Chrétiens et écologie : retour case départ

Parallèlement à la repolarisation politique extrême, et violente, des sujets écologiques en France – les uns les mettant en avant, les autres, qui n’attendaient en fait que ça, se remettent à faire profession de s’en foutre (« le réchauffement ? Mettez la clim ! ») – j’observe ce que j’appellerai un rejet de la greffe Laudato Si’ par une grande majorité des catholiques français.

La CEF a récemment fait savoir, au bout de plusieurs années de travaux prometteurs et la sollicitation d’invités de marque, que le dossier allait filer très très bas sous la pile, et qu’elle recommandait vivement à tous les fidèles lancés dans cette aventure suspecte de mettre leur enthousiasme sur pause jusqu’à une prise de position officielle, qui viendra, promis juré, à la venue des coquecigrües. Pourquoi ? Parce que c’est comme ça. Parce que finalement tout ça c’est bien compliqué, et c’est peut-être un complot woke contre notre sainte mère l’Église après tout. Tant pis pour les expert/es et intervenant/es qui se sont relayé à Lourdes et ailleurs pour exposer les dossiers, informer, documenter. Tout ça pour ça.

Les livres sur le sujet reculent sur les tables des librairies. Ils n’intéressent plus du tout, et la rupture est brutale. Sur les réseaux, même topo: des personnes qui parlaient d’écologie intégrale il y a encore deux ans reprennent désormais la tierce « tout ça est une arnaque pour nous faire payer des impôts, une invention des communistes ». Seuls quelques îlots demeurent, comme la revue Limite par exemple, ou encore quelques éco-lieux désormais à l’écart de la médiatisation dont ils avaient bénéficié aux temps précovidocènes; ou des diocèses comme Coutances, ceux qui, comme par hasard, sont déjà confrontés à la réalité de la crise, au littoral qui s’effrite, à l’eau de mer qui monte. Eux ne se demandent pas si le sel qui percole dans les prairies est de gauche ou de droite.

Ailleurs, la marée du business as usual est revenue, et avec un fort coefficient. Ton dominant: « on s’est amusés deux, trois ans, mais c’est fini, on revient aux choses sérieuses :l’identité, la liturgie, les servantes d’assemblée, les dentelles, ces choses très concrètes. »

Seule échappe à cette noyade (et encore) le programme Eglise verte, qui peut aisément être réduit à un chemin de petits gestes amusants, apolitiques et surtout peu dérangeants, ne remettant rien en question, jamais. Les catholiques français sont bel et bien, de ce point de vue, des Français comme les autres avant tout, comme nous le notions dans La vie oubliée : bannir progressivement les assiettes en carton suffira.

Il y avait pourtant de quoi faire. À travers les chrétiens, l’écologie pouvait enfin se faire universelle. Qu’ils s’en emparassent, et l’antienne « enfin quand même, c’est un sujet préempté par la gauche, et la gauche vous comprenez, c’est non, quand même, donc on va rejeter l’ensemble au cas où » aurait enfin pris du plomb dans l’aile. La gauche en parle ? Et alors ? Cela n’interdit pas d’en parler aussi, si l’on n’a pas envie de les laisser « la préempter ». Elle n’a rien « préempté » du tout. Elle traite le sujet. Cela n’empêche personne d’en faire autant.

L’élan eût pu contribuer à injecter dans tous les milieux politiques une prise en compte profonde, irréversible du sujet, à rappeler qu’on ne négocie pas avec un anticyclone (encore moins avec un cyclone), que les pauvres meurent déjà de notre inaction et que c’est inacceptable, même si l’on refuse de croire qu’on sera le prochain. Contribuer aussi à peupler d’espérance le combat écologique qui en a bien besoin. Habiter en témoins de Jésus-Christ notre siècle qui est un siècle de crise écologique et y annoncer tout de même la Bonne nouvelle. Faire un peu ce que nous a dit le barbu de Galilée avant de reprendre l’ascenseur, quoi.

Non.

Encore deux, trois ans, et on sera encore plus seuls qu’en 2011.

Je suis las de constater, mesurer, établir, argumenter, sourcer, pour désormais me retrouver avec les mêmes cris d’orfraie « mais on veut PAS vous entendre, on veut PAS-PAS-PAS ! » comme si je vendais des brosses au porte à porte.

Las de la ritournelle « moi je peux pas écouter les écolos parce que Mélenchon nucléaire machin ». C’est hors sujet. Même en cette veille d’élections. Au contraire, cela devrait inciter à porter le sujet dans les autres partis, ceux qui expliquent en ce moment qu’il suffit d’avoir du nucléaire car ça permet de monter la clim. Avez-vous donc l’intention d’expliquer à la chaleur ou à la coulée de boue qu’il faut vous épargner car vous n’êtes pas contre l’écologie mais contre Jonlukmélonchon ? Je ne suis pas sûr qu’elles vous écoutent.

Il paraît que tout ça c’est parce que l’écologie n’est pas populaire. Oui. Et c’était aussi ça qu’on s’était fixés de combattre il y a dix ans et bien plus encore. L’écologie n’est pas populaire et encore moins un sujet citoyen. Bien que la France dispose d’un tissu bénévole vaste et actif, celui-ci ne connaît pas sa force politique. Pour les sujets importants, il n’y a que l’Etat. Et donc, que le vote. Et donc, celui qui vous parle d’écologie est forcément en train d’essayer de vous refourguer un bulletin Jonlukmélonchon et rien d’autre. Commode, n’est-ce pas ? De l’autre côté, on se méfie par principe de ceux qui en parlent quand ils sont catholiques, parce que ce doit être cette fameuse écologie de strèmdrouate avec laquelle on joue à se faire peur en repostant une fois par an quelques articles de 2015 sur le lancement de la revue Limite. Je sais bien.

Je sais… Est-ce que ce n’est pas exactement ce contre quoi on voulait se battre il y a 10 ans, 11 ans ? Est-ce qu’on n’a pas assez dit en ces années-là que les chrétiens pouvaient être mobilisés sur l’idée, et diffuser l’idée, que c’est l’affaire de tous, qu’il y a mille façons de prendre le sujet à bras le corps seul ou à plusieurs, le bulletin de vote n’en étant qu’une petite partie ? Est-ce qu’on n’a pas consacré bien des efforts à parler de cette conversion, de cette sobriété heureuse qui était par surcroît évangélique, les choses étant parfois bien faites, au temps où La Décroissance était un vrai journal de la joie de vivre ? Est-ce qu’on n’a pas consacré des centaines d’articles, de publications diverses, de rencontres, de soirées à expliquer tout ça à des paroisses, des associations chrétiennes, des communautés, fermement convaincus que l’écologie pouvait devenir à tous les sens du terme un lieu habité de Bonne Nouvelle ? Et nous voilà à répéter les mêmes constats qu’il y a onze ans – que oui c’est bien dommage mais les catholiques s’intéressent surtout à la défense fortifiée de leur identité et c’est bien normal et ça ne changera pas ! Il avait eu la secousse d’une encyclique pour ça. Il n’y en aura pas d’autre ! Il ne faut pas espérer une nouvelle impulsion d’en haut comme ça pour rouvrir par magie la fenêtre ! On est de retour à ce point-là. Bien moins de place pour le sujet dans les médias chrétiens, pas d’événements spéciaux, parce que le sujet n’intéresse plus, et donc impossibilité pour nous d’avoir de temps en temps une occasion de porter encore ce message, et donc l’écologie redevient cette inconnue, lieu de fantasmes (« mon Dieu, protège-moi de ces wokes… ») Nous sommes de retour à la case départ ! La seule différence c’est la naissance de quelques lieux, de quelques expériences, mais qui n’influencent plus guère au-delà d’un très petit rayon puisque personne ne s’occupe plus de les faire découvrir.

Et pourtant ! Que d’efforts, que d’élans, que d’espoirs, entre 2011 et disons 2018 ! Les assises chrétiennes de l’écologie, les chrétiens indignés, Chrétiens et pic de pétrole, Limite, les centaines de bouquins, les milliers d’articles et de soirées sur Laudato Si’… pour se retrouver là une grosse dizaine d’années plus tard? Et il faudrait par-dessus le marché être « optimiste », par 40° sous abri ? Nous avons bâti comme des fous et c’était presque entièrement sur du sable, les vents ont soufflé, la pluie est tombée et il n’est pratiquement rien resté. Pas la peine de se mentir, il va falloir ressortir les pics et les pioches, *recommencer*. Sauf qu’on a 11 ans de plus et plus forcément le même ressort ni la même énergie.

Tantôt le pigeon, tantôt la statue

Je ne suis pas sociologue. Je n’ai pas fait Science Po. J’ai fait un peu de science-peaux en prépa, quand il fallait ôter celle des grenouilles ou des oursins pour regarder ce qu’il y avait dedans. Mais j’ai appris qu’on était un « écolo qui détourne le regard parce qu’il préfère les vers de terre aux humains [et] qui baissent les yeux dans l’espoir de plaire à des boomers qui se sont plantés toute leur vie » si on ne parle pas de ce sujet-là.

Ce que je vais dire n’a donc pas plus de légitimité que le propos de n’importe quel random, comme on dit aujourd’hui, mais tout de même curieux d’Histoire. Certains ont peut-être lu un article de ma part, dans Limite n°6, sur le roman national (spoiler : j’aime pas) et c’est un peu la suite de la réflexion.

Je parle évidemment des déboulonnages de statues et des numéros de cirque de zozos yankees qui se fouettent le dos pour demander pardon pour l’esclavage.

Réglons tout de suite le premier point : l’écologie.

À deux reprises, dans Tintin au pays des soviets et dans Tintin en Amérique, on voit ce dernier suivre une voie de chemin de fer au moment où celle-ci est taillée dans le roc, au point qu’il soit impossible d’éviter un train s’il en arrive un. Il faut imaginer notre situation écologique comme très semblable, sauf qu’il y a non pas une mais deux voies ; et fonçant vers nous, le train du dérèglement climatique, et en sens inverse, celui de l’extinction biologique. Un élève appliqué résoudrait vite le problème des trains qui se croisent : pile où nous sommes, didon ! ça n’est pas de chance. Autrement dit, aucun espoir d’esquiver d’abord l’un, puis l’autre. Nous en sommes là, et quand l’ouvrier blanc, ou noir ou jaune ou brun ou rouge, ou beige, bleu, vert ou sang et or, diable rouge ou all black, sentira 40°C dans son appart suroccupé, 50 dans la rue, cinq pouces d’eau dans sa cave, et verra le prix de la nourriture s’envoler parce que faute d’insectes, il faut tout produire hors sol et payer nous-mêmes ce que la nature faisait gratos, il en fera une tête. Il sera ravi que la priorité du pays, quelques années plus tôt, ait été d’accabler d’anathèmes trois excités qui voulaient peindre en jaune le Colbert en bronze qui sert, au square, de latrines aux pigeons.

Mais comme le rappelait Thierry Roland, il suffit d’un ou deux excités, donc a fortiori de trois, pour que tout bascule.

Il n’empêche qu’il faudrait peut-être rester calme et boire frais avant de prendre trois manifs (dont deux aux US) pour les éclaireurs des armées d’Alaric ou prétendre qu’on va venir jusque dans nos bras censurer nos fils nos compagnes. Ou forcer Laurent Blanc à changer de nom. Sans le ramdam inouï d’un mouvement en qui se reconnaît fort peu de monde, le fameux « petit blanc diffamé » a toutes les chances d’ignorer sereinement que quelqu’un voudrait le faire se flageller comme esclavagiste. (En plus, ceux qui ont fait ça se sont entendu dire par les Noirs présents d’arrêter leur cinéma ridicule). De telles outrances de forme, on en a connu des centaines ; leur caractère excessif même les condamne au destin de comètes grotesques. Toutes les idées neuves commencent par d’audacieuses avant-gardes, mais tous les illuminés de l’Histoire n’ont pas mis le feu au monde. C’est même, somme toute, excessivement rare.

Mais sur le fond ? Là, je ne vais pas me faire d’amis – dites, personne ne parle d’effacer l’histoire, mais de se demander si de temps à autre, ce qu’on révère, à travers des monuments publics, ne mérite pas d’être un peu révisé. Si par hasard, les standards ne changeraient pas, parfois, de siècle en siècle. Il ne s’agit pas d’enlever, mais d’ajouter. Ôter une statue des places d’honneur n’est pas effacer le nom, c’est un contresens. Et je regrette, mais écrire dans les livres d’histoire que tel Etat, tel pays, a dû sa fortune à l’exploitation de colonies, alors que c’est vrai, n’a pas à faire scandale. Sinon quoi, on perpétuerait des bobards, au nom même de la mémoire et de l’histoire ? Dites ! Quand en septembre 39, la propagande française sort sa fameuse affiche « nous vaincrons parce que nous sommes les plus forts » où sur la mappemonde, l’immensité des empires coloniaux français et anglais s’oppose à la minuscule Allemagne, on ne revendique pas de devoir une part de nos fortune et puissance aux colonies, par hasard ? Est-ce qu’on va l’arracher des livres, cette affiche, pour que ça ne se voie pas trop ? Cela est. Ces faits historiques sont. C’est bien le fait les cacher, taire ou minimiser, plutôt que les révéler, qui relève de la table rase ou de l’oubli volontaire.

Au fait, l’Histoire n’est pas, et n’a jamais été un patrimoine intangible comme un tableau de maître. Hurler au sac de Rome parce qu’on changerait un nom de lycée, quelle blague ! Combien de rues débaptisées, depuis cent ans, pour devenir avenue Charles de Gaulle, rue Jean Moulin, boulevard De Lattre de Tassigny, pont Maréchal Juin ou place maréchal Leclerc ? Qui se souvient que l’avenue Foch, celle du Monopoly, s’est appelée avenue de l’Impératrice, du Général Uhrich, enfin du bois de Boulogne ? Combien de Joffre, de Clemenceau, sans parler de la foule immense des rues, places et avenues Jean Jaurès ? Ceci sans même parler des rues portant depuis le Moyen-Age les noms de l’Arbre penché ou de Saint-Frusquin, devenues rues Hégésippe Débonnaire, conseiller municipal de 1874 à 1912, ou rue Polydore Tuyère, inventeur d’un procédé de teinture des étoffes en bleu canard en 1856 ; ou de la Roche-sur-Yon, dont la gare porte encore le nom de Napoléon-Vendée. Nos récits historiques n’ont-ils pas cent fois changé ? Déplorons-nous le travail historique qui permet un regard nuancé sur Joffre, vainqueur de la Marne mais boucher de l’Artois, sur Foch, lamentable en 14 et solide en 18, et même sur Charles de Gaulle en personne ? Tout ça n’a conduit d’ailleurs à nulle damnatio memoriae. Juste rendu justice à la réalité. Enfin, ne sommes-nous pas bien aise que les historiens nous donnent de la Gaule préromaine une autre vision que les brutes paillardes peuplant des huttes de chaume disséminées dans la forêt vaguement préhistorique de la « Gaule chevelue » ?

Sous le fracas de la surface où ne guerroient souvent que des bateaux en papier, nos visions du passé changent sans cesse ; parce que les historiens travaillent, explorent, découvrent, et parce que les temps changent et que nous ne glorifions plus les mêmes actes, les mêmes hommes qu’il y a des siècles. Rome ne brûle pas à chaque fois qu’on apprend d’un empereur que c’était un crétin. Ne dit-on pas qu’il faut, aux grands comme aux petits hommes, accepter d’être tantôt la statue, tantôt le pigeon ?

Et quant à faire de la révision de la façon dont on se raconte notre histoire la marque exclusive des barbares… Je vous invite à consulter la page Damnatio memoriae de Wikipédia. Ou à relire, même en vitesse, les Histoires de Tacite. Entre la mort de Néron et l’avènement de Vespasien, trois empereurs se succèdent, chacun faisant gaiement virer les statues de son prédécesseur, relever celles du prédécesseur du prédécesseur (moins par moins donne plus), virer celles du prédécesseur du prédécesseur et relever celles du… enfin bref, vous avez compris. Pareil au temps des Pharaons. Peut-être est-ce même une marque de civilisation, que d’accorder du soin au tri des souvenirs. En tout cas, l’Histoire enseigne que ce n’est pas un trait propre au barbare.

La Tourterelle des bois, au moins, règle le problème: elle évite les statues.

Monde d’après, nouvelle ère, écologie toujours secondaire !

La bataille pour le monde d’après a commencé. Elle est semblable aux jours d’avant, d’une manière déprimante. Le président de la République martèle qu’il n’y a rien à remettre en question et que le monde de demain doit être bâti sur les bases d’hier. En avant, marteaux-piqueurs ; qu’importe qu’à force de percer le sol de la maison, on ait déjà passé plusieurs fois le pied à travers le plancher.

Pendant ce temps défilent alertes et éditos. Dernièrement, une énième tribune de célébrités. Qui, forcément, déclenche en retour la tierce : « donneurs de leçons, ils prennent l’avion sans arrêt, pas crédibles ». Une tierce qui ressemble furieusement au gars qui regarde le doigt au lieu de la lune : c’est très pratique pour esquiver le fond. Est-ce Juliette Binoche qui mesure la fonte de la banquise ? Est-ce Nicolas Hulot qui réalise les listes rouges d’espèces menacées ? Est-ce que les délires antivax de l’une et l’hélicoptère de l’autre entachent en quoi que ce soit la validité d’études dont ils ne sont ici que les porte-parole ?  La question n’est pas de savoir si Marion Cotillard est légitime pour dire de baisser son empreinte carbone mais s’il est légitime de la baisser, pour elle comme pour nous, comment, et pourquoi. Et là, ce n’est pas Marion Cotillard qui produit les chiffres, ce sont les scientifiques.

Alors, puisque ce n’est pas à Marion Cotillard, il suffirait que ce soient directement les scientifiques qui parlent. Mais ils le font ! Ils le font et ne sont pas écoutés. Au bout du compte, il y a toujours une bonne raison pour disqualifier tout le monde, et jeter le propos sans même l’avoir lu.

Mais tout n’est pas si noir ! Il y a bien un progrès, qu’on voit au fait que droite et gauche ont désormais le réflexe d’essayer de s’approprier l’écologie. À les entendre, tous deux sont les vrais écologistes, ceux qui en faisaient before it was cool. Heureux sommes-nous d’avoir une telle classe politique ! Vu l’état écologique de notre pays, en fait, non, cela se verrait, en termes de place du vélo, d’aires naturelles protégées, de linéaire de haies sauvegardé, d’érosion de la biodiversité enrayée : il n’en est rien. Il n’en est rien et le bilan des gouvernements successifs ramenés à leur coloration politique diffère bien peu, sur les 30 dernières années. Je m’étrangle à voir la droite bourgeoise industrielle se prétendre vraiment écologiste sous prétexte « qu’il s’agit de conserver, et les conservateurs, c’est nous, donc en fait, l’écologie est de droite ». Conservateurs de quoi ? S’il y avait une trace de vérité là-dedans, nous n’aurions pas assisté à une telle dévastation des haies, prairies, zones humides, allant de pair avec une chute verticale du nombre d’agriculteurs. J’ai sangloté de même devant l’élue EELV jurant que « moins de biens plus de liens était depuis toujours la devise de son parti », quand celui-ci professait avec énergie sa foi dans le productivisme greenwashé par quelques palanquées d’éoliennes.

Et les fessiers de droite comme de gauche de tracer tortillons et spirales pour jurer que la vraie écologie, c’est ici, depuis toujours, et pas en face. Nous avons rabâché que l’écologie devrait être transversale, « ni de droite ni de gauche mais concerner tout le monde ». Y serions-nous ? Pas du tout. Personne n’a mieux compris qu’il fallait se soucier d’écologie ; tous ont juste compris qu’il fallait faire semblant, prétendre que ce qu’on fait depuis l’origine est en fin de compte de l’écologie, et déformer celle-ci jusqu’à la faire coller à son plan de conquête du pouvoir. Ça se voit, vous savez.

Serait-ce que « l’écologie devrait rester apolitique » ? Pas davantage. Si l’on compile les données scientifiques, on peut savoir assez facilement ce qu’il faut faire pour stopper l’incendie : de combien de % réduire nos émissions de GES, notre artificialisation des sols, notre déforestation ; de quelles surfaces de zones humides, d’aires protégées, etc… nous avons besoin. Mais il n’y a pas qu’un seul chemin vers cet objectif, et les chemins, eux, sont éminemment du domaine politique. Qui devra renoncer à quoi, qui gagnera quoi, pour que tous, à la fin, bénéficient d’une vie bonne, tenable par la planète qui est notre biotope, ceci est du domaine du politique. Mais l’écologie politique devrait être d’abord l’écologie, ensuite les moyens politiques d’atteindre l’objectif écologique (qui est ni plus ni moins que notre survie).

Lit du Doubs fin octobre 2018 – Espirat / CC BY-SA (https://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0)

Nous barbotons désespérément dans l’inverse : une écologie subordonnée à des objectifs politiques 0% écolo. Déroutés par ces électeurs qui, eux, s’en soucient, les partis tâchent donc de prétendre que leur programme est écolo, sans y toucher (ou si peu) ; mais cette politisation de l’écologie n’aboutit qu’à l’attacher aux lits de Procuste de programmes préexistants. Elle ne fait pas de l’écologie un sujet pour le politique, mais au contraire un objet, un hochet. Les années passent et on nous annonce inlassablement « une écologie qui tienne compte de l’économie », et toujours pas l’inverse. C’est toujours à la maison d’être brûlée dans la chaudière.

Dépolitiser (au profit d’une écologie de technocrates et d’experts « pragmatiques ») ou récupérer pour sa tambouille, deux faux-fuyants qui ratent l’essentiel : le caractère radicalement nouveau de l’écologie. De droite ou de gauche, les chemins vers un monde écologiquement viable seront nouveaux et la société qui en sortira sera bouleversée de fond en comble par rapport à celle des années 1800-2000. Pareils à la société d’après-guerre qui s’empressait de ramener au pouvoir les hommes des années 30 (Blum, Benes…) nous espérons frénétiquement que rien n’ait changé sous nos pieds. Nous consacrons toute notre énergie à nous le cacher. C’est plus rassurant. Un « monde d’après » écologique aura du mal à émerger : il fera doublement peur.


Pendant ce temps, l’horloge cogne. Les premiers mois de 2020 sont déjà les plus chauds jamais enregistrés. Les migrateurs sont toujours moins nombreux à revenir.

Assez vrillé du c… maintenant ; vous voulez faire de l’écologie politique ? Faites de l’écologie, et traduisez-la en politique ensuite. Pas l’inverse. Nous aurons bientôt crevé pour n’avoir pas voulu cesser de faire l’inverse.