Monde d’après, nouvelle ère, écologie toujours secondaire !

La bataille pour le monde d’après a commencé. Elle est semblable aux jours d’avant, d’une manière déprimante. Le président de la République martèle qu’il n’y a rien à remettre en question et que le monde de demain doit être bâti sur les bases d’hier. En avant, marteaux-piqueurs ; qu’importe qu’à force de percer le sol de la maison, on ait déjà passé plusieurs fois le pied à travers le plancher.

Pendant ce temps défilent alertes et éditos. Dernièrement, une énième tribune de célébrités. Qui, forcément, déclenche en retour la tierce : « donneurs de leçons, ils prennent l’avion sans arrêt, pas crédibles ». Une tierce qui ressemble furieusement au gars qui regarde le doigt au lieu de la lune : c’est très pratique pour esquiver le fond. Est-ce Juliette Binoche qui mesure la fonte de la banquise ? Est-ce Nicolas Hulot qui réalise les listes rouges d’espèces menacées ? Est-ce que les délires antivax de l’une et l’hélicoptère de l’autre entachent en quoi que ce soit la validité d’études dont ils ne sont ici que les porte-parole ?  La question n’est pas de savoir si Marion Cotillard est légitime pour dire de baisser son empreinte carbone mais s’il est légitime de la baisser, pour elle comme pour nous, comment, et pourquoi. Et là, ce n’est pas Marion Cotillard qui produit les chiffres, ce sont les scientifiques.

Alors, puisque ce n’est pas à Marion Cotillard, il suffirait que ce soient directement les scientifiques qui parlent. Mais ils le font ! Ils le font et ne sont pas écoutés. Au bout du compte, il y a toujours une bonne raison pour disqualifier tout le monde, et jeter le propos sans même l’avoir lu.

Mais tout n’est pas si noir ! Il y a bien un progrès, qu’on voit au fait que droite et gauche ont désormais le réflexe d’essayer de s’approprier l’écologie. À les entendre, tous deux sont les vrais écologistes, ceux qui en faisaient before it was cool. Heureux sommes-nous d’avoir une telle classe politique ! Vu l’état écologique de notre pays, en fait, non, cela se verrait, en termes de place du vélo, d’aires naturelles protégées, de linéaire de haies sauvegardé, d’érosion de la biodiversité enrayée : il n’en est rien. Il n’en est rien et le bilan des gouvernements successifs ramenés à leur coloration politique diffère bien peu, sur les 30 dernières années. Je m’étrangle à voir la droite bourgeoise industrielle se prétendre vraiment écologiste sous prétexte « qu’il s’agit de conserver, et les conservateurs, c’est nous, donc en fait, l’écologie est de droite ». Conservateurs de quoi ? S’il y avait une trace de vérité là-dedans, nous n’aurions pas assisté à une telle dévastation des haies, prairies, zones humides, allant de pair avec une chute verticale du nombre d’agriculteurs. J’ai sangloté de même devant l’élue EELV jurant que « moins de biens plus de liens était depuis toujours la devise de son parti », quand celui-ci professait avec énergie sa foi dans le productivisme greenwashé par quelques palanquées d’éoliennes.

Et les fessiers de droite comme de gauche de tracer tortillons et spirales pour jurer que la vraie écologie, c’est ici, depuis toujours, et pas en face. Nous avons rabâché que l’écologie devrait être transversale, « ni de droite ni de gauche mais concerner tout le monde ». Y serions-nous ? Pas du tout. Personne n’a mieux compris qu’il fallait se soucier d’écologie ; tous ont juste compris qu’il fallait faire semblant, prétendre que ce qu’on fait depuis l’origine est en fin de compte de l’écologie, et déformer celle-ci jusqu’à la faire coller à son plan de conquête du pouvoir. Ça se voit, vous savez.

Serait-ce que « l’écologie devrait rester apolitique » ? Pas davantage. Si l’on compile les données scientifiques, on peut savoir assez facilement ce qu’il faut faire pour stopper l’incendie : de combien de % réduire nos émissions de GES, notre artificialisation des sols, notre déforestation ; de quelles surfaces de zones humides, d’aires protégées, etc… nous avons besoin. Mais il n’y a pas qu’un seul chemin vers cet objectif, et les chemins, eux, sont éminemment du domaine politique. Qui devra renoncer à quoi, qui gagnera quoi, pour que tous, à la fin, bénéficient d’une vie bonne, tenable par la planète qui est notre biotope, ceci est du domaine du politique. Mais l’écologie politique devrait être d’abord l’écologie, ensuite les moyens politiques d’atteindre l’objectif écologique (qui est ni plus ni moins que notre survie).

Lit du Doubs fin octobre 2018 – Espirat / CC BY-SA (https://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0)

Nous barbotons désespérément dans l’inverse : une écologie subordonnée à des objectifs politiques 0% écolo. Déroutés par ces électeurs qui, eux, s’en soucient, les partis tâchent donc de prétendre que leur programme est écolo, sans y toucher (ou si peu) ; mais cette politisation de l’écologie n’aboutit qu’à l’attacher aux lits de Procuste de programmes préexistants. Elle ne fait pas de l’écologie un sujet pour le politique, mais au contraire un objet, un hochet. Les années passent et on nous annonce inlassablement « une écologie qui tienne compte de l’économie », et toujours pas l’inverse. C’est toujours à la maison d’être brûlée dans la chaudière.

Dépolitiser (au profit d’une écologie de technocrates et d’experts « pragmatiques ») ou récupérer pour sa tambouille, deux faux-fuyants qui ratent l’essentiel : le caractère radicalement nouveau de l’écologie. De droite ou de gauche, les chemins vers un monde écologiquement viable seront nouveaux et la société qui en sortira sera bouleversée de fond en comble par rapport à celle des années 1800-2000. Pareils à la société d’après-guerre qui s’empressait de ramener au pouvoir les hommes des années 30 (Blum, Benes…) nous espérons frénétiquement que rien n’ait changé sous nos pieds. Nous consacrons toute notre énergie à nous le cacher. C’est plus rassurant. Un « monde d’après » écologique aura du mal à émerger : il fera doublement peur.


Pendant ce temps, l’horloge cogne. Les premiers mois de 2020 sont déjà les plus chauds jamais enregistrés. Les migrateurs sont toujours moins nombreux à revenir.

Assez vrillé du c… maintenant ; vous voulez faire de l’écologie politique ? Faites de l’écologie, et traduisez-la en politique ensuite. Pas l’inverse. Nous aurons bientôt crevé pour n’avoir pas voulu cesser de faire l’inverse.