L’écologie (déjà) essorée en rase campagne

L’écologie passe dans le tambour d’une campagne présidentielle commencée déjà depuis des semaines. Elle ne peut qu’en sortir essorée, comme les préconisations d’une convention citoyenne qui s’était pourtant fait le relais de la science. Les forêts contribuent à piéger le carbone ? « Aucun rapport entre forêt et climat », répond le Parlement. Les zones à faibles émissions sont aussi bonnes pour réduire la pollution atmosphérique ? peu importe, aucune raison de s’en soucier. Et Barbara Pompili d’enfoncer le clou : pour réussir sa transition écologique, la France n’a besoin que de « petits ajustements ». Cette France qui ne réagit pas à l’effondrement de sa biodiversité commune, qui continue à perdre des milliers de kilomètres de haies par an, et dont l’agriculture vient d’être sonnée par une conséquence dûment prévue du dérèglement climatique, n’a besoin que de « petits ajustements ». Bienvenue en 1980.

Nous sommes en campagne: l’écologie est désormais exclusivement assimilée à son parti. Entre autres choses, c’est très pratique pour la réduire, toute entière – et bien au-delà des compétences des élus EELV ou assimilés – à un courant d’opinion, et à rien de plus. Comme s’il suffisait de ne plus voter pour eux pour que la banquise, matée, cessât illico de fondre, et les petits oiseaux de disparaître. Et comme nous sommes dans une logique de campagne et de partis, même les projets écologiques les plus pertinents, appuyés par les meilleurs spécialistes, sont dénoncés comme délirants et attestant de l’ignorance écologique de leurs porteurs. Dernièrement, Twitter a martelé que seul un site parodique pouvait voir un intérêt pour la biodiversité à la conservation au pied des arbres urbains de la flore spontanée. Pas de bol: cet intérêt est attesté au bénéfice de toute la petite faune urbaine; c’est même à ce genre d’interstices de sauvage, à ces micro-lentilles de vie échappées au goudron, que doivent de survivre les derniers oiseaux et les derniers insectes urbains. Mais c’est la campagne. Les faits n’ont plus leur place: l’important, c’est de taper sur le maire sortant.

Il n’a pas suffi que le président du Muséum national d’histoire naturelle fût invité longuement sur France Inter et qu’il y rappelât que nous entrons dans une zone de chaos, que la planète n’a jamais vécu de crise d’extinction aussi générale et rapide à la fois, que les services de la biodiversité vont s’effondrer sous nos pieds et nous jeter dans l’inconnu. Un flot d’éléments de langage vint faire barrage à son propos, et naturellement, ce fut l’habituelle accusation d’effondrisme, « d’écologisme plutôt que d’écologie », etc.

N’est agréé scientifique que celui qui profère les arguties lénifiantes qui depuis cinquante ans couvrent de leur vacarme les propos… des scientifiques : « technologie, innovation, progrès, foi en l’homme, la planète a déjà vu ça, rien de nouveau », etc.

Quand même Le Figaro publie en libre accès les propos d’un climatologue expliquant le caractère anormal, et lié au réchauffement, de la gelée dévastatrice de cette semaine, s’ensuit un tollé rabâchant que « tout ça c’est naturel, tout ça n’a rien à voir avec le CO2 ».

Et nous (nous, les Herrmann) ? Et bien nous ne faisons plus rien. Ainsi le veulent… les circonstances ? les attentes ? les forces en présence ? Après deux, trois années de conférences en interventions, qui nous ont menés jusqu’à Rome, c’est le vide et l’impuissance. J’ai appris récemment, d’un très gros compte, que je n’étais pas ornithologue, en vrai. Qu’il n’y avait pas de raison de le croire puisque je n’avais pas donné la réponse qu’il attendait d’un ornithologue, d’un vrai.

Nous sommes du reste dans une phase de partis, de slogans, d’éléments de langage où même la vraisemblance ne compte plus, à plus forte raison les données. Une phase de combats de coqs où il faudrait, paraît-il, admettre qu’il n’y a « que des lobbys », c’est-à-dire des gens qui mentent comme des arracheurs de dents pour extorquer aux autres de l’argent et des places d’honneur.

L’état des lieux, des faits, des données, l’examen de causes, n’a plus aucun intérêt dans une arène pareille. Ni les écologues, ni les sociologues, ni les historiens, ni les linguistes n’intéressent. Quand un député rappelle que les racines chrétiennes de la France ont été plantées par des chrétiens venus du Proche-Orient, de Grèce ou d’Afrique du Nord, son interlocuteur le sait bien : seulement, il s’en fiche, comme Mme de Montchalin se fiche des démentis collés par les scientifiques à cette fameuse « 4e place du pays le plus vert du monde ».

Il ne reste qu’un tourbillon de paroles qui n’ont plus la prétention d’être ni vraies, ni crédibles, ni capables de résister à un fackt-checking de trente secondes, ni sincères, ni même performatives ou autoréalisatrices ; et qui ne distinguent plus en rien le récit d’un fait d’une opinion gratuite. Seul leur est dévolu le rôle d’occuper l’espace.

Au rugby, le « coup de pied d’occupation du terrain » consiste à botter de l’arrière, loin devant, sans pour autant sortir le ballon en touche, afin de se replacer et de monter vers l’adversaire pendant le temps que celui-ci consacre à maîtriser la balle et relancer. Il s’ensuit souvent un échange de coups de pied semblables entre arrières des deux camps pendant plusieurs minutes. Le flot continu de bobards culottés émis par les partis relève de ce principe. Dire, même n’importe quoi, c’est forcer l’autre à réagir, à courir après ce ballon dégagé, offrant un délai pendant lequel on peut se déployer. C’est paradoxalement celui qui redonne le ballon qui occupe le terrain. C’est tout ce qu’on demande à cette séquence.

Dans un match, elle ne dure pas longtemps, car elle ne permet pas de marquer le moindre point. En politique, elle peut durer un an, dix ans, un siècle.

Au commencement était le Verbe. Puis il devient ballon de rugby entre les mains de mauvais arrières.

Par Toutatis, Sarkozy nous sert Lavisse…

Nicolas Sarkozy nous sert Lavisse, et ça y est, il y a tout. Du buzz, un mot-dièse #NosAncetresLesGaulois, des articles de « décodage », des rappels historiques et tout.

Là-dessus, une foison d’articles ont déjà surgi depuis hier et je n’y reviens pas. L’Histoire étant ce qu’elle est, définir les Gaulois comme nos ancêtres et nos ancêtres comme les Gaulois est, purement et simplement, une convention.

C’est idiot,  donc, mais d’une manière qui a le mérite de nous poser une question. Une question dont Nicolas Sarkozy n’a pas du tout l’exclusivité, souvenez-vous de la récente sortie de François Fillon sur le sujet.

Et vu la violence des débats sur « l’identité nationale » et sa présence dans le débat politique, cette question, nous avons intérêt à nous la poser. Elle est à l’ordre du jour, indépendamment même du sieur Sarkozy, qui n’est que le dernier en date à l’agiter pour assurer autour de lui un buzz pour une fois en-dehors de la chronique judiciaire. Elle existe sans lui, parlons-en donc sans la centrer sur lui.

C’est une question assez semblable, en fait, au débat sur la juste manière de commémorer Verdun, rappelez-vous : que mettons-nous derrière le terme « nos ancêtres », et quel est le rôle de la mémoire historique dans notre citoyenneté, dans notre façon d’être au pays où nous vivons ?

Et c’est ce qui est réellement intéressant.

S’agissant de choisir les ancêtres qui font bien, en France, on n’a d’ailleurs pas toujours voté gaulois. Choisir les ancêtres dont on se réclame, roman historique ou généalogie scabreuse à l’appui, relève de la catégorie « De tout temps les hommes ».

C’est d’autant plus de cette pratique que relève la saillie sarkozyque – et les autres mis en avant à tour de bras par la droite – qu’elle ne consiste nullement à prétendre que les ancêtres des Français sont les Gaulois. Elle enjoint les nouveaux Français à s’imposer de considérer les Gaulois comme leurs ancêtres, au titre de l’assimilation. Ce qui n’est pas du tout la même chose.

Que signifie en effet l’expression « nos ancêtres les Gaulois » ? « Si mon arbre généalogique remontait jusqu’en 52 avant Jésus-Christ, on n’y verrait que des membres des tribus gauloises citées par César » ? Évidemment non, pour personne (enfin j’espère). Pour autant, lorsque nous faisons partie de ces Français qui ont des raisons de supposer (nul ne pouvant en être sûr) qu’ils ont des ancêtres gaulois, il y a un petit quelque chose qui leur rend cette phrase familière, bien que son caractère exclusif soit évidemment absurde.

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Il me semble que pour chacun de nous, il y a dans cette formule éculée deux propositions en une. La première, et celle qui me vient immédiatement à l’esprit, c’est : « je me sens concerné par l’histoire des Gaulois, parce que c’est celle du pays où je vis, la conquête de la Gaule par Jules César est un des faits historiques, et non des moindres, qui ont fait ce pays tel qu’il est aujourd’hui ». C’est la proposition numéro un, qu’on pourrait reformuler ainsi : « j’ai conscience que la société gauloise est un ancêtre de la société française, de la société du pays où je vis et dont je possède la nationalité ; ce passé lui a légué quelque chose qui existe encore ; et je me sens donc curieux de son histoire ».

Et ça, en effet, c’est une approche que l’on pourrait légitimement attendre d’un immigré, d’une personne venant s’installer en France avec le dessein d’y rester (tout comme de n’importe quel Français en fait) . Il y a de toute façon intérêt, car c’est la réalité (que de savoir que la guerre des Gaules est un des événements qui a modelé le pays où il s’installe, et comment). Non pas dans l’optique d’adopter bêtement un nationalisme obtus, mais parce que cela contribue à partager le référentiel de ceux qui l’entourent désormais.

La deuxième proposition consiste à se sentir plus que curieux : concerné. C’est vraiment le « nos ancêtres ». Tout Français que je sois, et n’en déplaise à Bloch, « le sacre de Reims » me laisse assez froid, mais pour ce qui est des Gaulois, je préfère instinctivement Vercingétorix à César, je suis heureux de savoir que les Gaulois n’étaient pas des brutes épaisses et qu’on n’avait pas besoin de cette sanglante conquête pour devenir « civilisés » et j’ai tous les Astérix (sauf les derniers).

Cela, j’avoue ignorer totalement dans quelle mesure une personne sûre et certaine de n’avoir aucun ancêtre à Gergovie peut l’acquérir. Pour ma part, j’ai beau savoir désormais que mon patronyme est suisse, que mes ancêtres sont venus de Suisse en France après la guerre de Trente Ans (et ce n’est pas l’école de la République qui me l’a appris), je ne vibre pas à l’évocation de la bataille de Sempach, qui aurait pourtant de quoi plaire. Sempach, c’est un peu une Alésia où les Gaulois auraient poutré sans recours César, Labiénus et toute la clique. Et si je m’installais en Suisse et en demandais la nationalité, j’ignore si cela changerait. J’apprendrais, oui. Est-ce que cela me toucherait le cœur ? Mystère. Peut-être petit à petit.

Est-ce que cela ferait de moi un mauvais Suisse ? Incapable d’y vivre, de s’y « intégrer » ? Et bien je suis sûr que non, et ce sera mon premier désaccord avec monsieur l’ex-président. Ce genre de chose ne se décrète pas, ne s’ordonne pas, ne se décide pas pour soi-même. C’est une conséquence, une évolution, cela ne peut pas être un point de départ. Le point de départ, c’est la volonté de vivre avec tous ceux qui nous entourent et pour cela, d’apprendre à connaître ce qui compte à leurs yeux. On n’est pas un mauvais Français si l’on ne se sent pas de sympathie particulière pour Vercingétorix, ni même pour Patrick Battiston. En revanche, on se sentira sans doute davantage bien dans ses baskets et son pays d’adoption si on sait qui ils étaient, eux et leurs bourreaux respectifs. On saura mieux, on aura une vision plus claire de là d’où viennent nos institutions, les « valeurs » qu’on choisit de mettre en avant, nos structures mentales. À moins de s’installer paysan dans quelque érémitique nid d’aigle, ça peut servir (et pas qu’aux néo-Français d’ailleurs).

Ce qui renvoie au rôle de l’apprentissage de l’histoire et de son but.

Mais pas besoin pour cela de s’inventer un roman généalogico-national qui ne serait que la version intériorisée, individualisée, du roman national bien téléologique où tout n’est que gloire et construction progressive de la grandeur du phare des nations. Et surtout bien bidon, aussi bidon qu’enseigner à un Malien que ses ancêtres, à lui, sont désormais des grands Gaulois blonds et casqués. Pourquoi, à quoi rime cet exclusivisme ridicule ? Ne savons-nous pas très bien, justement, que les Gaulois sont tout au plus une partie de nos ancêtres et une ascendance passablement fictive pour beaucoup d’entre nous ? Est-ce que cela nous a jamais empêché en quoi que ce soit de nouer le lien bien vague qui suffit au référentiel commun ? Ce n’est pas de l’assimilation mais du reformatage.

Et qui ira sonder les reins et les cœurs et comment ? Compte-t-on mesurer chez le naturalisé le degré légal d’amnésie de ses propres origines ? Totalitaire en vérité, faux comme une mauvaise copie de tableau – ou comme nos Vercingétorix de bronze, et cruel, et inutile. La ville qu’habite mon grand-père, ancien mineur de fond, a accueilli en son temps des immigrants polonais, assez nombreux, surtout pour une ville qui ne comptait alors qu’une dizaine de mille habitants. Travaillant à la mine, ils n’en avaient pas moins leur école, leur fête, etc. Il n’y a jamais eu besoin d’aller arracher aux tenailles le souvenir de leurs origines dans leur cœur pour obtenir leur « assimilation ». Ce qui s’est produit alors nous paraît tout naturellement impensable aujourd’hui. Pourquoi ? Ah oui, bien sûr, l’islam. Ceux d’aujourd’hui, ils sont musulmans, pensez donc. Et se réclamer de Vercingétorix les rendrait davantage chrétiens ? Et l’injonction ne concernerait donc pas les migrants chrétiens d’Afrique noire, par exemple ?

Il y a derrière cet exclusivisme une espèce de croyance bizarre, selon laquelle il n’existerait pas de voies possibles entre l’appropriation personnelle et le rejet pur et simple (sinon la franche hostilité). Ou vos ancêtres sont gaulois, fût-ce purement imaginaire, ou vous êtes un ennemi de la France, de la République, des racines chrétiennes, du vivre ensemble et des Trente-deux fromages menacés, voire un suppôt d’Harald Schumacher et de Monsieur Foote. Comme si l’on ne pouvait aimer ou tout simplement accepter que ce dont on est propriétaire, ce qui relève de notre avoir d’individu. Déchéance du sens du collectif.

Dernière question, et non la moindre. Ce n’est pas tout de convoquer la Gaule et Vercingétorix, comme ça, d’un coup. Ni même d’en profiter pour se rappeler à quel point « nos ancêtres les Gaulois » est un mythe. Point n’est besoin de rendre obligatoire l’amour des Gaulois pour éviter le communautarisme. Il est encore plus bête de rendre obligatoire l’amour d’un mythe, d’une invention, d’une Histoire falsifiée. Mais quelle place donne-t-on alors, dans cette histoire, à la vraie ? Quelle part de l’Histoire, quelle Histoire a modelé notre pays et notre société et que faisons-nous pour l’apprendre ?

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52 avant J-C: après la défaite de César, Vercingétorix vient d’apprendre l’arrivée d’un convoi chargé de saint-nectaire (Wikipédia)

Parce que bon, disons-le tout net : si le diplôme de bon Français se met à dépendre d’une interrogation écrite sur le De Bello Gallico ou d’un électrocardiogramme à la lecture de la mort de Bayard, on risque des surprises. Et d’en conclure que le Français fort de souche ne répond pas du tout aux critères de l’assimilation. Faudra-t-il le dénoncer inapte à vivre comme il faut dans notre beau pays ? Ou remettre la méthodologie en question ?

Mettre en avant la connaissance de l’histoire de notre pays pour mieux y vivre ensemble, mieux nous comprendre, mieux savoir ce qui compte ou pas et pourquoi, oui, c’est nécessaire, sans aucun doute, mais pour tous. Et certes pas sous la forme d’un roman national hagiographique et auto-centré, car s’il s’agit de comprendre où nous vivons et ce qui l’influence, on ne fera pas l’économie de chapitres consacrés à l’Europe orientale, à l’islam, à l’Afrique… Le temps manquera. On ne dira pas tout. Ce n’est pas une raison pour s’imposer l’œillère sur un seul œil. Quant à l’amour pour ce pays d’accueil, il viendra d’une alchimie complexe, mais certes pas d’un texte de loi ni d’une profession de foi forcée. La connaissance est une des bases, mais pas la seule. Ce dont je suis sûr, c’est que le mensonge, même pieux, lui, ne pourra jamais l’être.