Youpi, nous sommes déconfinés, libres de pointer!

À présent que la pandémie semble reculer quelque peu, que les lourdes mesures prises sont parvenues, au moins, à la canaliser, il devient de bon ton de dénoncer ces dernières et d’y voir, notamment, la touche finale d’un immense complot contre la liberté.

S’il est indubitable que les pulsions autoritaires des gouvernements récents trouvent moult exutoires et opportunités dans ces situations contraintes, il me semble bien plutôt que le confinement, que notre acceptation du confinement relève au contraire d’une révolte de la liberté.

Pourquoi, en effet, l’avons-nous accepté ?

Certainement pas pour faire plaisir à nos gouvernements qui ont attendu le plus tard possible, et même au-delà, pour adopter une mesure correspondant à leur cauchemar le plus absolu (ils nous l’ont bien fait voir) : les chaînes de production arrêtées. Ils ont tout tenté pour éviter de passer par là et chaque pays qui a reculé l’échéance l’a payé. Cher. Il n’y a plus que Bolsonaro pour se moquer ouvertement du massacre.

Nous, nous avons accepté et même pas tant pour nous – car il est vite devenu clair que le risque de forme grave n’était pas du tout le même pour tous – que pour protéger les groupes à risque, nos aînés ; pour nous protéger les uns les autres, et particulièrement les improductifs. Et pour cela, nous avons accepté de mettre en jeu notre place à la chaîne de production. Nous ne nous sommes pas comportés comme les braves machines que nous sommes censés être.

J’appelle cela une reconquête (ô combien temporaire : nous sommes si raisonnables !) d’un peu de liberté. La toute petite liberté qui consiste à défendre la survie contre la production.

Il est vrai que le « deal » de « l’immunité de masse » était quand même drôlement culotté. La société productiviste a exigé que nous lui sacrifiions tout : notre temps, nos paysages, leur faune et leur flore ; notre eau, notre air, nos forêts ; nos rivières canalisées, nos fleuves barrés et moulinés ; notre enfance, soumise à une école « tournée vers l’emploi » depuis la maternelle ; nos loisirs, sommés d’être créatifs (« ne bronzez pas idiot ! ») en échange d’une seule chose : l’espérance de vie en assez bonne santé. Et voilà que tout à coup, elle se mit à nous asséner que rien n’était plus naturel que de pouvoir mourir en pleine force de l’âge et qu’il était honteux de ne pas s’y sentir prêt. À nous débiter de vieilles leçons grecques sur la fragilité de la vie, la nécessité d’accepter la mort à tout instant. À s’offusquer qu’on fît de la santé une valeur première, du soin des anciens une question d’humanité (« des vieux qui vont de toute façon mourir », postillonnait Christophe Barbier). Celle qui avait exigé qu’on lui remît le monde, sans partage ni condition, en échange de la santé, nous arrachait d’un coup le seul pain qu’elle eût laissé dans notre bouche, sans renoncer à une seule de ses prétentions premières. Pis : c’était au nom même de ces prétentions ! Cette fois, il faut lui donner le monde sans plus rien avoir en échange. Mesdames les machines, vous ne nous prendriez pas un peu pour des cailles de batterie ?

Hélas ! La réponse est oui.

Big Contremaître, cet être abstrait, tentaculaire, souvent intériorisé, qui nous enjoint de produire en tout temps, n’a pas perdu un seul instant. Dès la première aube confinée – et alors même que 70% des Français n’ont pas cessé le travail, ni même, pour plus de 50%, levé le pied en quoi que ce soit – nous avons croulé sous les « propositions » destinées à rentabiliser (sic) ce temps. Faites votre levain (et produisez !) Apprenez une langue ! Lisez des livres utiles ! Et surtout, alors même que les chiffres refusaient encore de baisser : « Au boulot, les Français ! »

Il y a beau temps que ce que redoutaient Bernanos et Virgil Gheorghiu s’est réalisé. Nous ne nous demandons plus si les machines nous dominent : c’est l’évidence depuis plus d’un siècle. Nous n’avons pas moufté quand les machines ont exigé notre jeunesse, toute notre jeunesse et jugé nos écrivains, nos artistes, nos universitaires à peine dignes de recevoir d’elles trois balles dans le ventre. Encore une fois, nous avons tout accepté d’elles pourvu qu’en temps « normal » elles nous promettent santé physique, confort thermique et longue vie (à l’usine). Ce que le temps, ce que nos maîtres attendaient de nous (et ils redoublent d’exigence depuis huit jours) ce n’est plus, d’ailleurs, la soumission à la machine : ce sont des preuves que nous sommes heureux et fiers d’en être devenus nous-mêmes.

Là non plus, ce n’est pas nouveau. C’est un flot de machines à chenilles qui, seul, a pu venir à bout du flot d’Allemands cyborgisés sous le Stahlhelm. Et si Péguy se voyait encore, sous son képi doré, comme un héraut d’une très vieille France, d’un vrai pays d’humains, Saint-Exupéry ne pouvait plus rien faire, en 1940, que demander à servir, dans une machine, comme une machine – il suffit de voir en quels termes il l’explique dans Pilote de guerre – contre l’armée des machines de l’Allemagne-usine. Et quand en 1943 il eut compris qu’il ne pouvait plus servir, qu’il était usé en tant que machine de guerre, il se jeta, homme et machine, homme-machine, dans la Méditerranée.

Nous sommes des machines. En tout temps, nous sommes écrasés, pilonnés d’injonctions à produire, et à publier nos indicateurs. Et dans le moindre détail de notre vie privée ! Combien de livres lus, combien de pas faits, de kilomètres en vélo, de kilos perdus ? Même nos sites de saisie de données naturalistes classent les contributeurs en nombre de données produites, de communes visitées, et autres indicateurs de performance et d’efficacité. Et nous nous y laissons prendre. Déjà, nous n’allons plus observer, depuis longtemps : nous faisions du terrain. À présent, nous faisons de la donnée (sic). Et le drame, c’est qu’elle est toujours utile. Il est probable qu’un jour, le béton menacera chaque buisson ; alors, la moindre donnée d’espèce protégée sera utile. Ainsi, le lieu de la rencontre par excellence avec la nature – son observation par l’être humain qui l’aime, la connaît, la comprend – devient un lieu de production.

Chanter liberté pour réclamer le droit d’entreprendre, laissez-moi rire ! Ne vous inquiétez pas : c’est bien la seule à laquelle la civilisation des machines ne touchera jamais, sinon dans quelques détails. C’est la seule qu’elle juge nécessaire. Le reste ? À quoi bon ? À quoi servent les libertés de culte, d’expression, le temps non consacré à la production, le droit que le contremaître ne sache pas où l’on se trouve et à quoi l’on s’occupe ? Dans une optique de production, à rien du tout. Il était donc odieux qu’on acceptât de se soustraire à la production pour sa santé et celle des autres : cette liberté contre la production ! Scandale. Surtout, incompréhension totale, signe terrifiant que la métamorphose en machines n’était pas si parfaite. Machines, que pouvez-vous désirer d’autre qu’une prise de courant, et continuer à tourner ? N’êtes-vous pas sur terre uniquement pour ça ? Stupeur et terreur de Big contremaître.

Les combats pour la vie privée et tout ce que vous voudrez seront vains tant qu’ils seront arbitrés par ces dirigeants-contremaîtres, ces chefs d’atelier qui se croient maîtres de machines. Ils ne perçoivent pas du tout leurs inventions comme attentant à la liberté : bien au contraire, ils croient la préserver. Ils croient préserver notre liberté d’être des machines efficaces, sûres et fiables, et ne comprennent pas plus la nécessité des autres qu’ils ne comprendraient qu’on octroyât aux mouches le droit de vote. C’est à notre coque de machine qu’il faut refuser notre consentement. Deux cents ans qu’on est dedans, vous ne trouvez pas qu’elle sent le moisi ?

Mon voisin regarde la Coupe du Monde. Dois-je lui jeter des pierres ?

CDM

La Coupe du monde de football va donc commencer sous peu. Et mon mur Facebook est tout fleuri d’invitations à l’événement « Je ne regarderai pas la Coupe du Monde ».

Je suis resté perplexe, et d’ailleurs cette note a subi diverses transformations avant que d’être publiée.

La pilule est amère. Le dernier épisode en date, l’appel des évêques brésiliens, est suffisamment clair. La fête nous a été volée, et avec violence encore ; ceux qui l’ont pris l’accaparent, et la défendent en tirant à balles réelles. Avec de vrais morts.

Pourtant, il y avait des raisons de l’aimer et de vouloir encore y croire.

La joie valait mieux que le fric

Prenons le temps de regarder. D’autant que le sujet est beaucoup moins superficiel qu’il n’y paraît. Il ne s’agirait pas d’agir à la légère, encore moins de se targuer de boycotter un événement auquel on n’accordait de toute façon pas d’intérêt ; et surtout, il y a lieu d’éviter de condamner en bloc ou encore, comme on le voit trop souvent, de s’octroyer à peu de frais un brevet d’intelligence supérieure.

Qui s’apprête à suivre avec passion la Coupe du monde et pourquoi ?
Il est facile de rétorquer : « des neuneus décérébrés qui idolâtrent des starlettes nageant dans le pognon ». De là à en conclure que lesdits abrutis applaudissent des deux mains les descentes militaires dans les favelas et militent pour la fin de la démocratie, il n’y a qu’un pas que j’ai déjà vu franchir allègrement.
C’est un peu plus compliqué, tout de même.

Pourquoi donc cette fascination pour la Coupe du monde de football ?
Et bien parce que, pour peu qu’on s’intéresse depuis l’enfance à ce sport… qu’importent les stars. Qu’importent les qualifiés. Qu’importe même la qualité du jeu. C’est juste qu’il y a un je ne sais quoi dans l’air de goûtu, d’épicé comme un buffet garni de mets venus de trente-deux pays. Leurs noms résonnent comme les couleurs des images Panini de notre enfance, quand on apprenait dans la cour de récréation où pouvait bien se trouver le Paraguay, pour ceux qui n’avaient pas chez eux la pile de rapports Amnesty International 1986. Quelque chose de plus détendu, de léger, de festif, quoi. On est en des jours non ordinaires, pendant lesquels on ose laisser de côté la gravité du quotidien au profit d’une joie simple, au risque du superficiel, l’espace d’un petit mois.

C’est la fête. Et nous avons désespérément besoin de fête. Cessons de prendre les fans de la Coupe du monde pour des imbéciles : chacun d’entre eux – en tout cas je le revendique – est lucide, il a pleinement conscience du caractère totalement superficiel de la chose. Mais c’est ce qui en fait tout le sel. On se réjouira peut-être, on ne pleurera pas, ou pas longtemps. Voilà enfin l’occasion de déposer le joug, et de se consacrer de tout cœur, quelques jours, à une affaire sans risque. Ne l’avons-nous pas âprement gagné tout au long de l’année ?
Voilà. C’est tout. C’est une valse multicolore et mondiale de jeu de ballon, sans plus d’enjeu qu’une partie sur la plage, mais qui nous libère quelques jours de la grisaille horizontale du quotidien. Ce ressenti traverse les décennies, il prend des allures de souvenir d’enfance ou de madeleine de Proust.

C’est puéril, me direz-vous. A l’heure où ceci, alors que le monde cela, peut-on se laisser aller à pareilles vanités, toussa, et il y a plus important.
Et bien oui, on peut. Justement, même. On y a même tout intérêt si l’on ne veut pas sombrer dans la folie, asphyxié par les crises, les problèmes, les drames et autres tragédies qui se succèderont les unes aux autres sans nous laisser respirer un instant, puisque nous aurons dédaigné le rare air frais. La gravité, c’est la pesanteur. On ne peut pas être grave du jour de l’An à la Saint-Sylvestre, ce n’est pas sérieux.

Au reste, questionnons-nous avec la même intransigeance toutes nos activités dites de loisir ? Comment réagirions-nous si une campagne sur les réseaux sociaux prônait le boycott des vacances, parce que l’empreinte carbone est élevée, que nous y consommons des équipements produits dans des conditions non éthiques et que de surcroît, il est indécent et superflu de se livrer à de pareilles futilités ? Vraisemblablement, nous déclinerions en tenant l’auteur pour un dangereux fanatique ; et nous trouverions plus raisonnable de réfléchir à des « vacances éthiques » ou « bio » – mais sans en contester la nécessité. Et nous aurions bien raison.

Concernant le caractère potentiel de « religion païenne » du sport moderne, le sujet mériterait une longue digression à lui seul. L’avis auquel je m’arrête pour le moment sur la question peut être retrouvé en commentaire de cet article de Pneumatis – mon commentaire du 10 juin 9h 17.

Voilà pourquoi, vaille que vaille, on continuait à savourer ce qu’il restait encore de la fête, jusqu’à ce que fût franchi, en cette année 2014, un dernier seuil. Car, non, bien sûr, la nécessité de ballons d’oxygène, le droit à la légèreté ne peut tout excuser. Voyons un peu.

Coupe du Monde 2014, calice d’amertume

Quiconque se préoccupe un tant soit peu du bien commun, quiconque, a fortiori, choisit un chemin d’écologie chrétienne intégrale est appelé à tout remettre en question de ses choix, de sa vie. A se demander à chaque instant : « puis-je encore me permettre ceci ou ne suis-je pas, quelque part, en train de rendre gloire à Mammon ou de m’empiffrer de Création aux dépens de mes frères ? »
Nos fêtes, nos loisirs, nos parenthèses d’insouciance n’échappent pas à l’investigation, et ainsi, par là même, l’insouciance nous est de plus en plus souvent refusée, à notre grand dam. Car la réponse est à chaque fois négative et cinglante et ici, particulièrement.

Il n’est plus possible de fermer les yeux. Que les Brésiliens eux-mêmes rejettent l’événement avec une telle violence doit prouver aux plus naïfs la véracité des à-côté atroces. Enfin, quoi, le Brésil attend depuis 1950 de tourner enfin la page d’une finale perdue devant deux cent deux mille spectateurs, et cela ne suffit pas à leur faire avaler la pilule. C’est dire la sanglante amertume de la médecine que le monstre qu’est devenue la « FIFA World Cup » leur inflige.

L’argent-roi, l’ultralibéralisme, le business du tout-plaisir, appelez cela comme vous voulez, car nous savons tous de quoi il est question, s’empare de tout, nous l’arrache, puis nous le rend, plus clinquant, plus coloré… mais payant. Et à quel prix ! S’il n’était question que de télévision à péage ! Mais c’est d’un impôt du sang qu’il s’agit désormais. Et l’amateur de football ou le simple travailleur fatigué d’ici, lui, n’a rien demandé. Il n’a jamais exigé des stades à la construction ruineuse, principalement à cause de loges de luxe. Il n’a jamais réclamé de confortables places assises ni de shows à trente caméras, dont cette infecte caméra-araignée dont tous espèrent qu’un jour, un dégagement en chandelle bien placé nous libèrera à jamais. Il a même parfois chanté, dans les places debout d’un parcage, « J’enc… le foot-business ». Il voulait juste oublier quelques jours la morosité de son monde « en crise ».

Mais ne se trouve-t-il pas, chaque fois qu’il désire prendre sa petite part de fête et de rêve, percepteur de l’impôt du sang payé par ses frères au Brésil et ailleurs ?
Ici, comme presque partout ailleurs, on lui a volé son droit à quelques heures d’insouciance pour le lui rendre chargé d’une terrible complicité. Voici l’homme qui espérait bien innocemment se détendre devant un Suisse-France sommé de choisir : rester claquemuré dans sa grisaille, ou « cautionner » des meurtres d’enfants…

Otages ou complices ?

Ici, la question s’élargit. L’argent-roi, c’est un poncif, a tout envahi. Tous les matins, je cautionne par un geste ce que je dénonce sur ce blog. C’est inévitable et parfois même involontaire. Faites le compte des joies gratuites, comment dire ? « pures », auxquelles s’adonner sans scrupules : vous en trouverez peu. Et pas assez, je le crains, pour contrebalancer la pesanteur aigre d’un quotidien de citoyen impliqué, aux prises avec l’injustice tous les matins. Tout peut inlassablement être remis en question, mais le questionnement perpétuel épuise, s’il ne connaît jamais de pause, et finit par nous acculer à un ascétisme, un catharisme suffocant. Ecologiste, je me déplace en voiture, polluante, pour me rendre sur mon site de prospection… dilemme. Chrétien, je suis pécheur, dilemme bimillénaire…
Jusqu’à quand suis-je coupable de liens funestes avec mon activité lorsqu’ils m’ont été imposés ?
Celui dont le bon Samaritain fut le prochain était peut-être un individu peu recommandable. Peut-être était-ce un impie, qui pensait mal et ne triait pas ses déchets ! Peut-être le Vingt Minutes Jéricho avait-il matière à titrer « Les drôles d’amis de Monsieur le Bon Samaritain »…

Vous me direz que le bon Samaritain n’était pas libre de choisir son prochain, qu’on n’est pas libre de s’extraire du « système », sauf à retourner dans quelque grotte, et encore, et qu’en revanche, on est libre de rejeter entièrement le football professionnel et la Coupe du monde.

C’est vrai. Sauf qu’il n’y a pas d’alternative. Qui ne veut prendre sa voiture peut prendre train ou vélo. Qui ne veut pas manger Monsanto peut aller au marché, pour encore quelque temps. Là, rien.

Rien ! la proie était trop belle : tout le monde vend du rêve, et il n’y a plus un seul rêve qui ne soit à péage. Et pas grand-chose à faire : concernant l’événement qui nous occupe, à part cesser de l’acheter, les leviers à court terme sont inexistants. Ce qui nous ramène au boycott de longue durée avec toutes ses aigres conséquences. Et encore ne suffit-il pas de boycotter TF1 pendant un mois tous les quatre ans pour se croire libre.

Sous les billets, retrouver une plage sans péage

Que faire d’autre ?

Il s’agit donc de comprendre que le système marchand universel s’emploie à nous arracher tout ce qu’il y a de beau, de gratuit, de souriant, pour le restituer sous la forme d’un objet de plastique, marque déposée et fort cher, ou l’anéantir, s’il n’y est pas parvenu, de peur qu’il n’oppose à son propre produit une concurrence déloyale.

Il s’agit de comprendre que tout ce qui emplit d’une joie insouciante et nous libère quelque temps de la gravité du quotidien appartient à ces beautés en péril, et que nous en avons un besoin vital. L’accepter, n’est-ce pas aussi accueillir notre humanité ?

Il s’agit de constater, consternés, que nous arrivons trop tard et que nous l’avons laissé entièrement racheter. Il va s’agir de repartir en arrière et d’inventer comment.

Il va s’agir d’être créatifs pour trouver du rêve, de l’insouciance qui se donne et ne se vend ni ne s’achète. Peut-être même qu’un jour, on pourra s’enflammer sur une Coupe du monde de football qui n’aura tué, exproprié ni ruiné qui que ce soit. Peut-être qu’on réussira à être joyeux sans arrière-pensées, sans « cautionner » quoi que ce soit.

Et donc, la Coupe du monde, boycott ou pas ?
On m’accusera de réponse de Normand ou de lâcheté, mais tant pis. En dépit de mon passé de « footeux » et même d’Ultra, ou plutôt en raison même de celui-ci, je m’oriente, pour ma part, sinon vers un boycott en bonne et due forme, du moins vers une prise de distance écoeurée, consternée. Ce sera mon choix et le mieux, je crois, sera que chacun discerne quel doit être le sien, car il n’y aura pas forcément de réponse unique, ni de loi ni de dogme. Discerner, et choisir sans se mentir. Sans non plus se précipiter pour jeter la première pierre à l’autre. Le pire manquement à la Charité, je crois, ce serait tout au long de la compétition de tomber sur le poil de ceux qui oseront la suivre en les traitant de buveurs de sang, de néonazis, d’ennemis de la démocratie ou de nouveaux Landru. Et aussi de faire sonner de la trompette devant nous pour clamer au monde notre boycott, alors qu’en temps normal, nous ne nous intéressons de toute façon pas au football…

A ce stade, quelqu’un m’a déjà fait remarquer que je n’avais qu’à me recentrer sur les petites joies simples du genre se pencher au balcon pour écouter les oiseaux. Ce qui, vu mon métier, a déjà de quoi faire sourire. Je lui ai répondu qu’outre que ce genre de gouttelette ne remplace pas une fontaine, le système est aussi passé par là, et que chez moi, dans ma ville, dans ma rue, il n’y a plus d’oiseaux.