Catholiques, avons-nous peur des miracles ?

Il y a donc eu une guérison miraculeuse à Lourdes, ce qui a suscité bien entendu l’hilarité des non-croyants. Le dénommé Raphaël Enthoven, qui s’était déjà signalé en voyant dans la retouche du Notre Père une irresponsable soumission à l’islam ou quelque chose dans ce genre, s’est rué sur un micro pour y clamer que l’Église prenait les gens pour des imbéciles – sous-entendu : qu’avec cette histoire on a la preuve que les catholiques étaient des imbéciles. Des attardés, des doux niais du culte qui croient au Père Noël.

Avec ce souverain poncif, on est sûr de mettre les rieurs de son côté. La méthode a fait ses preuves dans tous les bistrots.

Reprenons par le commencement : qu’est-ce qu’un miracle ?

C’est un événement – en l’occurrence une guérison – que les meilleurs spécialistes, dûment interrogés, déclarent inexplicable, impossible et pourtant constaté. Tenez, c’est même dans le Huffington Post:

« Quand un cas est validé, cela veut dire que les dizaines de médecins et autres spécialistes n’ont trouvé aucune explication logique permettant de justifier la rémission, au vue des connaissances scientifiques actuelles.

Ce ne sont évidemment pas des scientifiques qui qualifient ensuite la guérison de miracle. C’est l’Église qui fait ce choix, ou pas, quand le Comité médical international leur soumet un cas. »

Autrement dit : le cas est examiné par des scientifiques impartiaux et il ne peut y avoir miracle reconnu que si ceux-ci ont avoué leur impuissance à trouver une explication. Moyennant quoi, des miracles, il y en a très peu. La guérison de sœur Bernadette Moriau n’est que le soixante-dixième reconnu à Lourdes, en tout et pour tout, depuis 1858. N’en déplaise aux ricaneurs, l’Église ne crie pas au miracle à chaque fois qu’une tartine beurrée tombe côté pain.

Ajoutons qu’un miracle n’est pas un dogme et que tout catholique reste libre d’y croire ou pas, tout comme d’ailleurs aux apparitions. Ce que dit l’Église avec les sanctuaires « miraculeux », c’est simplement ceci : une enquête soigneuse conclut qu’il n’y a pas d’erreur ni de supercherie, mais un truc étrange qui se passe ; c’est la reconnaissance que des grâces particulières et des événements tangibles inexplicables en l’état par l’homme se produisent à cet endroit. Cela ne veut dire ni qu’il n’y en a que là, ni qu’il s’agit d’un distributeur automatique. Dans la pleine logique d’une religion révélée, l’Église dit : il nous faut bien constater qu’il se passe ici quelque chose qui nous déconcerte. Tout comme Dieu nous a déconcertés dans les grandes largeurs quand Il a choisi de nous dire qui Il était vraiment. « Nous annonçons un Messie crucifié, scandale pour les Juifs, folie pour les païens. » (1 Co 1, 23)

Et pourtant, comme l’observe notamment Jean-Pierre Denis dans La Vie, les catholiques eux-mêmes semblent gênés par le miracle. Ils ne savent pas trop qu’en penser ni s’il faut l’annoncer. Il y a plusieurs raisons à cela, mais pour ma part, j’en vois surtout deux.

La première, c’est qu’objectivement, tout au long de l’Histoire, l’homme a crié au miracle pour des faits qu’il ne comprenait pas, dans des situations qui aujourd’hui font sourire. On ne peut jamais exclure que l’inexplicable aujourd’hui soit explicable demain. Il est bien légitime de vouloir éviter l’imposture. Précisément, n’en déplaise à monsieur Enthoven, l’Église et les catholiques ne veulent ni être pris pour des imbéciles, ni prendre les autres pour tels. Ils ont trop peur d’être trompés par quelque ficelle qu’on découvrirait un beau jour.

Mais la seconde, qui participe d’ailleurs de la première comme l’œuf de la poule, quelque part, n’est-ce pas parce que nous, catholiques, partageons un peu la répulsion scientiste pour le surnaturel, le transcendant ?

Notre temps est pénétré de cette croyance généralisée à notre époque que tout est explicable ou le sera demain, que le surnaturel n’existe ni ici-bas, ni ailleurs. Elle en est si imbibée qu’on ose à peine glisser au détour d’une conversation qu’elle ne dit pas tout, vu qu’elle ne prétend pas tout dire. « Soyez rationnels ! » Ce qui ne relève pas de la science n’existe pas. C’est commode ! Et là encore, c’est la victoire assurée devant les micros (ou le zinc). La science ne vole-t-elle pas de victoire en victoire ? Quels demeurés, à tous les sens du terme, prétendraient le contraire ?

C’est possible, mais c’est oublier qu’elle ne peut le faire que sur son champ de bataille à elle. La déployer ailleurs, c’est déjà la trahir. Ou si l’on veut, c’est déployer le PSG dans une plaine grecque pour affronter la phalange de Sparte, sous prétexte que ce sont « les meilleurs du monde à notre époque », en oubliant de préciser en quoi. C’est la trahir, parce que c’est appeler science ce qui n’est ni plus ni moins qu’une croyance.

Si nous appelons Univers la réalité tangible, accessible en théorie à nos sens et à nos instruments de mesure, régie par les lois accessibles à nos investigations, et dont la science décrit le fonctionnement – depuis quelque Big Bang ou autre chose, jusqu’à nos cerveaux, aux supercordes ou autre chose – alors cet Univers est tout ce qui est, ou bien il ne l’est pas. Mais dans un cas comme dans l’autre, la réponse est autre part. L’existence, comme d’ailleurs l’inexistence, d’un Dieu situé au-delà (d’une manière ou d’une autre) de l’Univers sont obligatoirement, et pour toujours, des hypothèses, des hypothèses indestructibles, puisque par définition, la vérité est située en un « point » inaccessible, où nous ne savons pas si les lois qui régissent l’Univers ont cours. Nous n’avons même aucune raison de supposer que ce soit le cas. Est-ce plus rationnel, un Univers organisé, mais là sans cause, qu’un Univers créé tel qu’il se laisse observer par nos yeux et nos radiotélescopes ? Comment répondre, puisque nous n’avons aucun élément de comparaison ?

Cette question n’est pas tranchée et ne le sera pas avant la fin des temps. Faire croire le contraire est la pire des impostures. Parlons-en, tiens, de gens pris pour des imbéciles !

Seulement, c’est ainsi. Pour la majorité des Occidentaux (des Français ?), croire en Dieu est aussi défendable intellectuellement que croire au père Noël, indigne de cerveaux « modernes », « éduqués », « raisonnables » etc. Et nous avons souvent mis de côté ce pan de notre foi, notre croyance en l’existence de quelque chose d’autre que les lois de la matière dans l’Univers, pour éviter de passer pour des demeurés ou des faussaires. C’est plus simple. On dérange moins.

Mais du coup, on donne prise à une croyance erronée (si vous avez bien suivi, donc : non pas la croyance en l’absence de surnaturel, mais la croyance que la science a démontré l’inexistence de Dieu) qui est, j’en ai peur, l’obstacle numéro un à l’évangélisation. Combien de fois avons-nous entendu des discours du genre : « le message du pape ou de Jésus sur les pauvres et tout et tout, très bien, mais pourquoi aller y f… du dieu et du miracle ? Est-ce que vous allez enfin vous décider à dégager toute cette partie de votre discours ? » (et devenir une association ou un parti politique comme les autres) ? N’est-ce pas bien souvent par crainte d’accorder crédit à ce que l’air du temps croit périmé que tant de nos concitoyens se détournent du Dieu fait homme ?

Et trop souvent, nous emboîtons le pas. L’important, au fond, ce serait l’action, ou la morale, ou « les valeurs »… et plus du tout Celui qui nous appelle.  C’est oublier que notre foi est foi dans un miracle. Un événement inexplicable mais dont les suites sont là, devant nous, à chaque Eucharistie et dans le fait même de la célébration de chaque Eucharistie. L’extérieur s’est manifesté à l’intérieur de sa propre Création, afin qu’elle prît conscience de Lui.

Le miracle, comme la Révélation, c’est Dieu qui décide de bousculer les lois de la matière, comme on gratte discrètement à la porte, pour signifier qu’Il est là, mais d’une manière toujours si subtile que le déni est toujours possible. Il n’a pas le choix: s’il survenait un gros miracle bien irréfutable même en toute mauvaise foi, si un prophète était enlevé au ciel sur un char de feu devant les caméras de BFM, vous imaginez le désastre ? Le Messie crucifié se transformerait en une espèce de Jupiter capitolin qu’il faudrait bien adorer, que ça plaise ou non. C’est simple : à la seconde même la liberté de l’homme et l’Histoire s’arrêteraient.

Alors tant pis, les signes doivent se faire discrets. Le miracle est même fait pour être compris par les croyants et tourné en ridicule par les incroyants: c’est la condition de notre liberté, aux uns comme aux autres, et ce qui fait le prix de la foi.

« Quelqu’un peut bien ressusciter d’entre les morts, ils ne seront pas convaincus … »

Mais « heureux ceux qui croient sans avoir vu ! »