Youpi, nous sommes déconfinés, libres de pointer!

À présent que la pandémie semble reculer quelque peu, que les lourdes mesures prises sont parvenues, au moins, à la canaliser, il devient de bon ton de dénoncer ces dernières et d’y voir, notamment, la touche finale d’un immense complot contre la liberté.

S’il est indubitable que les pulsions autoritaires des gouvernements récents trouvent moult exutoires et opportunités dans ces situations contraintes, il me semble bien plutôt que le confinement, que notre acceptation du confinement relève au contraire d’une révolte de la liberté.

Pourquoi, en effet, l’avons-nous accepté ?

Certainement pas pour faire plaisir à nos gouvernements qui ont attendu le plus tard possible, et même au-delà, pour adopter une mesure correspondant à leur cauchemar le plus absolu (ils nous l’ont bien fait voir) : les chaînes de production arrêtées. Ils ont tout tenté pour éviter de passer par là et chaque pays qui a reculé l’échéance l’a payé. Cher. Il n’y a plus que Bolsonaro pour se moquer ouvertement du massacre.

Nous, nous avons accepté et même pas tant pour nous – car il est vite devenu clair que le risque de forme grave n’était pas du tout le même pour tous – que pour protéger les groupes à risque, nos aînés ; pour nous protéger les uns les autres, et particulièrement les improductifs. Et pour cela, nous avons accepté de mettre en jeu notre place à la chaîne de production. Nous ne nous sommes pas comportés comme les braves machines que nous sommes censés être.

J’appelle cela une reconquête (ô combien temporaire : nous sommes si raisonnables !) d’un peu de liberté. La toute petite liberté qui consiste à défendre la survie contre la production.

Il est vrai que le « deal » de « l’immunité de masse » était quand même drôlement culotté. La société productiviste a exigé que nous lui sacrifiions tout : notre temps, nos paysages, leur faune et leur flore ; notre eau, notre air, nos forêts ; nos rivières canalisées, nos fleuves barrés et moulinés ; notre enfance, soumise à une école « tournée vers l’emploi » depuis la maternelle ; nos loisirs, sommés d’être créatifs (« ne bronzez pas idiot ! ») en échange d’une seule chose : l’espérance de vie en assez bonne santé. Et voilà que tout à coup, elle se mit à nous asséner que rien n’était plus naturel que de pouvoir mourir en pleine force de l’âge et qu’il était honteux de ne pas s’y sentir prêt. À nous débiter de vieilles leçons grecques sur la fragilité de la vie, la nécessité d’accepter la mort à tout instant. À s’offusquer qu’on fît de la santé une valeur première, du soin des anciens une question d’humanité (« des vieux qui vont de toute façon mourir », postillonnait Christophe Barbier). Celle qui avait exigé qu’on lui remît le monde, sans partage ni condition, en échange de la santé, nous arrachait d’un coup le seul pain qu’elle eût laissé dans notre bouche, sans renoncer à une seule de ses prétentions premières. Pis : c’était au nom même de ces prétentions ! Cette fois, il faut lui donner le monde sans plus rien avoir en échange. Mesdames les machines, vous ne nous prendriez pas un peu pour des cailles de batterie ?

Hélas ! La réponse est oui.

Big Contremaître, cet être abstrait, tentaculaire, souvent intériorisé, qui nous enjoint de produire en tout temps, n’a pas perdu un seul instant. Dès la première aube confinée – et alors même que 70% des Français n’ont pas cessé le travail, ni même, pour plus de 50%, levé le pied en quoi que ce soit – nous avons croulé sous les « propositions » destinées à rentabiliser (sic) ce temps. Faites votre levain (et produisez !) Apprenez une langue ! Lisez des livres utiles ! Et surtout, alors même que les chiffres refusaient encore de baisser : « Au boulot, les Français ! »

Il y a beau temps que ce que redoutaient Bernanos et Virgil Gheorghiu s’est réalisé. Nous ne nous demandons plus si les machines nous dominent : c’est l’évidence depuis plus d’un siècle. Nous n’avons pas moufté quand les machines ont exigé notre jeunesse, toute notre jeunesse et jugé nos écrivains, nos artistes, nos universitaires à peine dignes de recevoir d’elles trois balles dans le ventre. Encore une fois, nous avons tout accepté d’elles pourvu qu’en temps « normal » elles nous promettent santé physique, confort thermique et longue vie (à l’usine). Ce que le temps, ce que nos maîtres attendaient de nous (et ils redoublent d’exigence depuis huit jours) ce n’est plus, d’ailleurs, la soumission à la machine : ce sont des preuves que nous sommes heureux et fiers d’en être devenus nous-mêmes.

Là non plus, ce n’est pas nouveau. C’est un flot de machines à chenilles qui, seul, a pu venir à bout du flot d’Allemands cyborgisés sous le Stahlhelm. Et si Péguy se voyait encore, sous son képi doré, comme un héraut d’une très vieille France, d’un vrai pays d’humains, Saint-Exupéry ne pouvait plus rien faire, en 1940, que demander à servir, dans une machine, comme une machine – il suffit de voir en quels termes il l’explique dans Pilote de guerre – contre l’armée des machines de l’Allemagne-usine. Et quand en 1943 il eut compris qu’il ne pouvait plus servir, qu’il était usé en tant que machine de guerre, il se jeta, homme et machine, homme-machine, dans la Méditerranée.

Nous sommes des machines. En tout temps, nous sommes écrasés, pilonnés d’injonctions à produire, et à publier nos indicateurs. Et dans le moindre détail de notre vie privée ! Combien de livres lus, combien de pas faits, de kilomètres en vélo, de kilos perdus ? Même nos sites de saisie de données naturalistes classent les contributeurs en nombre de données produites, de communes visitées, et autres indicateurs de performance et d’efficacité. Et nous nous y laissons prendre. Déjà, nous n’allons plus observer, depuis longtemps : nous faisions du terrain. À présent, nous faisons de la donnée (sic). Et le drame, c’est qu’elle est toujours utile. Il est probable qu’un jour, le béton menacera chaque buisson ; alors, la moindre donnée d’espèce protégée sera utile. Ainsi, le lieu de la rencontre par excellence avec la nature – son observation par l’être humain qui l’aime, la connaît, la comprend – devient un lieu de production.

Chanter liberté pour réclamer le droit d’entreprendre, laissez-moi rire ! Ne vous inquiétez pas : c’est bien la seule à laquelle la civilisation des machines ne touchera jamais, sinon dans quelques détails. C’est la seule qu’elle juge nécessaire. Le reste ? À quoi bon ? À quoi servent les libertés de culte, d’expression, le temps non consacré à la production, le droit que le contremaître ne sache pas où l’on se trouve et à quoi l’on s’occupe ? Dans une optique de production, à rien du tout. Il était donc odieux qu’on acceptât de se soustraire à la production pour sa santé et celle des autres : cette liberté contre la production ! Scandale. Surtout, incompréhension totale, signe terrifiant que la métamorphose en machines n’était pas si parfaite. Machines, que pouvez-vous désirer d’autre qu’une prise de courant, et continuer à tourner ? N’êtes-vous pas sur terre uniquement pour ça ? Stupeur et terreur de Big contremaître.

Les combats pour la vie privée et tout ce que vous voudrez seront vains tant qu’ils seront arbitrés par ces dirigeants-contremaîtres, ces chefs d’atelier qui se croient maîtres de machines. Ils ne perçoivent pas du tout leurs inventions comme attentant à la liberté : bien au contraire, ils croient la préserver. Ils croient préserver notre liberté d’être des machines efficaces, sûres et fiables, et ne comprennent pas plus la nécessité des autres qu’ils ne comprendraient qu’on octroyât aux mouches le droit de vote. C’est à notre coque de machine qu’il faut refuser notre consentement. Deux cents ans qu’on est dedans, vous ne trouvez pas qu’elle sent le moisi ?

« Mein Kampf », le bon combat ?

Quelle idée, aussi, de se connecter à Twitter comme ça, dès huit heures du matin, sans anesthésie, sans même un café dans le ventre.

On y est (une fois de plus) à marteler qu’il ne fallait pas rééditer Mein Kampf, pour protéger la démocratie. Que son « succès » est la preuve que les Allemands sont tous redevenus des nazis en puissance. Qu’ils ne l’achètent évidemment pas pour les notes de bas de page. Que cela va « banaliser les idées nauséabondes ».

Et d’enfoncer le clou par le poncif péremptoire :

« Hitler a été élu démocratiquement ! À  méditer ! »

Pour commencer : ce n’est pas vrai. Oui, le NSDAP a remporté les élections de juillet 1932 avec 37% des voix. Hitler eût pu prétendre au poste de chancelier à ce moment-là. Hindenburg n’en a pas voulu : pour lui, Adolf était tout juste capable de faire un ministre des Postes (sic). Mais surtout, il ne pouvait pas former de majorité, même en se ralliant le petit parti d’extrême-droite DNVP (7% des voix). C’était un motif constitutionnel de refus. Bis repetita en novembre 1932. Le parti nazi recule, le DNVP monte, leur total reste à peu près le même. Sans aucune tendance nette, la nouvelle assemblée est ingouvernable. Hitler accède au pouvoir trois mois plus tard au terme d’intrigues et de calculs foireux des conservateurs, mais pas par des voies « démocratiques » : il ne remplit pas les conditions prévues par la Constitution. Il est nommé chancelier, sans coup d’État en bonne et due forme (il sera accompli de l’intérieur au printemps 33 et finalisé en 34), mais pas sans violence non plus : cinq cents morts rien que pour les élections de juillet 32, dans des rues quadrillées de paramilitaires. Et vous m’accorderez de ne pas parler d’élections démocratiques libres pour celles de mars 1933.

Oui, le NSDAP a disposé d’une base électorale forte, dans une Constitution théoriquement parlementaire. Dire qu’il a conquis légalement le pouvoir en démocratie, c’est une toute autre histoire. Et la violence dont il a usé pour y parvenir, dans une démocratie bancale dès le départ et mal acceptée par le pays,  devrait plutôt faire « méditer » (sic) tous ceux pour qui le nazisme est tout ce qu’un peuple libre est fichu d’enfanter.

Mais supposons même que ç’eût été le cas. Démocratie : le peuple choisit le régime qui lui convient. Cela implique qu’il puisse choisir de renoncer à ce choix. Ce paradoxe, elle doit l’assumer pour mériter son nom.

Voilà ce qui est contesté aujourd’hui. Il faudrait, au contraire, interdire tous les « mauvais » choix. « À  méditer » : la démocratie, c’est bien, c’est l’aboutissement ultime de la vie politique, d’accord, mais somme toute, le pouvoir est un bien trop beau jouet pour le laisser au peuple. Il est trop bête, trop ignorant, trop puéril et grossier. Il pourrait profiter de ce qu’on est en démocratie pour voter d’en sortir. Et bien entendu, rééditer Mein Kampf reviendrait à faire une propagande éhontée pour les « idées nauséabondes » qu’il contient.

Bien fragile, dites-moi, cette démocratie !

Ce matin en tout cas, en une demi-heure de réseaux sociaux, j’en avais lu assez pour comprendre qu’une idée générale se dégageait de tous ces cris : la thèse qu’il serait prudent, par égard pour la démocratie, la laïcité, le respect des personnes, etc… d’interdire tout usage du cerveau dans l’espace public et de cantonner le droit à penser du citoyen à la stricte sphère privée. Comme le choix de sa marque de téléphone. Encore que. Le bougre risquerait d’en profiter pour « faire des choix purement idéologiques » en boycottant une marque peu soucieuse d’écologie ou des conditions de travail.

Alors que va-t-on lui laisser ? Hmmm. La couleur du papier peint. Ça, on peut. Sauf dans la chambre des enfants : il ne faudrait pas que s’y exprime la volonté d’endoctriner les chérubins dans la dégénérescence de l’indifférenciation sexuelle ou au contraire de formater les petit.e.s dans des stéréotypes de genre patriarcaux.

C’est tout de même curieux. La démocratie a survécu, sans qu’un sourcil se lève, à la réédition des Journaux de Herr Doktor Goebbels, chef de la propagande du Reich, d’Alfred Rosenberg, l’idéologue en chef, ou de Ciano, le gendre chéri de Mussolini. Celui de Rosenberg est vendu sans même un apparat critique. Ce qui le rend d’ailleurs illisible. Outre le style, subtil comme une forêt noire après une choucroute, on n’arrive même pas à comprendre à propos de quel événement l’auteur débite ses théories foutraques.

Mein Kampf est de la même eau. Je l’ai feuilleté, dans une édition de 1940 trouvée dans une vieille bibliothèque. C’est connu. Il est écrit avec les pieds et pourtant Hitler a reçu de l’aide pour ce pensum plumitif. Pédant, obsessionnel, mal écrit. En 1935, à peu près toutes les familles allemandes l’avaient acheté, mais pas un militant, pas même les vieux, ne l’avaient lu.

Prétendre qu’il faut interdire Mein Kampf parce qu’il va répandre les idées de l’auteur, c’est au mieux jouer à se faire peur, au pire prendre les gens pour des imbéciles. C’est prôner une démocratie où le peuple est dénigré au point qu’on le croit bien capable de se laisser berner par ce torchon. En conséquence de quoi, pour le protéger, on lui interdirait d’y toucher, sous quelque prétexte que ce soit, comme on interdit des jouets aux enfants de moins de 36 mois.

L’homme sait assez se montrer irresponsable pour qu’il reste justifié d’ériger un certain nombre de garde-fous. Mais là, c’est aller trop loin.

C’est d’une incohérence flagrante, aussi, car à tout prendre, le Journal de Goebbels devrait être considéré comme beaucoup plus dangereux que l’indigeste prose du Führer. L’homme était ministre de la Propagande et contrairement à d’autres pontifes du régime, il peaufinait avec soin sa prose dans l’espoir d’une édition glorieuse après la victoire finale. Est-ce l’imposant apparat critique qui sauve cette édition des foudres de nos censeurs ? J’en doute : il paraît que la plèbe dans notre genre, souvenez-vous, ne lit pas les notes de bas de page.

Les idées d’extrême-droite et le racisme progressent depuis vingt ans. Elles ont très bien su se passer de Mein Kampf pour cela. Comme autrefois, elles s’appuient sur des formules choc, des chiffres brandis, des slogans bramés, beaucoup plus que sur la vente en librairie de fastidieux pavés à l’argumentaire abstrus. Et si vraiment on prétend voir dans son succès de librairie un simple indicateur, la preuve d’une flambée nazie outre-Rhin, l’interdire consisterait à écraser le thermomètre en l’accusant d’avoir causé la fièvre. C’est un procédé commode et répandu, mais pas très, très efficace.

Ce serait même pire car l’objet serait auréolé du prestige de l’interdit. Imaginez : « Mein Kampf, en fait, c’est tellement convaincant qu’on a été obligé de l’interdire ! – Oui, les vérités qui dérangent ! – Le lobby juif, quelque part, Hitler avait raison ! »… Couru d’avance. Tellement, qu’on l’entend un peu partout, alors même que le livre n’a jamais été interdit en France. Il n’est pas réédité en version papier, c’est tout. Sur la toile, vous le trouvez en trois clics.

Cette panique récurrente à propos de Mein Kampf en dit surtout long, je trouve, sur le peu de confiance que notre démocratie a en elle-même.

Nos « valeurs » si « charlie », notre régime-fin de l’Histoire, horizon atteint, perfection politique, tout cela pourrait être battu en brèche par un pesant pamphlet-fleuve des années vingt, dont nous savons qu’il a engendré les pires crimes de l’Histoire ? C’est mépriser, non seulement le peuple, jugé capable de s’y laisser prendre, mais la démocratie elle-même, tenue pour incapable de se défendre en liberté contre un pareil ennemi. C’est la piétiner, que de penser qu’on doit la doter des armes mêmes de cet ennemi : censure et bûchers de livres. Nous sommes des démocrates-guignols, si nous ne nous sentons même pas capables de contre-argumenter face à Mein Kampf.

Et nous défendons une triste société, si nous croyons le projet politique du IIIe Reich capable de lui tailler des croupières. Et c’est peut-être bien là le problème.

Car il y a bien assez de nos jeunes, déjà, pour le croire et rejoindre l’EI comme on s’engageait dans les Corps francs, ou les Chemises brunes.

Si nous pensons que publier Mein Kampf pourrait ressusciter la SA dans nos rues, c’est parce que nous craignons, à tort ou à raison, qu’il y ait un vivier pour une SA. Ce n’est toujours pas en écrasant le thermomètre que nous traiterons la fièvre.

Qu’avons-nous fait de notre monde pour qu’en 2017, nous puissions craindre que la vision nazie puisse de nouveau, sachant ce qu’elle a fait, susciter l’enthousiasme ? Que promet, qu’espère, que propose notre modèle, quel bonheur promet-il, pour en être à se sentir menacé par ça ?

Un coup d’œil aux programmes des prochaines élections nous renseigne : rien. Pauvreté, précarité, pression – sans limites, à l’infini.

Vous avez tous vu cette affiche dans vos livres d’Histoire. Tenons pour assuré qu’elle a rapporté bien plus de voix à Hitler que son bouquin. C’est là, c’est à ce point de l’Histoire où le dictateur, n’avançant même pas masqué, peut sortir ce slogan sans faire rire, qu’il a beau jeu et qu’on entre dans la zone de tous les dangers.

affichehitler1932

Que Mein Kampf s’affiche en tête de gondole ou pas n’y changera rien : dans ces conditions, le premier marchand d’espoir emportera la mise. Même s’il se montre le couteau entre les dents.

Peut-on rire de tout ? Questions de « pouvoir »…

Passée l’émotion, passée la première controverse « être ou ne pas être Charlie », nous voici de retour, en fait de case, sur une à laquelle nous sommes constamment ramenés :
« Peut-on rire de tout ? » Jusqu’à, pour cela, ridiculiser ce qui est cher à l’autre aux yeux du monde entier, au nom de la liberté ?

Et de couper cheveux, poils de barbe et périphéries de tonsures, en quatre, sur ce « tout ».
Et ce « Peut-on » ? Que signifie ici pouvoir, ou plutôt ne pas pouvoir ?

« Le Prophète a été insulté, on se sent insultés, on se venge ; on ne peut pas caricaturer le Prophète » a-t-on entendu. Le pape François, lui, a estimé qu’on ne pouvait pas tuer au nom de Dieu, sûr, mais qu’on ne pouvait pas non plus insulter une foi emplie d’amour et de respect. Voilà bien illustré le lièvre qui gîte là, sous ce verbe « pouvoir ». Car les protagonistes respectifs ne donnent pas le même sens à l’expression « on ne peut pas ». Et le débat est gravement brouillé, pourri même et jusqu’à sentir le cadavre, par ceux qui feignent, avec cynisme, de croire qu’il y a dans tous ces cas un signifié unique. En voilà un, d’amalgame, tiens.

Regardons ça de plus près.

« On ne peut pas, on n’a pas le droit de nous faire ça, si quelqu’un le fait on se venge ». Ce passage-là, c’était le raisonnement des tueurs et de leurs commanditaires. C’est aussi le raisonnement classique des petites frappes de banlieue, à propos de sujets moins élevés que la foi il est vrai : « si JE me sens insulté, JE juge et J’APPLIQUE la sentence », généralement brutale, sinon barbare. Et la barbarie ne gît pas dans le premier terme, mais dans les deux suivants. Ce n’est pas le ressenti le problème. Tous les jours nous avons lieu de nous sentir insultés par ceci ou cela, sans jamais tuer personne. Le problème, c’est le mécanisme qui en tire un passage à l’acte.

C’est la barbarie en effet, à son sens le plus commun et le plus fort, qui règne ici. Ce type d’individu, alors même qu’il vit dans une fourmilière humaine, n’a pas de sens social, ni de repères, ni de règles, ni de morale : il ne connaît et ne reconnaît d’autre référentiel que lui-même. Il se construit un code des lois dont il est le pivot, et règne sur son territoire, délimité par l’espace à l’intérieur duquel il est capable de l’imposer par la force. La perspective de la vie en société, où l’Etat possède le monopole de la violence légitime, est renversée : ce bonhomme se donne rang d’Etat en légitimant sla violence par le fait que c’est lui qui tape le plus fort.

Il n’y a rien d’odieux, ni de réactionnaire à se sentir insulté : c’est un droit, et de toute façon, on n’y peut rien. Autant interdire d’éprouver de la douleur quand on frappe une partie du corps plutôt qu’une autre. On ne peut pas davantage, cette fois-ci au sens de : on n’a pas le droit, d’interdire à l’insulté d’exprimer son ressenti. Ce serait la porte ouverte à l’intrusion dans la dignité, dans l’intégrité morale et mentale de chaque citoyen, de l’arbitraire le plus brutal et le plus cynique : « tu n’as pas le droit de juger ceci important, c’est une loi ». Tout se joue après : dans la réaction à l’insulte, celle-ci fût-elle bête, violente, ou même barbare et illégale. La loi française réprime l’insulte publique. Ce qui signifie que primo, elle est considérée comme socialement inacceptable, et secundo, qu’il existe des réponses socialement acceptables. Ce sont même, Dieu merci, les plus communes. Protester par voie de presse, contre-attaquer sur le même ton, voire faire appel à la justice, et se soumettre à son verdict. Enfin, il existe ce truc assez incroyable qui s’appelle le pardon.

Ces règles du jeu intégrées, on peut bel et bien légaliser le fait de rire de tout, sans risquer de recevoir ni de tirer une balle dans la tête. Mais en arrière-plan, pour que ce modèle bien banal fonctionne, il faut, on l’a vu, que l’individu ne soit pas uniquement autodéterminé, déconnecté de l’autre comme autre soi-même. Il faut qu’il existe, enracinée sur ce dernier point, une structure, un corpus commun qu’on appelle parfois la common decency. C’est elle qui fait que vous n’allez pas tuer celui qui aura calomnié votre foi de la manière la plus ordurière, par exemple, mais aussi que le « celui » en question a peu de chances d’exister. Non parce qu’il a peur, encore moins parce que c’est interdit, mais parce que blesser les gens sous prétexte de rire, il trouve ça bête et méchant, et ça ne lui dit rien. Structurés dans notre humanité, nous n’aurions pas peur. Nous n’aurions presque aucun risque de croiser, au coin de la rue, un barbare. Nous avons réclamé tous les droits. Pas de chance, nous sommes tombés dans un monde plein d’autres hommes qui revendiquent les mêmes, et qui en usent au pied de la lettre, les vilains pas beaux !

Cette structure, on n’a de cesse de la dénoncer juste parce que c’en est une, de l’appeler ordre moral, morale judéo-chrétienne archaïque et liberticide, chaque fois qu’elle ose lever un doigt contre un de nos petits désirs, pour risquer que quelque chose ne se fait pas, par exemple parce que ça provoque la souffrance et que faire souffrir l’autre ne se fait pas. Quitte ensuite à la convoquer au galop, rebaptisée cette fois-ci morale républicaine ou attachement à nos valeurs communes de vivre-ensemble, quand c’est l’autre qui a eu l’outrecuidance de s’en affranchir à nos dépens. Nous avons trop longtemps joué aux pyromanes. Ben oui, il y a le feu maintenant. Etonnant, non ?

Cette « morale », même réduite au plus basique, ne se décrète pas par un arsenal législatif. On peut le faire, sauf que ça ne sert à rien, surtout quand on la démolit 364 jours par an avant de pleurnicher le 365e que l’autre nous a collé une beigne et que c’est mal. Et là, il y a un truc auquel on ferait bien de penser, si on ne veut pas continuer à voir surgir de partout des espèces de petites seigneuries, grandes comme deux baskets et une casquette, qui tentent de faire la loi autour d’elles. On pourra toujours les combattre et crier notre fierté de faire la guerre. Elles repousseront comme la renouée du Japon. Cette structure, elle s’enseigne, elle se professe, elle se promeut, elle s’applique, dans tous nos rapports humains. Sinon, elle n’est que maison de paille.

Il va même falloir aller plus loin que le plus petit dénominateur commun « jouis, jouis, jouis, et tâche de ne pas faire à autrui ce qu’on ne voudrait pas qu’on te fasse ». Nos petits barons de rue ont compris comment faire sauter le dernier terme : il suffit d’être le plus fort, et de se tenir en sa baronnie. Alors, autrui étant par définition impuissant, on peut lui faire ce qu’on veut. Quant à jouir-jouir-jouir, Socrate appelait déjà ça la vie d’un pluvier, qui mange et fiente de même : ça ne suffit pas à l’homme, et il cherchera à combler le vide. Tout comme la juxtaposition d’individus au mieux indifférents les uns aux autres, et souvent haineux parce que concurrents, ne fonde aucun « vivre ensemble ». On ne vit pas ensemble si on fait tout chacun de son côté. Il va falloir un projet, un avenir, et qui ne consiste pas juste à dériver son trop-plein de barbarie en direction du territoire voisin. Au siècle dernier, on n’a pas su faire autrement, ni d’ailleurs autrement que l’imposer par la force. Alors, on a tout laissé tomber.

C’est ça, aussi, le problème du vide de structures. Quand on est tout mou, on ne peut que baller d’un côté ou de l’autre – tout ou rien. On ne sait plus distinguer « on ne peut pas » de « ça justifie une balle dans la tête », ni « on n’a pas à dire » de « cela doit être interdit par la loi » parce qu’on est incapable de charpenter une réponse nuancée.

C’est très compliqué. Il y faudrait des pages, des livres entiers même. Mais là, maintenant, on n’a pas le choix. Nous sommes face aux conséquences du vide que nous avions confondu avec la liberté.

« Genre à l’école ». Et si on essayait de poser les choses ?

La théorie du genre à l’école. Elle existe ! Oui ! Non ! Fantasmes ! Réactionnaires ! Totalitaires ! Anti-républicains !
Scindé en clans plus irréconciliables que partisans et adversaires du fromage râpé dans le gratin dauphinois, notre pays est en paix que c’en est un bonheur.
Je ne sais pas dans quoi je me lance avec cet article. Il est beaucoup plus risqué que les corneilles et les crapauds. Mais, moi aussi, j’aspire à un peu de calme. Alors, je vais tâcher de poser à plat ce que j’ai pu glaner sur ce fameux sujet. C’est un peu long. Accordez-moi la bienveillance de lire en entier !

Pourquoi, avant tout, une telle violence ?

On a beau jeu de crier au fantasme, aux craintes paranoïaques : les mots de monsieur Peillon sont couchés sur le papier et consultables par tous. Et leur violence est difficilement niable. Le projet de chasser et remplacer les valeurs enseignées par les parents dans le cadre de leur rôle éducatif au profit d’un catalogue de valeurs censé être républicain est écrit noir sur blanc. En cela, il n’enfreint d’ailleurs pas seulement le droit des parents à transmettre des valeurs à leurs enfants, mais aussi celui, si paradoxal qu’il puisse être, d’un citoyen libre, dans un Etat de droit, à ne pas adhérer au projet politique de son pays, et à désirer et professer l’évolution de ce projet, par des voies respectant la loi existante, voies que ladite loi doit cadrer, baliser, mais avant tout créer.

Il est fort possible que le caractère outrancier des propos ministériels relève, au moins en partie, d’une sorte de jeu plus que de convictions réelles. En effet, les grands partis de gouvernement appliquent désormais des programmes économiques dont la similarité est telle qu’elle n’échappe plus à personne. Aussi, pour se démarquer, lesdits partis n’ont-ils plus à leur disposition qu’une stratégie : monter en épingle des sujets situés en périphérie du quotidien technico-économique, mais très connotés sur le plan idéologique, très emblématiques d’une « politique de gauche » ou « de droite ». L’intérêt est double : d’une part, cultiver l’illusion que le bipartisme traditionnel a toujours cours, inchangé: « voyez comme nous sommes différents sur ce sujet, voyez à quel point nos positions et celles de l’opposition sont inconciliables ! » D’autre part, rassurer son électorat historique (quoique…) et exaspérer jusqu’à l’hystérie celui de l’opposition, à coups de déclarations destinées à lui être odieuses. On aura beau jeu, ensuite, de dénoncer ses « fantasmes » et le « danger » qu’elle représente pour… « la République » ou « la France ».

Reste qu’on est en droit de s’inquiéter, lorsqu’on entend des personnages investis de si hautes responsabilités se livrer à de tels déchaînements, qu’ils soient sincères ou juste occupés à quelque théâtre de Guignol. Pour faire court : les opposants aux projets de M. Peillon n’ont pas tout inventé. Et l’argument selon lequel « même s’il l’a dit, c’est pas pour ça que ça sera appliqué, c’est trop énorme » n’est pas très prudent. Il existe de cuisants et même sanglants contre-exemples.

Néanmoins, tout n’est pas du meilleur goût en matière de réplique, et que l’exemple vienne de haut ne signifie pas qu’il soit bon. Par exemple, on a beaucoup vu circuler un document de l’OMS accusé de promouvoir l’apprentissage de la masturbation à la maternelle, pas moins ! Un examen plus attentif du document montre qu’il n’est nullement question de promouvoir ni d’initier les enfants à ces pratiques, mais d’informer sur leur existence, qui est une réalité source possible de questions de la part des enfants… qui, à cet âge, découvrent leur corps et ignorent ce qui se fait ou pas.

On me répondra que ce n’est pas à l’école de remplir ce rôle, mais aux parents.
Soit, mais avant tout, il s’agissait de ne pas déformer un fait : on a bien assez à faire avec la réalité, sans en rajouter.

Revenons à ce point épineux : où s’arrête le rôle de l’école ?

La question est de savoir si l’école doit aborder, si peu que ce soit, et sous quel angle que ce soit, ce qui touche au rapport au corps et à la sexualité, ou si elle doit se concentrer sur l’instruction, le « lire écrire compter » en quelque sorte. Question pertinente, car d’une part la sexualité relève de l’intime et il serait bien effarant que l’Etat (ou tout autre structure extérieure à la sphère intime, d’ailleurs) prétende la régler, et d’autre part, notre système scolaire obtient actuellement des résultats qui incitent à lui conseiller d’abord de soigner ses fondamentaux.

L’ennui, c’est que la distinction entre l’instruire et l’éduquer n’est pas toujours aussi nette que ça. Nul ne contestera, ou alors ce serait bien nouveau, que la biologie du corps humain et la reproduction sexuée fassent partie intégrante de l’enseignement scolaire. Du reste, dans ses jeunes années, l’enfant découvre son corps et s’interroge. Où est la limite entre répondre de matière factuelle et physiologique et « aborder des sujets qui doivent être du domaine de l’intime » ? Ce qui est sûr, c’est que l’enfant de moins de 7-8 ans, lui, ne la maîtrise pas (ou s’en moque) et pose les questions quand elles lui viennent. Et qu’il est préférable de répondre.
Quelle réponse ? J’ai croisé un certain nombre d’enseignants que les débats du moment ont profondément choqués. En effet, certains n’ont pas hésité à voir en eux – sous prétexte « qu’ils sont tous de gauche », donc censément de dociles robots des instructions ministérielles – des relais sans scrupule d’une espèce de lobby cherchant à enseigner aux innocents bambins on ne sait quelles pratiques péri-sexuelles, promouvoir les attouchements ou on ne sait quelle horreur. À croire que les écoles s’étaient soudain remplies de hussards noirs du libertarisme sexuel décomplexé, prêts, sur une circulaire, à organiser de vastes séances d’initiation aux diverses formes de plaisir sexuel pour des bambins de cinq ans. Comme si nos enseignants étaient devenus massivement des pervers, par décret.

Comme si les professeurs des écoles, depuis que le métier existe, n’étaient pas formés à en entendre « des vertes et des pas mûres » en matière de questions déroutantes posées en toute innocence, et suffisamment intelligents, sensibles, et humains, pour apporter une réponse satisfaisante et respectueuse de la dignité et de l’intimité de l’enfant…
« Le corps humain », on m’a appris ça en CE1, en 1983, dans une école privée sous contrat fort catholique. L’institutrice a exercé, d’ailleurs, les fonctions de chef de la chorale paroissiale pendant un nombre considérable de décennies. Pour autant que je m’en souvienne, on traitait le sujet avec une pudeur simple, mais sans pudibonderie. On trouvait dans les librairies des livres qui apprenaient à l’enfant ce qu’était son corps, comment il fonctionnait, avec des personnages nus. Sans en rajouter pour rien, mais parce que notre physiologie, ben elle existe. Biologique. Factuelle.

Laissons de côté la sexualité et revenons à la plus large question des valeurs.

L’école a-t-elle pour mission de remplacer les valeurs transmises par les parents par celles qui intéressent l’État, ou toute autre puissance ? Assurément pas. A-t-elle pour mission de former des citoyens prêts à vivre en liberté dans l’univers institutionnel qui est le leur, y compris jusqu’à souhaiter le remettre en cause de manière pacifique ? Assurément oui. C’est même un corollaire de la discipline scolaire la plus élémentaire. Et l’école est dans son rôle lorsqu’elle enseigne qu’on respecte la loi, et que si on la discute, la conteste, la fait évoluer… cela doit se faire sans violence. Ou qu’elle enseigne celles des valeurs humaines qui sont inscrites dans la Constitution, comme étant celles que la France a, pour l’heure, choisies de respecter, et pourquoi. C’est possible sans anathème envers les idées déviantes, sans manipulation, sans que cela constitue un « lavage de cerveau » – si cela est possible aux parents, pourquoi pas aux enseignants ?

Et, me répondrez-vous, si les parents n’adhèrent pas à ces valeurs ? « L’enfant va finir schizophrène, déchiré entre deux pôles contradictoires, alors ne lui enseignez rien en-dehors de ce que nous acceptons ! »

Heu, dites. Outre le fait que tout projet commun, toute vie politique française sera rendue assez difficile si nul n’expose plus la simple teneur, l’essence du cadre politique commun de notre quotidien, y a-t-il vraiment lieu de redouter qu’à l’école, même de monsieur Peillon, on vienne à marteler trente heures par semaine une doxa marxiste-léniniste ? Vous souvient-il des cours dits d’instruction civique, ou de leurs manuels, vu que ces heures étaient presque systématiquement rognées au profit d’une autre matière ? Il n’y avait rien qui ne pût être contré par le discours des parents, si tel était leur désir. Il y avait là une information minimale sur les institutions du pays, l’existence de lois, et des généralités sur les principes de liberté, d’égalité et de fraternité, couchée dans un bouquin qu’on n’ouvrait pas souvent. Et on n’est pas parti pour aller plus loin. Du reste, aborder un sujet qu’on peut considérer comme relevant de la sphère privée ne signifie pas ipso facto chercher à en prendre le contrôle. Le choix d’un métier pourrait être considéré comme relevant du privé. On ne taxe pas les conseillers d’orientation, les intervenants venus présenter telle ou telle formation ou école de dérives totalitaires.

D’autre part, qui peut soutenir que l’enfant, quoi qu’il arrive, n’est pas exposé à des modèles, des valeurs, des projets, des visions du monde contradictoires ? Je ne sache pas qu’il y ait un modèle, celui qu’on enseignerait dans Les Familles – toutes – et un modèle extérieur, irréconciliable, celui de l’État. Il y a des familles diverses, des programmes scolaires qui changent, des enseignants qui les appliquent diversement, et il y a surtout le foisonnement, la masse énorme de tous les autres modèles projetés. Souvent avec une puissance de feu de loin supérieure à celle de la pauvre Éducation nationale comme à celle d’une simple famille. Ne serait-ce que le lourd arsenal publicitaire qui martèle, à chaque pas, les beautés du modèle basé sur l’apparence et le consommer plus pour valoir plus, efficacement relayé dans la cour de récré par « la bande » où l’on admire celui qui s’est fait payer le produit le plus cher. Pour les parents, chrétiens ou non, désireux de transmettre la primauté de l’être sur l’avoir, un mode de vie plus simple, basé sur l’humain plus que le matériel, ce n’est pas une sinécure que de lutter. De même, lorsqu’une entreprise intervient en cours et expose ses intérêts propres, sa vision du monde, comme le ferait n’importe quel lobby décrié. On pourra multiplier les exemples à l’infini. L’éducation par les parents devra, quoi qu’il arrive, éclairer, dénouer, décanter, trancher. Elle le fait depuis toujours ; elle restera en mesure de le faire.

Dernier point : une école idéologiquement neutre est un mythe, de même qu’une éducation parfaitement libre. Ne fantasmons pas plus là qu’ailleurs sur la liberté que garantirait la politique de la page blanche. Que l’on choisisse d’aborder un thème un peu, beaucoup, ou pas du tout, est déjà un choix non neutre. Il est neutre d’enseigner que la Terre est ronde ou que deux et deux font quatre, mais le simple volume horaire consacré à enseigner les mathématiques plutôt qu’une autre matière ne l’est déjà plus. À n’importe quelle forme d’enseignement, on trouvera à redire question neutralité.

Veiller à la liberté de conscience, veiller aussi à y éduquer ses propres enfants, quitte à ce qu’ils nous rejettent un jour comme peut-être, nous avons rejeté des modèles parentaux, ou scolaires… est une chose, saine.

Il n’est pas un Etat au monde qui n’utilise l’école pour éduquer les futurs citoyens au respect de la loi et des grands principes constitutionnels : c’est ce qui fonde la citoyenneté, c’est sa prérogative. Dans un État totalitaire, ces principes sont matraqués, et la déviance supposée, traquée. Pour de vrai. Avec des peines de prison, des tabassages policiers, des disparitions. Dans un État de droit, cela s’accompagne d’une formation à l’esprit critique ; une matière dans laquelle les parents ont, eux aussi, leur mot à dire. Et encore bien plus de marge de manœuvre que nous ne le redoutons. Mais aussi bien plus de responsabilité.

Croire que le problème vient seulement de naître, que l’école publique est devenue, ou s’apprête à devenir, un vaste camp de rééducation au service des dernières élucubrations politiques, avec la puissance dévastatrice d’un terrorisme d’État, face au bloc monolithique de familles mobilisées autour d’un même socle, n’est pas plus sérieux que la ridicule pseudo-croisade ministérielle. De cette surenchère d’anathèmes, tout le monde sort déjà perdant : des élites qui n’en finissent pas de se décrédibiliser, un débat public qui vire au combat de rue, une société qui s’émiette en camps qui auront de plus en plus de mal à se réconcilier, des parents, des enseignants, des enfants jouets de toutes les escalades et de toutes les exagérations.