Il y a un bon moment que je me demandais si j’allais bloguer sur l’euthanasie. D’autres me paraissaient plus qualifiés que moi dans cet exercice. Je vous rassure : je les considère toujours comme tels. Cette note aura simplement comme rôle de récapituler les points qui, à mes yeux, sont essentiels, en réponse à la question : pourquoi ne pas la légaliser strictement encadrée ?
Cela me permettra d’y renvoyer les personnes qui, dans la vie virtuelle ou réelle (je vous assure, j’ai une vie réelle ! et même assez remplie) me questionneront sur la question, d’une manière plus complète et mieux rédigée qu’un commentaire Fessebouc ou une rafale de tweets.
Généralement, les partisans de l’euthanasie ou du moins de l’ouverture du débat qui sont de bonne foi apprécient que l’on soit factuel et précis. Je vais donc tâcher de l’être.
Le nœud de l’argumentaire, pour autant qu’on puisse en juger, est celui-ci : l’euthanasie pourrait être envisageable à condition de la limiter strictement aux cas de consentement exprimé, de maladie incurable, de souffrances intolérables, car cela relève de la liberté individuelle. Je n’y crois pas. Voici pourquoi.
Histoire de poser un cadre
Premier préambule : il s’ensuit de cela qu’on est déjà dans le flou. Ces trois critères : consentement, incurable, souffrances intolérables : faut-ils qu’ils soient réunis tous à la fois ? Un seul des trois ? Deux ? Lesquels ? Un consentement exprimé à quel moment ? Qu’en est-il des malades hors d’état d’exprimer un consentement éclairé ? Déjà, on mesure la difficulté de définir proprement ce cadre strict pourtant condition sine qua non pour éviter ce qu’on appelle pudiquement des « dérives ».
Second préambule : je ferai de mon mieux pour éviter tout terme clairement excessif, mais ayons bien conscience d’une chose : quand on aborde ce sujet, on aborde l’angoisse fondamentale de l’homme, et ainsi, il n’existe pas de termes neutres. Chacun prétend à la neutralité des termes qu’il emploie, mais l’autre les récusera toujours. Le mot même d’euthanasie consiste à minimiser le fait de provoquer la mort. Et si de mon côté j’emploie le terme mise à mort, on lui reprochera sa connotation « exécution capitale » ou « meurtre ». Même les protagonistes les plus soucieux de respect, dans un tel débat, mettent en jeu pour l’un, sa peur de mourir dans de grandes souffrances, et pour l’autre, sa peur d’être mis à mort alors qu’il ne le voudra pas. Il n’est pas possible de « débattre dans la sérénité » d’un pareil sujet. Il faudrait, pour cela, que la mort ne provoque en nous aucune émotion. Il faudrait donc que nous soyons soit des bonzes ou des stoïciens accomplis à la perfection – auquel cas nous aurions d’ailleurs si peu peur de la fin que le débat serait sans objet – soit les plus horriblement déshumanisés des technocrates. Ce n’est pas le cas. Assumons-le. Là, oui, on sortira de l’hypocrisie. « Un débat dépassionné sur la fin de vie », non mais quelle funeste blague !
Une liberté individuelle… qui engage tout le monde
Premier point : la liberté individuelle. Très à la mode à notre époque, à tout propos. Ma liberté. Je ne veux pas qu’on m’impose. Déjà, c’est mal barré, parce qu’une quantité effarante de cadres, de façons d’être, nous est de toute façon imposée, par le biais d’une loi ou non : la liberté individuelle n’est pas un absolu, nous le vivons tous les jours. Gardons-nous de l’ériger en point non négociable quand cela nous arrange et de l’oublier dans les cas inverses. Nous ne vivons pas chacun dans une bulle. A raison de plusieurs centaines ou milliers de nos semblables sur un malheureux kilomètre carré, nous formons un système, nous interagissons sans cesse et tout ce que nous pouvons faire et dire, dès lors qu’une seule autre personne au monde le sait, constitue déjà l’affirmation au monde, de notre part, que « cela se fait », que cela pourrait être socialement acceptable si cela ne l’est pas déjà, un « projet de loi » (à moins que la transgression ne soit mon but exprès, et encore ; mais ce n’est pas notre cas ici). Si demain, j’entonne à pleins poumons des cantiques de l’Avent dans la rue, au bout de deux jours, j’ai des chances de faire l’objet d’une brève dans le Vingt minutes, au bout de dix, de faire des émules, et avant Noël, j’aurai incidemment rouvert le débat sur la laïcité et initié une norme européenne sur les cordes vocales habilitées à s’exprimer dans l’espace public. . Massacrer chaque matin « Aube nouvelle » ne relève de ma liberté individuelle qu’aussi longtemps que personne ne m’entend. Partout ailleurs, mon choix engage tout l’univers, justement parce que chaque atome de cet univers est libre, lui aussi, de choisir s’il veut m’entendre ou pas.
Mort digne, vie indigne : boîte de Pandore numéro un
Et donc, naturellement, il en va de même pour l’euthanasie : quand bien même mon choix serait purement libre et valide, j’engagerai déjà le soignant à qui je demanderai de me donner la mort. Et si cet acte est mon droit, alors lui n’aura pas le choix. Disposât-il d’un droit de retrait individuel, un jour ou l’autre, quelqu’un devra s’y coller. C’est là tout ce qui distingue l’euthanasie ou le suicide assisté du suicide individuel, accompli par soi-même. Le choix de l’impétrant engage la société toute entière dans sa proclamation qu’il existe des vies qui ne méritent pas d’être vécues. En effet, à partir du moment où elle a légalisé une forme, quelle qu’elle soit, de possibilité de réponse positive, active, à la demande de mort d’un citoyen, elle se doit de mettre à sa disposition les moyens et le personnel pour y répondre ; ce qui implique qu’elle valide ipso facto la définition de la personne d’une vie digne, et d’une vie indigne.
C’est la première boîte de Pandore. Le fait même que l’association qui défend la légalisation de l’euthanasie ait pour nom « Association pour le droit à mourir dans la dignité » pose le débat en ces termes : définir pour la société française une mort digne et une mort indigne, une vie digne et une vie indigne. Au sens le plus restrictif, en effet, si toutes les morts ne sont pas dignes, alors la vie qui ne peut plus s’achever par une mort digne est aussi une mort indigne : il eût fallu l’interrompre à temps. Paradoxalement, c’est précisément en cherchant à délimiter, à cadrer, à restreindre les situations légales d’euthanasie qu’on se retrouve le plus enferré dans ce guêpier. En effet, il faut définir dans quels cas l’euthanasie sera accordée ou pas, en-dehors de la demande du patient : car on peut très bien se trouver face à un patient souffrant au point de demander la mort, alors que ses chances de guérison sont réelles et sérieuses. C’est là que commence la pente savonneuse, et que l’exemple belge devient parlant. J’engage chaque lecteur de ce blog à user de son moteur de recherche pour en savoir plus, et je retiendrai un cas, aisément vérifiable : un condamné à perpétuité a obtenu l’euthanasie au seul motif que sa peine constituait à ses yeux une souffrance intolérable (et incurable). Du coup, certains envisagent de proposer systématiquement l’euthanasie en pareils cas, ce qui questionne sérieusement le concept de consentement éclairé et risque fort d’inciter les tribunaux à avoir la main lourde, histoire de faire le ménage : une peine de mort « volontaire »… passablement sous pression. Mais retenons surtout l’idée que le critère de maladie incurable et de souffrance intolérable a déjà volé en éclats. Pourquoi ? Parce qu’on s’était risqué à permettre à la société, au législateur, aux juges, de désigner des vies comme étant indignes d’être vécues. Et si des handicapés s’expriment aujourd’hui contre l’euthanasie, c’est à cause de cela : parce qu’on peut juger une vie indigne, tant qu’on ne la vit pas. Parce qu’à partir du moment où on s’est donné ce droit, dans un environnement culturel sans pitié pour le faible, le vieux, celui qui n’est pas en état de jouir pleinement (de ses facultés, de son plaisir, de…) il est extrêmement dangereux de commencer à considérer que la dignité d’une vie, la valeur de la vie que l’on mène, sont des notions relatives, négociables. On n’arrête pas cette dynamique, et la liste des vies jugées indignes s’allonge constamment. Car nous avons peur de devoir, un jour, mener l’une de ces vies, et disons étourdiment « plutôt mourir ».
Or, à chaque fois que l’un de nous décide de mourir plutôt que de mener la vie qui lui est donnée, il projette à tous un modèle de vie digne et de vie indigne. Et dès lors qu’il existe un appareil légal et technique pour approuver son choix, alors celui-ci prend la valeur d’un choix proposé, certes, encore non imposé, mais à tous, et avec la force de tout l’appareil d’Etat, médiatique, public, etc. A l’image de ces condamnés qui savent désormais que l’euthanasie est possible pour eux. Eux, n’ont rien demandé, mais l’un a demandé pour eux et cela a immédiatement accédé au rang de modèle, parce qu’il y a une jurisprudence. Même si personne ne va toquer à leurs cellules pour leur en vanter les mérites. Ce jugement s’est chargé de le faire, avec une force qui dépasse à l’infini la puissance du « modèle » du détenu qui se suicide. D’autant plus que l’une des issues est appelée mort dans la dignité, tandis que l’autre reste un symbole sociétal de désespoir.
Voilà donc pourquoi je crois fermement que dès lors que le caractère digne, digne à vivre, d’une vie, est jugé négociable sous l’égide de la société, de la loi, de la justice, alors il est illusoire de croire que cette négociation restera le strict choix de l’individu libre et éclairé. La société entérinera des modèles de vie non digne, justifiant qu’on y mette activement un terme, qui seront de plus en plus étendus et proposés avec une intensité croissante ; c’est ce qu’on constate dans les pays qui s’y sont risqués ; et c’est logique, car conforme à notre modèle culturel.
« Tu ne tueras point », « tu ne tortureras point » : les mêmes dynamiques
Il est de bon ton de railler les détracteurs de l’euthanasie, de les accuser d’être disposés à condamner les autres à une agonie atroce « au nom de leurs convictions d’un autre âge ». Ce raisonnement impose, en fait, de renoncer à tout absolu du respect de la vie et de la dignité humaines au profit d’un raisonnement strictement utilitaire. Pourtant, qu’on le veuille ou non, le tabou « tu ne tueras point » se base sur un absolu : la mort est un fait irrévocable, irrémédiable, on ne revient pas en arrière. Il est donc tout à fait spécieux de traiter la mort, ou la fin de vie, comme on dit, comme n’importe quel autre état sociétal, le chômage, la pauvreté, etc. En tout cas, il n’existe pas de raison d’accepter un débat d’ores et déjà placé sur le terrain du relativisme. Au pire, que défense d’absolus et relativisme s’expliquent dans l’arène, mais si l’un des deux camps est disqualifié d’avance, alors il ne s’agit déjà plus d’un débat équilibré.
J’ai parlé de la torture. Entendons-nous bien :
- je ne dis absolument pas que les défenseurs de l’euthanasie soient en masse des partisans de la torture
. Mon propos est de montrer que les deux obéissent à la même dynamique interne, mortifère, et que si on juge l’une inacceptable, la prudence doit conduire à traiter l’autre de même. En effet, quiconque juge la torture acceptable « dans certains cas » admet que « dans certains cas » on peut mettre entre parenthèses la dignité humaine – celle de la victime et celle du bourreau – si l’on escompte un gain, disons, comptable. Sa vie détruite contre des vies sauvées. Et certes, parfois, ça marche. Souvent, ça ne marche pas. Mais ce n’est pas parce que le taux d’échec est élevé que la torture est une monstruosité. C’est parce qu’elle légitime le fait de faire subir n’importe quoi à un homme pour en retirer un gain, et qu’à partir du moment où on a jugé cela négociable, on sait que demain, on le fera pour des gains toujours plus contestables. Aujourd’hui, on sauve une famille parce qu’un terroriste, torturé, aura vendu la mèche. Demain, on torturera la même famille parce qu’on aura cette fois pensé que peut-être, elle détenait à son tour un secret crucial. Logique comptable, système livré à sa dynamique propre. Et faute d’absolus, on est totalement dépourvu d’outils pour poser une barrière.
Lorsque je vois le coût financier évoqué au quatrième rang sur six des raisons pour lesquelles il faut légiférer sur l’euthanasie je me permets de demander combien de temps notre droit à vivre sera ouvertement calculé sur la base de ce que nous aurons rapporté, par rapport au coût de nos soins. En tout cas, la mise en balance de la survie et d’une somme d’argent sont déjà une réalité. Une fois la valeur de notre existence entrée dans une logique comptable, il peut nous arriver n’importe quoi. Mieux vaut ne pas y mettre les pieds – euphémisme.
Notons au passage un point pragmatique, si évident que j’ai failli l’oublier : si on entre dans une logique de coût, il est hautement probable que l’euthanasie, « solution » simple et économique, n’incitera pas à développer les soins palliatifs ni la recherche à leur sujet. Ceux-ci existent et ces soignants, confrontés au pire sans dérivatifs, sont, à mon avis, de l’étoffe des saints ou des héros. Commençons par ne pas insinuer qu’ils ne font rien ou pis, qu’ils n’existent pas. Mais surtout, qui nous protègera d’un déclin de ces services, puisqu’il existera plus simple et moins cher, dans un cadre où la vie d’un incurable ne vaudra plus rien ? Rien que par là, la dynamique va s’auto-entretenir, et l’euthanasie manger progressivement le soin. Les premières victimes seront naturellement les plus fragiles, les plus pauvres ou les plus seuls : les moins informés sur leurs droits, sur leurs soins, ceux qui auront le plus de mal à justifier qu’ils ont assez cotisé. Euthanasie pour les pauvres, soins palliatifs pour les riches ? L’euthanasie, est-ce vraiment le progrès et l’égalité ? En apparence, oui. En pratique…
Boîte de Pandore numéro deux : le consentement individuel, une maison de paille
Ne partez pas tout de suite : j’entends l’objection : « Non, la société n’a pas validé la définition d’une vie indigne, elle a validé que cette personne avait une définition valide pour elle ». Cela revient à dire : mais si, il existe un absolu : le consentement individuel.
J’ai déjà partiellement traité ce point deux paragraphes plus haut : le « oui, mais moi je » me semble déjà spécieux parce que notre société est un système, où nous interagissons sans cesse. Mon « moi je » peut, demain, devenir un « tu as vu, lui il, alors tu pourrais quand même, toi aussi ». C’est ce qui se passe sans cesse, et très vite. Il me semble bien difficile de défendre la notion de consentement individuel, libre et éclairé, dans un contexte où la société présentera l’euthanasie comme un choix digne. Outre l’angoisse de la mort prochaine qui, déjà, brouille sérieusement les cartes de la lucidité, la souffrance présente, qu’on imagine la force de caractère nécessaire pour s’affirmer, seul, contre une pression collective, sociétale, qui définit ce patient incurable, dépendant, comme un être en état de déchéance – puisque la mise à mort par injection lui sera présentée comme synonyme de dignité. Imaginez ce qu’il lui faudra pour refuser son consentement, pour peser de manière juste et libre dans la balance la « dignité » de l’euthanasie contre la dignité de l’homme.
Imaginez l’homme qui pensait initialement que nul n’avait le droit de le juger indigne de vivre, et qui devra défendre cette dignité alors qu’il est vulnérable entre tous : allongé dans son lit d’hôpital, sachant, ou pensant, que la fin est proche, qu’il est dépendant, qu’il coûte cher. Tout le poids s’exercera sur l’individu au moment même où il sera le plus vulnérable, fragile par excellence. Tout le poids, c’est-à-dire celui de la collectivité qui aura jugé que dans certains cas, on est mieux inspiré de partir que de vivre. Face à elle, arc-bouté sur sa barrière, un homme. Seul. Physiquement amoindri de manière cruelle.
Je me refuse à parler de consentement libre et éclairé dans des conditions pareilles. Et surtout pas dans une société où beaucoup considèrent, et à juste titre, que s’en remettre au volontariat pour autoriser le travail le dimanche est une tartufferie. Pour le travail dominical, la pression serait telle que le consentement sera faussé, mais pour l’euthanasie, non ? Restons sérieux !
Et qu’en sera-t-il demain, à propos de malades non incurables, mais affligés d’un handicap physique sérieux ? Ceux dont notre société juge déjà qu’il vaut mieux ne pas les laisser naître ? Combien de temps résisteront-ils avant d’être incités à poser une demande similaire au détenu belge ? Et dès lors qu’un seul l’aura fait, comment les autres feront-ils pour résister ?
C’est la boîte de Pandore numéro deux : non seulement le piège de la définition d’une vie digne se referme, restreignant sans cesse les conditions, et s’attaquant aux plus faibles en premier, mais de plus, le consentement, censé nous garder de toutes les dérives, sera soumis à un poids sans cesse croissant, et chaque acquiescement individuel accroît le poids sur tous les autres.
Et encore n’ai-je même pas parlé du cas des personnes incapables d’exprimer leur consentement. Je ne pense pas être particulièrement réac ni manipulateur en rejetant l’idée d’un questionnaire rempli d’avance, à froid, en pleine santé : ce n’est pas un consentement éclairé. Il est assez de handicapés pour témoigner qu’ils tiennent à cette vie dont, autrefois, ils n’auraient pas voulu. Malades inconscients, surtout s’ils sont seuls, sans famille ; malades mentaux ; jeunes enfants ; autant de cas qui placent la société légalisant l’euthanasie face au dilemme : renoncer à l’égalité devant une loi, ou s’arroger le droit de décider de donner la mort à un tiers non consentant. C’est la boîte de Pandore ultime. Inutile d’en dire plus.
Voilà, en gros, les raisons pour lesquelles je ne crois pas un instant à la possibilité de limiter l’euthanasie en quelque manière que ce soit. Celle-ci prendra sa propre dynamique et nous ne reviendrions en arrière qu’après un nombre intolérable de morts non désirées. Si même nous y revenons. C’est ce qui se passe en Belgique où de semestre en semestre, la loi s’étend. Actuellement, un groupe de médecins a préconisé l’extension de l’euthanasie à des malades sans leur consentement. Il est facile de dire que ce n’est qu’un projet. Il est dans le droit prolongement de la courbe et j’espère avoir montré pourquoi je ne crois pas qu’il soit possible de stopper cette courbe. Dès lors qu’elle existe, on s’est du même coup privé des outils qui le permettraient.
Un progrès, vraiment ?
Enfin, qu’on mesure bien ce que représente cette affaire : donner la mort est présenté par notre société comme un progrès. On a reproché à l’Eglise d’avoir pendant des siècles proposé la résignation comme idéal, en vue d’un salut éternel. Voici que nous allons légaliser l’idée que « si la vie est trop dure, il y a toujours l’euthanasie ». Curieux progrès en vérité, et funeste message.
L’euthanasie, ainsi que les prétentions à « vaincre la mort » (en réalité, la mort de vieillesse et elle seule), autre face de la même pièce, sont redoutables parce que ce sont des réponses aussi attrayantes que fausses à l’éternelle question que son caractère mortel, fragile, fini, pose à l’homme. A la différence de la médecine, elles ne supprimeront pas du monde la souffrance ni même la mort car en réalité, elles n’ont pas pour but de le faire, simplement de les masquer. Même la cyborgisation la plus avancée ne gommera pas la vulnérabilité de l’homme. Toutes ces soi-disant avancées ne feront que rendre plus cruelles les souffrances et les morts qu’elles seront impuissantes à conjurer, et à exclure, à retrancher davantage de la « bonne vie », et donc de la « bonne humanité » ceux – le plus grand nombre – qui y seront confrontés. On n’aura rien réglé du tout : juste amassé un gros tas de balayures sous le tapis, si gros qu’on devra porter d’épaisses œillères pour se le cacher, et la souffrance lorsqu’on s’y prendra les pieds et tombera du haut de tout notre orgueil n’en sera que plus terrible.
Volontairement, je n’ai pas fait appel aux arguments que je pourrais puiser dans ma foi. En effet, la Parole de Dieu ne consiste pas en un catalogue de caprices débités par une divinité incohérente et capricieuse, si elle existe, ou compilés par des scribes d’un autre âge, si elle n’existe pas : elle est Parole de Vie. C’est-à-dire, en très très simplifié, que ce n’est pas parce que tel précepte est réputé divin qu’il faut le considérer bon pour l’homme, mais parce que tel précepte provient d’un Dieu qui a souci de l’homme et ne lui édicte que des préceptes qu’Il sait bons pour l’homme. De là la possibilité de défendre des positions enracinées dans la foi chrétienne sans même avoir besoin de prononcer ces mots. Cela n’empêche pas qu’elles en proviennent.
J’espère avoir exposé de façon claire pourquoi c’est à cela que je crois, et pourquoi, par conséquent, il vaut mieux ne pas se lancer dans pareille pente glissante. La mort est toujours au bout, nous ne la rejoindrions que plus vite. La dignité de tout homme vivant ne peut être objet de négociation, car à l’instant même où cette négociation est déclarée ouverte, tout ce qui nous protège vole en éclats et il peut nous arriver n’importe quoi : plus aucun des obstacles que nous dresserons ne sera suffisamment résistant pour empêcher le curseur de reculer encore et encore.