Propos sur le livre que tout le monde a lu par quelqu’un qui ne l’a pas lu

Le comble d’un livre est sans doute de faire couler beaucoup d’encre sans que ce soit la sienne. Et le plus difficile pour aborder le sujet à la mode du moment est sans doute aussi de trouver un incipit original. C’est raté : entrons donc carrément dans le vif du sujet.
A quoi sert le livre de madame Trierweiler ?
A quoi sert-il de le lire ?
A quoi sert-il de ne pas le lire ?

Posons les questions, par ordre, avec méthode et rigueur.

Le livre de madame Trierweiler fait-il agréablement passer le temps ?

Oui, mais si vous êtes chez le dentiste. Dans le cas contraire, trois cents pages de style Paris-Flash peuvent finir par agacer. Ou alors, lancé dans un raid Bordeaux-Lille via Massy TGV et cerné par une horde de mouflets chacun vissé à son dessin animé sur tablette. Tel un Proust des temps modernes fonçant vers quelque Balbec-Plage moderne, vous bloguerez alors un exalté « Tchoupi à l’ombre de la Première Ex en fleurs », promis à une célébrité aléatoire et une postérité incertaine.

Le livre de madame Trierweiler sauve-t-il des chatons ?

C’est en effet ce qu’on attend en premier lieu d’un objet-événement sur les réseaux sociaux. Pour l’heure, les preuves tardent. Mais avec 145 000 exemplaires vendus en peu de semaines, la prochaine vidéo de chaton jouant avec délices dans un labyrinthe de « Merci pour ce moment » ne saurait tarder.

Le livre de madame Trierweiler protège-t-il les baleines ?

Faute de données fiables sur les additifs employés dans l’encre et le papier, potentiellement nocifs pour la faune marine, l’ONG Sea Shepherd aurait jugé irresponsable de repousser les chasseurs de globicéphales des îles Féroé à coups d’exemplaires de « Merci pour ce moment ». Il semble donc hélas que l’opus de madame Trierweiler ne soit d’aucune utilité face aux grandes problématiques écologiques de notre temps. C’est un premier #PointçayLeMal

Le livre de madame Trierweiler est-il bon pour l’économie et le redressement de la France?

Oui, parce que c’est un produit made in France qui se vend en masse, relance la consommation, crée des emplois, évite les plans sociaux, promeut la culture française, préserve l’environnement et lutte efficacement contre les taches, même les plus rebelles. Par conséquent, les libraires qui dédaignent de le mettre en vente sont désignés par le Comité de salut public ennemis du redressement productif et de la patrie. L’exécution aura lieu en Place des réseaux sociaux, à coups d’articles incendiaires sur Amazon et la liberté de commerce. Pour ma part, je reprendrai deux fois du Proust. #PointSnob

Le livre de madame Trierweiler est-il démocratique, participatif et citoyen ?

L’Histoire, et les monceaux de bouquins qui encombrent les rayonnages familiaux, nous enseignent que la vie d’une production de ce genre évoque celle d’un pétard d’artifice tiré dans le jardin du tonton. Après trois semaines de top des ventes, la courbe chutera telle le taux de satisfaction présidentiel. Resteront des milliers d’exemplaires dans les humbles foyers avec ou sans dents. L’inexorable marche du temps les recouvrira de poussière. Puis, elle les poussera vers les foires aux livres associatives et les brocantes villageoises, où ils rejoindront les tombereaux de « Quand la Chine s’éveillera » que des générations de vide-greniers n’ont pas réussi à écobuer. Si l’on en juge d’après l’impact sur le lumbago des bénévoles de nos villages et de nos quartiers, le livre de madame Trierweiler est sans aucun doute nuisible au tissu associatif et citoyen de notre République. Ce qui fait un second #PointçayleMal

Le livre de madame Trierweiler apprend-il des choses sur monsieur le président ?

Certainement. On y apprend en substance qu’il est quelqu’un de pas bien, qui mange des chatons au petit déjeuner (en quoi, finalement, le fatal opus pourrait servir à sauver les jeunes félins, rien qu’en dénonçant le crime) et qui aurait pu rire à la blague « Pas d’bras, pas d’chocolats » le jour de ses douze ans. Et que chaque administré peut se demander « Suis-je un des sans dents de François Hollande ? » ce qui est pour le moins tétanisant.
On y apprend aussi que lorsqu’il s’agit de sabrer une personnalité déjà au plus mal dans les sondages, la moindre ligne à charge émise par une autre personne de son entourage vaudra parole d’Evangile (ici, un règlement de compte d’ex sur la place publique), et donc que le dézinguage d’un président de la République ne souffre aucune modération, pas même par le sens critique le plus quotidien. Du genre se demander si l’auteur(e) du brûlot est réellement objectif (ve). Pour le reste, qu’il s’agisse de la déconnexion des élites d’avec ce qu’on appelait passé un temps la Franced’enbas, ou de la collusion médias-politiques, plutôt que l’éculé « A l’ouest rien de nouveau », ou le khâgnoïde « Nihil novi sub sole », je propose de rétorquer « Mais je le sais, ma fille, comme disait madame Gervaise », ce qui permet de marquer un #PointPéguy , hipster en diable.

Le livre de madame Trierweiler attente-t-il à la démocratie et borde-t-il l’édredon du Front national ?

Peut-on encore faire du mal à la fonction présidentielle avec un pseudo-secret d’alcôve ? Depuis que la connaissance de monsieur Félix Faure est partie par l’escalier de service, à tout le moins, ce n’est pas gagné. Bien sûr, qu’un best-seller dépeigne le représentant numéro un de la République comme un médiocre doublé d’un mufle n’est pas idéal pour son image. Celle de la République, hein. Celle de l’homme François Hollande n’a plus rien à perdre. Au stade où nous en sommes, quelqu’un pourrait bien l’accuser des crimes les plus vils, tels que couper la pointe du brie ou mettre du fromage râpé dans le gratin dauphinois, il serait cru ou pas dans des proportions reflétant exactement le taux d’approbation de sa politique par nos concitoyens. Alors, la République salie ? Au contraire. La libre expression des ressentis de Madame Première Ex est une preuve de démocratie. En dictature, la vraie, le livre serait interdit, parcimonieusement distribué sous le manteau à quelques initiés, et cette fois-ci, chez le dentiste, nous n’aurions plus qu’à mourir d’ennui en feuilletant des revues médicales ou des rumeurs people irrémédiablement périmées. La République, c’est le constant renouvellement des scandales publics à la une, et vu comme cela nous occupe et nous distrait, il n’est pas prudent de changer.
Enfin, et ce n’est pas négligeable, ce bouquin permet à ceux qui l’ont acheté de se sentir grands, parce que mieux informés, nourris de révélations sans concession. Ceux qui ne l’ont pas acheté se sentent grands itou, car au-dessus du commun, moue dédaigneuse et doigts en pince à sucre, l’auriculaire fièrement dressé à l’heure du thé.

Moi, je ne l’ai pas acheté.

… il faut dire qu’il suffit de consulter un peu Twitter pour le lire, par bribes, mais presque in extenso. Alors en ces temps de crise, voyez-vous. Ce n’est pas pire que d’entrer dans une librairie et d’être frappé soudainement de phobie des caisses enregistreuses au moment de sortir avec l’ouvrage en poche, n’est-ce pas ?