce sens.

Sinon, il faudra batailler ferme. Nous avons trop cédé à l’usage de descendre sur le terrain du comptable et de l’utilitaire. Nous avons trop reculé en laissant la logique éco-machiniste, la logique centrée sur le profit matériel dûment décompté, présider aussi à la protection de la nature. Aujourd’hui, nous ne pouvons plus échapper, ni en tant que citoyens épris de bien commun, ni en tant que scientifiques férus de biologie des écosystèmes, au constat que cette stratégie nous a menés dans l’impasse. Il est peut-être même trop tard. Mais après l’ère des mesures compensatoires chichement décomptées, des quotas négociés par des Argan et des monsieur Fleurant, des aires protégées citadelles à courants d’air, il y a des portes à ouvrir à deux battants et un combat plus difficile, mais plus vaste, plus large, et qui finira par se montrer plus rassembleur.

Il ne s’agit pas de se laisser entraîner dans une stérile querelle d’Anciens – de réactionnaires – et de Modernes – « progressistes ». Le progrès et la modernité, créations de l’homme, ont vocation à être interrogés par les citoyens, façonnés par eux même : s’ils se laissent aller à une dynamique propre, hors de contrôle, à l’instar du proverbe « On ne peut pas lutter contre le progrès », ils perdent toute valeur pour se muer en rouleaux compresseurs totalitaires. Ainsi évitera-t-on l’écueil et l’accusation d’une posture agrarienne ou vaguement pétainiste.

Il s’agit au contraire de poser le plus démocratique des débats : dans quel monde voulons-nous vivre ? et de répondre qu’un Meilleur des mondes tout béton et acier, peuplé de machines programmées pour l’aimer, n’est pas une réponse acceptable. Il s’agit de se demander si nous voulons continuer à vivre en hommes.

En résumé :
• La protection de la Nature basée sur l’écologie scientifique a posé des fondations indispensables : elle a établi les outils qui permettent de démontrer la perte de biodiversité sous l’action de l’homme et défini des moyens techniques permettant de l’évaluer ainsi que d’y remédier ;
• Mais elle se trouve dans une impasse, incapable d’atteindre son but, car le caractère trop exclusivement technique de son action lui a imposé de jouer sur le terrain purement technico-économique, dans un environnement de pensée capitaliste (d’Etat ou privé) qui ne sait penser qu’en termes d’accumulation de profit matériel et où tout se jauge à l’aune de l’utilitarisme du point de vue de cette cupidité fondamentale ;
• De plus, la techno-économie s’avère elle aussi incapable, ou non désireuse, de concilier la survie du vivant, Homme compris, avec sa propre dynamique ; elle abat donc une nouvelle carte : le vivant artificiel et le transhumanisme, qui, sous réserve de faisabilité technique, remplaceront le vivant, Homme compris, par des machines ou des organismes de synthèse, rendant à terme les écosystèmes et l’Humanité originelle inutiles, superflus… mais alors utiles à quoi ?
• Il s’ensuit que le vivant, Homme compris, ne peut être protégé – qu’il ne peut y avoir d’Ecologie – qu’en cherchant à résoudre le problème dans un cadre plus large que le cadre technico-économique : un cadre philosophique et spirituel, où le vivant artificiel et le transhumanisme ne sont plus des réponses acceptables, mais des problèmes supplémentaires.
• Il faut donc que l’écologie de terrain et la réflexion spirituelle et philosophique se rencontrent afin d’élaborer – et vite – de nouveaux outils conceptuels à même de poser plus largement la question : « Pourquoi faut-il protéger le vivant tel qu’il nous a été donné, Homme compris ? » et de proposer des réponses pertinentes jusqu’au niveau technique (ou biologique) de l’écologie de terrain. C’est la seule manière de répondre à l’objet social originel de la protection de la nature : des citoyens qui s’unissent pour défendre le vivant.

Un seul regard d’amour pour la Vie

24 juin. Les chants d’oiseaux s’estompent dans la chaleur de l’été commençant. La saison de nidification s’achève. Et comme le chant des oiseaux n’a d’autres fonctions que de défense du territoire et de séduction, l’heure n’est plus aux envolées lyriques pour nos Pavarotti du bocage. Sous le lourd ciel d’orage, seuls persistent les derniers acharnés : une Fauvette à tête noire, un Verdier, ou la ritournelle métallique du Rougequeue noir en haut du toit.

L’épaisseur des arbres bruit de petits cris étouffés par les frondaisons, de piaillements aigus et brefs. Les mésanges, les pinsons, les sittelles nourrissent leurs dernières nichées, ou bien mènent leurs jeunes tout juste envolés à la chasse aux chenilles.

Seule, ou presque, une espèce vit son apothéose annuelle, le point culminant de son ballet endiablé, pour trois bonnes semaines encore. Si vous suiviez déjà ce blog l’année dernière, vous la connaissez : c’est le Martinet noir. La chaleur, propice aux myriades de moucherons, les jeunes à nourrir, qui dévorent comme quatre et vont bientôt quitter le nid, imposent aux adultes de véritables cadences infernales. Les allées et venues à la colonie s’accélèrent, et cette agitation surexcite les « adolescents », âgés d’un ou deux ans, trop jeunes pour se reproduire et qui se mêlent avec passion à cette activité frénétique. Le ciel est empli de ces centaines de petits arcs noirs, qui parfois se lancent dans une « poursuite stridente » au ras des toits, à grands cris.

Et je reste là à contempler ces cabrioles, ces fragiles acrobates qui pour quelque temps encore emplissent le ciel de vie.

Quel lien avec l’actualité de ce 24 juin 2014, où une instance judiciaire s’apprête à décider la mort ou la vie d’un malade en état pauci-relationnel, me direz-vous ? C’est pareil tous les ans à la même date. Absolument, et prions – et agissons – pour qu’il en soit encore de même de nombreuses années encore.

Le lien ? c’est un même regard d’amour envers la vie.

Parce que la vie est belle, belle dans sa fragilité et mérite intensément d’être vécue et protégée.

Parce qu’elle n’est pas notre propriété, elle est nous, elle est, tout simplement – Création divine, dignité qui nous dépasse, amour incarné.

Elle n’est pas un jouet qu’on jette ou fracasse dès qu’il ennuie ou qu’il ne répond plus tout à fait aux attentes.

Elle est imparfaite. Terriblement imparfaite. Elle ne répondra jamais absolument à tout ce que nous attendons d’elle – de toute façon, nos attentes mêmes sont à la fois infinies et mouvantes.

Elle est belle et digne justement parce qu’imparfaite et fragile, et perpétuellement changeante.

Elle est belle et digne chez le martinet, chez le malade comme chez le bien-portant – et merci de ne pas lire cette phrase comme « ah ben tiens, pour un écolo, un malade ça ne vaut pas plus qu’un martinet ».

Il n’est pas de créature qui ne soit appelée à la Louange. Il n’est pas d’homme que d’autres hommes puissent déchoir de cet appel.

N’est-il pas d’ailleurs spécialement effrayant, que le premier cas d’euthanasie soumis de la sorte à un tribunal ne concerne pas une personne en fin de vie, souffrant et exprimant une volonté, ni même dans un état végétatif en bonne et due forme, mais une personne capable d’un relationnel – certes minimal – ni mourante, ni en état d’exprimer une volonté d’en finir ?

Des hommes ont décidé de légiférer sur le fait qu’un autre homme soit défini comme ayant perdu sa dignité d’humain au point de devoir mourir, à cause d’une perte de fonctionnalités.

On hésite ici à rappeler sur quoi Dieu fonde son amour pour l’homme, cet être insignifiant – il est si aisé à la société civile de clamer qu’elle refuse de suivre l’avis de citoyens qui « se basent sur leurs croyances ». Quoique cela ressemble furieusement à un rejet des droits civiques et d’expression des citoyens ne professant pas le matérialisme athée et scientiste de l’époque…

Quels critères ! S’il ne fait plus, alors il n’est plus.

Peut-on être plus clair sur le terrain où se lance cette bataille, un terrain où ni la vie ni l’homme ne sont considérés pour leur être, mais uniquement pour leur faire ?

Comment ne pas lire là-derrière le spectre d’une sélection utilitaire ?

Vous me pardonnerez de ne pas pouvoir poursuivre.

Réforme territoriale: Paris et le désert français en quatorze tomes ?

Cela a ressemblé à une envie de femme enceinte : tout d’un coup, il ne fut plus question que de diviser par deux le nombre de régions, et cela nous fut assené avec les airs d’une évidence triviale. Il était soudain devenu aberrant qu’il y eût vingt-deux régions en France, et aveuglant de clarté que leur regroupement deux à deux allait « simplifier le millefeuille territorial » et « faire des économies ».

Ah, « faire des économies ! » Que ne ferait-on pas accepter aux citoyens sous la promesse de « faire des économies » et de « simplifier ». Un véritable sortilège de l’Imperium : levez la baguette, lancez le sortilège « Economiseo simplificato ! » et tout le monde obéit. Pour faire taire les grincheux, on raille les élus locaux « accrochés à leurs baronnies », on invoque un petit coup le dieu « compétitivité européenne » et tout va bien.

Fait du prince sur coin de table

Ainsi M. Hollande, apparemment piqué d’une petite faitduprincite aiguë, aura-t-il décrété, au bout de quelques semaines d’une vague consultation informelle des élus locaux, quel serait le visage et le nom des territoires de notre pays pour les décennies à venir. Paf !
Nous voici donc en présence de sa version du crayonnage de super-régions, ce petit jeu qui nous aura été proposé un peu partout avec comme premier fait notable, outre ce pas de charge imposé, l’absence totale de réflexion sur la pertinence en soi de regrouper les régions par deux ou trois pour parvenir à l’objectif annoncé.

Ce redécoupage, du reste, sent furieusement le griffonnage sur un coin de nappe en papier, au restaurant, entre la poire et le fromage. Voilà que les régions sont finalement 14, car on a voulu ménager les susceptibilités les plus bruyantes tout en s’abstenant de trancher les pommes de discorde : la Bretagne n’y gagne rien, les Pays de Loire non plus. Sans trop de difficulté, on suivrait l’ordre chronologique des coups de crayon : pas touche à l’Île-de-France, ni à la Corse, ni à la limite Bretagne-Pays de Loire ; côté est, on regroupe par paquets de deux ; et pour finir, on met ensemble ce qui reste et dont on ne sait pas que fiche. Midi-Pyrénées-Languedoc-Roussillon fusionnent, ce qui, comme l’a noté Jean-Pierre Denis, aura au moins le mérite de rapprocher les Camisards de Lourdes et des chances de retrouver le chemin de notre sainte mère l’Eglise, Picardie-Champagne-Ardenne s’agglomèrent en une surprenante fédération betteravière, encore qu’on se demande ce qui diable peut réunir le littoral de la Somme et le plateau de Langres ; enfin, l’apothéose du #facepalm est atteinte avec un ahurissant fourre-tout mêlant le Centre – qui l’était déjà en lui-même – le Limousin et le Poitou-Charentes. Orléans, Royan, même combat. Vraisemblablement même ignorance du technocrate crayonneur de ce qui peut bien se trouver par là-bas dans ces terres incertaines sises entre Loire et Garonne, mais que, voyez-vous, depuis Clovis, on a renoncé à refiler aux Wisigoths.

Que leur nom ne soit plus !

Voilà le nouveau visage de notre pays fixé pour sans doute quelques générations – décidé en un mois.
Quels noms pour tout cela ? On parle de « Lyon-Alpes » pour la fusion Rhône-Alpes Auvergne ; voilà qui est fort caractéristique. L’Auvergne est donc absorbée sans une phrase et le nom de la résultante est tout un programme : l’Auvergne y perd jusqu’au droit de porter son nom sur une carte.

Idem le Limousin, éjecté de l’autre côté : exit, le Massif central, il passera sous la férule des plaines environnantes, tout juste bon à achever de s’y vider. On n’ose d’ailleurs imaginer le toponyme dont devra s’affubler le monstre centre-atlantique, l’espace entre Somme et Marne ou le gros paquet centre-méridional. Ouest Du Milieu En Haut ?Grand Sud ? Nord-Est Numéro Un ? Et comment pourra-t-on ne serait-ce que localiser une ville : Dreux, juste à l’ouest de Paris, ou Saint-Sorlin-de-Conac, au début de l’estuaire Gironde… tout ce qu’on pourra en dire, ce sera que « c’est dans le Grand Centre Ouest ».

Une chose est sûre : extirper les noms des pays est rien moins qu’innocent, surtout couplé à cette volonté de reproduire à l’échelle de ces superrégions la métropolâtrie jacobine qui nous a valu l’hypertrophie parisienne. Vides de noms – de singularité, d’existence même – ces territoires sont voués à se vider d’hommes au profit d’une métropole-trou noir, absorbant sans fin les forces vives et concentrant comme une loupe tous les moyens autour de son petit périmètre. Paris et le désert français en quatorze tomes.

Hommes-numéros, garde à vous ! Au clapier… Fixe !

Cette obsession française pour la capitale, pour la « compétitivité » soi-disant mathématiquement corrélée au poids de viande humaine entassée au centimètre carré… Oh, bien sûr, c’est efficient. Cela le serait si, dans la vraie vie et dans la vraie France (notez que ça marche aussi ailleurs), les hommes étaient ces unités inanimées de production et de consommation, dont on optimise le rendement en les concentrant dans des centres tels qu’en fantasmaient les urbanistes d’il y a cinquante ans. Empilez le bétail humain dans les machines à habiter (sic), les machines à produire et les machines à consommer, cerclez le tout d’une autoroute, ne les laissez plus sortir : les voilà rentables comme les laitières de la sinistre ferme de mille vaches. Foin des singularités, des histoires propres, des atouts spécifiques d’un territoire, « à l’ère de la mondialisation ma bonne dame »… si l’homme et son terroir se refusent à relever du Standard et du Même, alors on les modèlera ainsi de force. Il sera aisé ensuite de dire « Vous voyez bien ».
Parbleu : tous moyens de développement local, économique et humain, siphonnés par le grand centre se regardant le nombril à 250 km de là, il n’aura pas le choix que de s’y rendre, baluchon sur l’épaule. Coupez les racines des hommes et vous pourrez clamer qu’ils n’en ont point.
Efficace ! Rationnel ! Compétitif ! Oui, tout ceci serait vrai si les régions étaient des ensembles mathématiques et les hommes des objets. Identiques, interchangeables, standardisés, smartphones humains n’ayant besoin que de réseau et d’une prise de courant. « Si vous ne l’êtes pas, devenez-le, au nom de la compétitivité ! »

Manions ces hommes-objets à pleines mains, concentrons-les comme les machines d’un vaste réseau qu’on réagence, en à peine un mois.
Curieuse, ou plutôt effarante, cauchemardesque vision de l’homme et de l’espace peuplé d’hommes, cynique, technocratique voire machiniste. Troublante convergence des incantations capitalistes à l’efficacité par la concentration et de l’économie planifiée avec ses villes-clapiers poussées comme des champignons et tirées au cordeau.
Oui mais voyez-vous, vous parlez d’espaces où des hommes travaillent la terre depuis six mille ans. Et la terre, ne vous en déplaise, n’est pas partout pareille et ses hommes non plus. Votre bulldozer va commencer par arracher le meilleur, pour ne garder que la part invariante, la plus banale, la moins apte à tirer tout le fruit d’un environnement.

Au loin derrière les monts, j’ai cru voir un décideur

Ah, le millefeuille en prend un coup, certes : il laisse place à un vol-au-vent dont le creux est partout et la croûte nulle part. Un vide. A moins, comme on le murmure dans l’oreillette, que la liquidation des départements soit finalement abandonnée, le citoyen qui n’aura pas l’heur d’habiter la grande banlieue de la Super-préfecture n’aura rien, dans un rayon de deux ou trois cent kilomètres, qui possède un tant soit peu de pouvoir, de moyens et de possibilité de se pencher sur son territoire, son quotidien local, son projet d’entreprise ou d’association. Et il faut une épaisse dose de naïveté pour croire, comme M. Wauquiez, qu’une région qui s’appellera « Lyon-Alpes », par exemple, consacrera un traître centime à soutenir des projets de développement local harmonieux dans le massif du Velay, quand cet argent sera si facilement affecté à étendre une soixante-treizième ZAC entre Lyon et L’Isle-d’Abeau. Histoire d’atteindre très vite la « taille critique européenne »…

A l’heure où les élections européennes ont sonné comme un appel désespéré à plus de proximité entre politiques et citoyens, fallait-il cette gifle de technocrates, ce coup de maillet sur un peuple ainsi brutalement rappelé à sa condition d’esclave technico-économique, tout juste bon à se laisser optimiser par des décideurs déshumanisants et déshumanisés ?

Cela risque de mal finir, voyez-vous. Par exemple quand nous serons tous entassés dans nos « métropoles compétitives » – comme si la question des banlieues, de l’étalement urbain, des transports interminables, des pollutions de l’air et de l’eau, des coûts immobiliers ne s’étalait pas à la une chaque matin. Mais qu’attendre d’une classe politique qui ne gouverne plus que par et pour Paris, Lyon et Marseille ?

On avait l’occasion de réfléchir et de monter un projet qui clarifie les prérogatives tout en respectant l’indispensable niveau décisionnel local. On avait l’occasion de s’adapter, aussi, aux réalités d’un monde où l’énergie se raréfie, un monde où il faudra relocaliser, mieux répartir, mieux occuper – on avait l’occasion de redessiner une carte de territoires « mode doux ».

Au lieu de quoi, on impose au pas de charge une vision tout droit sortie des planifications des années 60-70 dans son approche des hommes et des espaces, tout cela sous le prétexte tarte à la crème de « lutter contre la gabegie des élus locaux ». Quelles couleuvres ne fait-on pas avaler en son nom ! Même l’idée que cette re-centralisation ne nous vaudra pas la création d’une administration descendante tentaculaire cent fois plus lourde que l’autre. Mieux vaut en rire…

Vous trouvez cette lecture du projet excessive ? Pas tant que le titre « Paris et le désert français »…

Bon, il reste un espoir : qu’après quelques années de jacobinisme superrégional, les déséquilibres engendrés soient tels et la rancœur si grande que l’un de nos décideurs ait l’idée géniale de créer des échelons intermédiaires pour se rapprocher des citoyens. Peut-être même avec des élus !

Ainsi, avec des « aaah ! » et des « ooooh ! » admiratifs, peut-être, on réinventera les départements, puis les régions.

« Genre à l’école ». Et si on essayait de poser les choses ?

La théorie du genre à l’école. Elle existe ! Oui ! Non ! Fantasmes ! Réactionnaires ! Totalitaires ! Anti-républicains !
Scindé en clans plus irréconciliables que partisans et adversaires du fromage râpé dans le gratin dauphinois, notre pays est en paix que c’en est un bonheur.
Je ne sais pas dans quoi je me lance avec cet article. Il est beaucoup plus risqué que les corneilles et les crapauds. Mais, moi aussi, j’aspire à un peu de calme. Alors, je vais tâcher de poser à plat ce que j’ai pu glaner sur ce fameux sujet. C’est un peu long. Accordez-moi la bienveillance de lire en entier !

Pourquoi, avant tout, une telle violence ?

On a beau jeu de crier au fantasme, aux craintes paranoïaques : les mots de monsieur Peillon sont couchés sur le papier et consultables par tous. Et leur violence est difficilement niable. Le projet de chasser et remplacer les valeurs enseignées par les parents dans le cadre de leur rôle éducatif au profit d’un catalogue de valeurs censé être républicain est écrit noir sur blanc. En cela, il n’enfreint d’ailleurs pas seulement le droit des parents à transmettre des valeurs à leurs enfants, mais aussi celui, si paradoxal qu’il puisse être, d’un citoyen libre, dans un Etat de droit, à ne pas adhérer au projet politique de son pays, et à désirer et professer l’évolution de ce projet, par des voies respectant la loi existante, voies que ladite loi doit cadrer, baliser, mais avant tout créer.

Il est fort possible que le caractère outrancier des propos ministériels relève, au moins en partie, d’une sorte de jeu plus que de convictions réelles. En effet, les grands partis de gouvernement appliquent désormais des programmes économiques dont la similarité est telle qu’elle n’échappe plus à personne. Aussi, pour se démarquer, lesdits partis n’ont-ils plus à leur disposition qu’une stratégie : monter en épingle des sujets situés en périphérie du quotidien technico-économique, mais très connotés sur le plan idéologique, très emblématiques d’une « politique de gauche » ou « de droite ». L’intérêt est double : d’une part, cultiver l’illusion que le bipartisme traditionnel a toujours cours, inchangé: « voyez comme nous sommes différents sur ce sujet, voyez à quel point nos positions et celles de l’opposition sont inconciliables ! » D’autre part, rassurer son électorat historique (quoique…) et exaspérer jusqu’à l’hystérie celui de l’opposition, à coups de déclarations destinées à lui être odieuses. On aura beau jeu, ensuite, de dénoncer ses « fantasmes » et le « danger » qu’elle représente pour… « la République » ou « la France ».

Reste qu’on est en droit de s’inquiéter, lorsqu’on entend des personnages investis de si hautes responsabilités se livrer à de tels déchaînements, qu’ils soient sincères ou juste occupés à quelque théâtre de Guignol. Pour faire court : les opposants aux projets de M. Peillon n’ont pas tout inventé. Et l’argument selon lequel « même s’il l’a dit, c’est pas pour ça que ça sera appliqué, c’est trop énorme » n’est pas très prudent. Il existe de cuisants et même sanglants contre-exemples.

Néanmoins, tout n’est pas du meilleur goût en matière de réplique, et que l’exemple vienne de haut ne signifie pas qu’il soit bon. Par exemple, on a beaucoup vu circuler un document de l’OMS accusé de promouvoir l’apprentissage de la masturbation à la maternelle, pas moins ! Un examen plus attentif du document montre qu’il n’est nullement question de promouvoir ni d’initier les enfants à ces pratiques, mais d’informer sur leur existence, qui est une réalité source possible de questions de la part des enfants… qui, à cet âge, découvrent leur corps et ignorent ce qui se fait ou pas.

On me répondra que ce n’est pas à l’école de remplir ce rôle, mais aux parents.
Soit, mais avant tout, il s’agissait de ne pas déformer un fait : on a bien assez à faire avec la réalité, sans en rajouter.

Revenons à ce point épineux : où s’arrête le rôle de l’école ?

La question est de savoir si l’école doit aborder, si peu que ce soit, et sous quel angle que ce soit, ce qui touche au rapport au corps et à la sexualité, ou si elle doit se concentrer sur l’instruction, le « lire écrire compter » en quelque sorte. Question pertinente, car d’une part la sexualité relève de l’intime et il serait bien effarant que l’Etat (ou tout autre structure extérieure à la sphère intime, d’ailleurs) prétende la régler, et d’autre part, notre système scolaire obtient actuellement des résultats qui incitent à lui conseiller d’abord de soigner ses fondamentaux.

L’ennui, c’est que la distinction entre l’instruire et l’éduquer n’est pas toujours aussi nette que ça. Nul ne contestera, ou alors ce serait bien nouveau, que la biologie du corps humain et la reproduction sexuée fassent partie intégrante de l’enseignement scolaire. Du reste, dans ses jeunes années, l’enfant découvre son corps et s’interroge. Où est la limite entre répondre de matière factuelle et physiologique et « aborder des sujets qui doivent être du domaine de l’intime » ? Ce qui est sûr, c’est que l’enfant de moins de 7-8 ans, lui, ne la maîtrise pas (ou s’en moque) et pose les questions quand elles lui viennent. Et qu’il est préférable de répondre.
Quelle réponse ? J’ai croisé un certain nombre d’enseignants que les débats du moment ont profondément choqués. En effet, certains n’ont pas hésité à voir en eux – sous prétexte « qu’ils sont tous de gauche », donc censément de dociles robots des instructions ministérielles – des relais sans scrupule d’une espèce de lobby cherchant à enseigner aux innocents bambins on ne sait quelles pratiques péri-sexuelles, promouvoir les attouchements ou on ne sait quelle horreur. À croire que les écoles s’étaient soudain remplies de hussards noirs du libertarisme sexuel décomplexé, prêts, sur une circulaire, à organiser de vastes séances d’initiation aux diverses formes de plaisir sexuel pour des bambins de cinq ans. Comme si nos enseignants étaient devenus massivement des pervers, par décret.

Comme si les professeurs des écoles, depuis que le métier existe, n’étaient pas formés à en entendre « des vertes et des pas mûres » en matière de questions déroutantes posées en toute innocence, et suffisamment intelligents, sensibles, et humains, pour apporter une réponse satisfaisante et respectueuse de la dignité et de l’intimité de l’enfant…
« Le corps humain », on m’a appris ça en CE1, en 1983, dans une école privée sous contrat fort catholique. L’institutrice a exercé, d’ailleurs, les fonctions de chef de la chorale paroissiale pendant un nombre considérable de décennies. Pour autant que je m’en souvienne, on traitait le sujet avec une pudeur simple, mais sans pudibonderie. On trouvait dans les librairies des livres qui apprenaient à l’enfant ce qu’était son corps, comment il fonctionnait, avec des personnages nus. Sans en rajouter pour rien, mais parce que notre physiologie, ben elle existe. Biologique. Factuelle.

Laissons de côté la sexualité et revenons à la plus large question des valeurs.

L’école a-t-elle pour mission de remplacer les valeurs transmises par les parents par celles qui intéressent l’État, ou toute autre puissance ? Assurément pas. A-t-elle pour mission de former des citoyens prêts à vivre en liberté dans l’univers institutionnel qui est le leur, y compris jusqu’à souhaiter le remettre en cause de manière pacifique ? Assurément oui. C’est même un corollaire de la discipline scolaire la plus élémentaire. Et l’école est dans son rôle lorsqu’elle enseigne qu’on respecte la loi, et que si on la discute, la conteste, la fait évoluer… cela doit se faire sans violence. Ou qu’elle enseigne celles des valeurs humaines qui sont inscrites dans la Constitution, comme étant celles que la France a, pour l’heure, choisies de respecter, et pourquoi. C’est possible sans anathème envers les idées déviantes, sans manipulation, sans que cela constitue un « lavage de cerveau » – si cela est possible aux parents, pourquoi pas aux enseignants ?

Et, me répondrez-vous, si les parents n’adhèrent pas à ces valeurs ? « L’enfant va finir schizophrène, déchiré entre deux pôles contradictoires, alors ne lui enseignez rien en-dehors de ce que nous acceptons ! »

Heu, dites. Outre le fait que tout projet commun, toute vie politique française sera rendue assez difficile si nul n’expose plus la simple teneur, l’essence du cadre politique commun de notre quotidien, y a-t-il vraiment lieu de redouter qu’à l’école, même de monsieur Peillon, on vienne à marteler trente heures par semaine une doxa marxiste-léniniste ? Vous souvient-il des cours dits d’instruction civique, ou de leurs manuels, vu que ces heures étaient presque systématiquement rognées au profit d’une autre matière ? Il n’y avait rien qui ne pût être contré par le discours des parents, si tel était leur désir. Il y avait là une information minimale sur les institutions du pays, l’existence de lois, et des généralités sur les principes de liberté, d’égalité et de fraternité, couchée dans un bouquin qu’on n’ouvrait pas souvent. Et on n’est pas parti pour aller plus loin. Du reste, aborder un sujet qu’on peut considérer comme relevant de la sphère privée ne signifie pas ipso facto chercher à en prendre le contrôle. Le choix d’un métier pourrait être considéré comme relevant du privé. On ne taxe pas les conseillers d’orientation, les intervenants venus présenter telle ou telle formation ou école de dérives totalitaires.

D’autre part, qui peut soutenir que l’enfant, quoi qu’il arrive, n’est pas exposé à des modèles, des valeurs, des projets, des visions du monde contradictoires ? Je ne sache pas qu’il y ait un modèle, celui qu’on enseignerait dans Les Familles – toutes – et un modèle extérieur, irréconciliable, celui de l’État. Il y a des familles diverses, des programmes scolaires qui changent, des enseignants qui les appliquent diversement, et il y a surtout le foisonnement, la masse énorme de tous les autres modèles projetés. Souvent avec une puissance de feu de loin supérieure à celle de la pauvre Éducation nationale comme à celle d’une simple famille. Ne serait-ce que le lourd arsenal publicitaire qui martèle, à chaque pas, les beautés du modèle basé sur l’apparence et le consommer plus pour valoir plus, efficacement relayé dans la cour de récré par « la bande » où l’on admire celui qui s’est fait payer le produit le plus cher. Pour les parents, chrétiens ou non, désireux de transmettre la primauté de l’être sur l’avoir, un mode de vie plus simple, basé sur l’humain plus que le matériel, ce n’est pas une sinécure que de lutter. De même, lorsqu’une entreprise intervient en cours et expose ses intérêts propres, sa vision du monde, comme le ferait n’importe quel lobby décrié. On pourra multiplier les exemples à l’infini. L’éducation par les parents devra, quoi qu’il arrive, éclairer, dénouer, décanter, trancher. Elle le fait depuis toujours ; elle restera en mesure de le faire.

Dernier point : une école idéologiquement neutre est un mythe, de même qu’une éducation parfaitement libre. Ne fantasmons pas plus là qu’ailleurs sur la liberté que garantirait la politique de la page blanche. Que l’on choisisse d’aborder un thème un peu, beaucoup, ou pas du tout, est déjà un choix non neutre. Il est neutre d’enseigner que la Terre est ronde ou que deux et deux font quatre, mais le simple volume horaire consacré à enseigner les mathématiques plutôt qu’une autre matière ne l’est déjà plus. À n’importe quelle forme d’enseignement, on trouvera à redire question neutralité.

Veiller à la liberté de conscience, veiller aussi à y éduquer ses propres enfants, quitte à ce qu’ils nous rejettent un jour comme peut-être, nous avons rejeté des modèles parentaux, ou scolaires… est une chose, saine.

Il n’est pas un Etat au monde qui n’utilise l’école pour éduquer les futurs citoyens au respect de la loi et des grands principes constitutionnels : c’est ce qui fonde la citoyenneté, c’est sa prérogative. Dans un État totalitaire, ces principes sont matraqués, et la déviance supposée, traquée. Pour de vrai. Avec des peines de prison, des tabassages policiers, des disparitions. Dans un État de droit, cela s’accompagne d’une formation à l’esprit critique ; une matière dans laquelle les parents ont, eux aussi, leur mot à dire. Et encore bien plus de marge de manœuvre que nous ne le redoutons. Mais aussi bien plus de responsabilité.

Croire que le problème vient seulement de naître, que l’école publique est devenue, ou s’apprête à devenir, un vaste camp de rééducation au service des dernières élucubrations politiques, avec la puissance dévastatrice d’un terrorisme d’État, face au bloc monolithique de familles mobilisées autour d’un même socle, n’est pas plus sérieux que la ridicule pseudo-croisade ministérielle. De cette surenchère d’anathèmes, tout le monde sort déjà perdant : des élites qui n’en finissent pas de se décrédibiliser, un débat public qui vire au combat de rue, une société qui s’émiette en camps qui auront de plus en plus de mal à se réconcilier, des parents, des enseignants, des enfants jouets de toutes les escalades et de toutes les exagérations.

Une si triste « tolérance »…

Après un léger interlude consacré aux camélidés andins, il est temps de revenir au cœur du sujet. Néanmoins, ledit n’était pas une incongruité. L’humour étant la politesse du désespoir, et le refus de se prendre au sérieux une condition de survie, ne négligeons pas le rire et la dérision. Ils valent mieux que l’aigreur et la déprime, n’est-ce pas ?

Ceci étant dit, revenons à une réflexion à voix haute moins amusante… et histoire de commencer par un souverain poncif, notons-le : la tolérance est un terme à la mode. Un maître mot de notre société, même. Le vivre-ensemble consisterait à se tolérer les uns les autres.

Cela me déplaît. M’attriste, même. Pourquoi ?

Imaginons la scène.
« Ceux qui aiment le gâteau au chocolat… Je me méfie de ces gens-là. A terme, ils finissent obèses, ils exigent des lois en leur faveur, des nouvelles normes de sièges dans les avions, de largeur de lits, une prise en charge médicale, bref, ils imposent leur système à tout le monde. Mais on ne peut pas empêcher quelqu’un, dans la sphère intime que constitue sa cuisine, de se préparer un gâteau au chocolat. Alors, on va se montrer tolérant: on va les laisser faire. Je suis tolérant envers ces gens-là, moi. Mais que je ne les entende pas parler de recettes devant moi ! Qu’il n’y ait pas d’émission « Meilleur pâtissier de France » payée avec nos impôts ! Ou au moins qu’ensuite il y ait un communiqué gouvernemental pour en rappeler tous les dangers ! Et j’espère qu’on signalera au rectorat les enfants qui mangent du gâteau au chocolat pour leur anniversaire. »

Qu’est-ce que la tolérance ?

Wikipédia nous enseigne que « dans son sens le plus général, la tolérance, du latin tolerare (supporter), désigne la capacité à accepter ce que l’on désapprouve, c’est-à-dire ce que l’on devrait normalement refuser. »

Le Larousse en ligne, plus généreux, y voit « l’attitude de quelqu’un qui admet chez les autres des manières de penser et de vivre différentes des siennes propres » mais aussi « l’aptitude de quelqu’un à supporter les effets d’un agent extérieur, en particulier agressif ou nuisible ».
Au gré des sources, on retrouvera donc, pour finir, la notion d’ouverture et d’acceptation de la différence non pas au centre, mais à l’extrémité du spectre, et beaucoup plus couramment la notion de se résoudre à supporter ce que l’on considère être mauvais. Une notion, du reste, beaucoup plus conforme à l’étymologie : tolerare = supporter.

Ainsi, la tolérance face aux idées, aux convictions, à la foi des autres notamment, est-elle presque toujours grosse d’une condamnation sans appel. Il s’agit de l’attitude que l’on adopte à l’égard de ce qui est irrémédiablement jugé néfaste, malsain, mais qu’on a dû renoncer à éradiquer.

Dans le meilleur des cas, le glissement vers l’extrémité « positive » du spectre se borne au relativisme exprimé par « Chacun ses idées, chacun sa vérité, épicétou ».

En fin de compte, la tolérance moderne se caractérise par deux points fort inquiétants, dans la mesure où l’on fait de cette attitude l’alpha et l’oméga du « vivre ensemble » et du bon réflexe face à la différence constatée :
– La différence face à laquelle on professe de la tolérance n’est acceptée qu’à condition d’être invisible, inaudible, et de n’influer en rien sur tout ce que son porteur présente au monde extérieur (ses valeurs, ses choix de citoyen…) et ce déni est valorisé, puisque Tolérant ;
– Conséquence de ce désir de ne pas voir, ainsi que de la posture relativiste, aucune rencontre n’est possible : soit que l’on ait manifesté vis-à-vis de l’autre son refus de voir ce qu’il a de différent, soit qu’on ait conclu « Chacun son truc », la rencontre s’achève prématurément par un dos à dos.. Aucun échange, aucune prise d’information, ce qui alimente tous les fantasmes vis-à-vis des personnes jugées différentes et le repli entre soi. Le cercle vicieux est amorcé.

Il n’y a pas besoin d’une réflexion poussée pour constater quel modèle unique nous est imposé là, sans avoir l’air d’y toucher. Basé sur le plus petit dénominateur commun, le reste étant prié de se confiner aux catacombes de « la sphère la plus intime du privé », il « prie » le citoyen d’adopter en toutes circonstances un comportement conforme à cette page blanche, pardon ! incolore, et lisse.

Les seules différences libres de s’exprimer étant celles qui n’y portent pas atteinte, celles qui ne sont qu’une surface, en-dessous de laquelle chacun est censé, à coups d’évidences, adhérer de tout son être au consumérisme occidental, à l’idéal de toute-jouissance individuelle à l’exclusion de toute autre valeur, essence, identité.

Le reste est réprouvé avec la brutalité sourde d’un mur de pierre. Les différences « tolérées »doivent se savoir enfournées dans le grand sac de « ce que, normalement, on ne devrait pas admettre ».

Normalement ! Et quelle norme !

La tolérance de notre temps pose en parangon de respect alors qu’elle en est l’exact opposé. Elle est refus a priori de la rencontre, repli, esquive. Un épouvantable cordon sanitaire autour de ce qui nous trouble. Elle est le silence imposé, d’un geste impérieux de la main – ce mortifère « Je ne veux pas le savoir. »

Tolérer un prophète : le laisser crier dans son désert. Et ne pas le reconnaître. Tolérer celui qui vient : maintenir une large distance de sécurité.

Juger. Sans amour.
« La mesure dont vous vous servez pour les autres servira aussi pour vous. » (Lc 6, 38). Christ est-il tolérant ? Son Royaume est-il un Royaume de tolérance… ou d’amour ?

La tolérance de notre temps, c’est le règne du dos à dos, alors que toute rencontre ne peut se produire que face à face : une con-front-ation. Avec un risque, la part de risque inhérente à toute interaction avec l’autre. La tolérance du XXIe siècle a déjà jugé, avant que de connaître. Le respect, l’ouverture, l’acceptation, se manifestent à l’égard de ce que l’on a déjà choisi de rencontrer. La rencontre avec l’autre, enjeu de toute notre vie d’être humain, ne peut avoir lieu que si nous osons sortir de cet enchevêtrement de flux de cauchemar qui courent à une vitesse folle, chacun rivé à sa voie, à jamais disjointe de toutes les autres – comme ces démentiels échangeurs de nos périphériques de banlieue où les voies s’entremêlent sans jamais se croiser.

Au-delà de ce risque, il y a la découverte, l’enrichissement, et la Vie.

« Personne ne vit mieux en fuyant les autres, en se cachant, en refusant de compatir et de donner, en s’enfermant dans le confort. Ce n’est rien d’autre qu’un lent suicide. »
(Pape François, Evangelii Gaudium »)

On m’objectera – on m’a déjà objecté – que la rencontre avec l’autre ne pouvait pas, ne devait pas être obligatoire, et que chacun doit rester libre de ne pas interagir avec untel ou untel, voire avec une catégorie entière. Certes. Mais la non-rencontre n’a aucune raison de s’accompagner de jugement, de rejet, d’évitement. Elle est comme une page blanche – peut-être destinée à le rester – plutôt qu’une page où s’inscrirait un fatidique « Non ».

Après cet inquiétant tableau, il est temps de faire retour sur soi-même. Qu’est-ce que je tolère ? A quoi est-ce que je m’ouvre et qu’est-ce que je respecte ? La réponse, c’est à redouter, sera terrible.

Mais elle fournit la matière à une prière, et ça, c’est le principal.