Nous n’avons malheureusement pas pu nous rendre à Paris pour le lancement du label Église verte ce samedi 16 septembre. De sorte que c’est par écrit et sur la base de la seule consultation du site Internet que je vais me risquer à proposer un premier avis.
Rappelons donc brièvement qu’Église verte est un label porté de manière œcuménique, c’est-à-dire unissant catholiques, réformés et orthodoxes, pour guider les communautés chrétiennes de France vers davantage de respect de la Création. La démarche consiste à partir d’un diagnostic simple à réaliser, un questionnaire, que nous allons examiner, lequel, une fois rempli, est adressé à Église verte qui décerne en retour le label auquel a droit la communauté, pour l’année en cours. Ce label comporte quatre niveaux symbolisés par un végétal biblique – lis des champs, cep de vigne, figuier, cèdre du Liban – et doit être renouvelé chaque année. La communauté est ainsi appelée, sur la base du diagnostic et de ses sensibilités et charismes, à progresser d’année en année.
Sur le principe, deux questions viennent rapidement à l’esprit :
- est-ce aux communautés paroissiales de se lancer dans ce genre de démarche qu’on aura vite taxée de lubie de bobos des villes ?
- n’y a-t-il pas un risque de voir les communautés sombrer dans une compétition de mauvais goût, à qui marquera le plus d’éco-points ?
À la première question la réponse est évidemment oui, avant tout pour des raisons spirituelles que nos frères orthodoxes n’ont pas oubliées comme nous, catholiques, et qui sont largement développées dans l’encyclique Laudato Si’ : le sujet concerne éminemment notre vie spirituelle et de prière. Mais la pertinence est également technique : les communautés paroissiales doivent agir en tant que telles, parce qu’elles ont la possibilité de mener à bien des actions écologiques dont l’impact est réel, et non seulement symbolique ou purement éducatif ; et qu’il n’est pas permis de se dérober à l’appel du Christ. « L’écologie intégrale, ce n’est pas que cela », direz-vous ? Certes, mais en matière d’accueil du pauvre, de l’étranger, de la famille, des personnes en difficulté, ce n’est pas d’un label ni de fiches techniques que nos communautés ont besoin. Ces domaines sont depuis longtemps une partition qui leur est familière. En matière d’écologie au sens plus classique, de souci concret de la Création – et donc d’écologie de l’homme à travers la protection de ce qui le fait vivre ! – en revanche, si la bonne volonté ne manque pas, le savoir-faire technique ne va pas de soi. Le dossier n’est pas familier des communautés paroissiales. Or c’est un terrain où nous sommes, aujourd’hui, à cause de l’état de crise, appelés à répondre au Christ et servir nos frères. Encore faut-il, pour travailler à cette vigne-là, savoir s’y prendre. Voilà pourquoi il était nécessaire de proposer une boîte à outils. Enfin, l’appel à agir de manière communautaire nous rappelle que la crise est profonde et ne peut être résolue par la simple addition de « petits gestes » individuels : il est des actions qui dépassent les moyens de l’individu et ne peuvent s’entreprendre que de manière collective.
Quant au risque de voir des paroisses se lancer dans une compétition au plus vert, on ne peut l’exclure, mais franchement cela m’étonnerait. Les paroisses n’ont pas attendu Église verte pour disposer d’éléments sur lesquels elles pourraient être tentées de palabrer comme les disciples pour savoir qui est le plus grand (Mc 9, 34). Elles ne le font pas. Peut-être, allez savoir, parce qu’elles n’ont pas oublié ce texte ?
Passons aux choses sérieuses.
Le site internet egliseverte.org est bien joli. Sobre, esthétique, fonctionnel. En outre, la version complète, avec les documents à télécharger, est apparue en ligne dès le samedi soir du lancement public et officiel du label, et c’était une fort bonne nouvelle pour nous qui étions chargés d’en parler à la journée paroissiale du lendemain, ouf ! Un point très intéressant : le label n’est accessible (stade « graine de sénevé ») qu’à condition de remplir des préalables, dont l’une est d’avoir constitué un groupe, ne fût-il fort que de deux ou trois personnes, et d’avoir l’accord des responsables de sa communauté paroissiale. Pas question de jouer au franc-tireur lançant son truc dans son coin : c’est une action d’Église, une action de communauté et on ne transige pas. Il est aussi demandé d’avoir déjà initié une action, même aussi simple qu’une soirée de prière, et naturellement d’avoir accès aux supports de comm de la paroisse – un prérequis qui sert plutôt à s’assurer qu’on aura les moyens d’agir vraiment.
Après quoi, on peut remplir le diagnostic. Celui-ci joue un double rôle : permettre à la communauté de se situer, bien sûr, mais aussi lui lister tous les champs d’action possibles d’une conversion écologique, y compris ceux auxquels le groupe n’avait pas pensé !
Examinons maintenant ce diagnostic.
Il se divise en cinq thèmes sur lesquels des cases à cocher servent à marquer des points : Célébrations et catéchèse, Bâtiments, Terrain, Engagement communautaire et global, Style de vie.
L’on commence par aborder la question sous l’angle spirituel, histoire de rappeler que l’écologie en paroisse n’a rien d’une concession à l’air du temps : c’est une démarche fondée sur la Parole de Dieu et la tradition chrétienne, sauf que, vu l’urgence, c’est un lieu où les chrétiens sont particulièrement appelés à servir leurs frères ici-maintenant. Les questions concernent la régularité avec laquelle la paroisse prie pour la Création, à travers une célébration spécifique, la célébration de la liturgie (chants, homélie…) et aborde le sujet dans la catéchèse.
Vient ensuite la question des bâtiments, car il est temps de passer à l’action : les économies d’énergie, notamment de chauffage, sont pour une communauté paroissiale à la fois l’un des principaux domaines d’action possibles, et celui qui a le plus de chances de mobiliser car au moins à long terme, il sera bénéfique pour les finances paroissiales … De nombreux points d’alerte sont mentionnés : fenêtres, éclairage, chaudière, gestion de l’eau …. sous forme de questions très précises : les fenêtres de telle salle sont-elles équipées de doubles vitrages ? Les chasses d’eau sont-elles à deux niveaux ? Cette résolution des grands thèmes en actions « élémentaires » très simples et très concrètes sont le grand point fort du diagnostic. Non seulement chaque petit pas déjà fait permet de « scorer » selon le barème du label, mais – et c’est le principal – cette liste précise et détaillée propose autant de gestes dont il sera simple d’évaluer la faisabilité, le coût, l’économie à espérer, le travail nécessaire. La communauté qui s’engage peut aisément se définir, sur cette base, un programme concret et accessible : elle n’est pas larguée face à un objectif nébuleux du genre « améliorer l’empreinte carbone des locaux ».
Toutefois la simple performance énergétique n’est pas le seul domaine abordé : il est question de l’origine de cette énergie (renouvelable ou non), de l’eau, du papier…
Le volet suivant du diagnostic concerne le terrain dont dispose éventuellement la paroisse. Il concerne principalement les usages d’icelui – potager, jardin partagé, espace de contemplation. C’est là qu’on trouve une entrée biodiversité, mais un peu vague pour un diagnostic : « ce terrain est-il géré de manière à favoriser la biodiversité ? » Autant dire que la communauté qui ne sait pas comment s’y prendre ne trouvera pas ici beaucoup de grain à moudre.
Il nous reste encore deux volets du diagnostic ! Le chapitre « Engagement communautaire et global » a trait aux gestes concrets menés en communauté qui ne relèvent pas des sujets précédents : c’est la rencontre avec des écologistes extérieurs à la paroisse, l’usage de produits locaux, bio, durables… dans la vie de la paroisse, l’organisation de covoiturages, d’événements autour de l’écologie… Sous des airs un peu fourre-tout ce chapitre est très complet et bourré d’idées simples et utiles.
Il en va de même du volet « Style de vie » qui, pour les thèmes abordés, aurait pu ne faire qu’un avec le précédent (mais cela aurait formé une indigeste somme de trente-sept questions à la file). Rien n’est oublié, ni le soutien aux actions « au bout du monde », ni le choix d’une banque éthique. De l’écologie intégrale en somme.
Vraiment intégrale ?
Biodiversité, la grande oubliée… encore.
Et bien pas tout à fait. L’outil présente, il faut bien le dire, une lacune véritable : on trouve fort peu de chose, et carrément rien au chapitre « bâtiments », pour ce qui relève de l’écologie par excellence : le souci de préserver la biodiversité.
C’est bien dommage.
Tout d’abord pour de simples raisons légales. Les jardins, mais surtout les bâtiments ecclésiaux, souvent anciens, abritent couramment des locataires imprévus appartenant à des espèces protégées par la loi. Mentionnons particulièrement les chauves-souris, gravement menacées en France (avec un déclin de 50% entre 2006 et 2014 !) et qui bien souvent habitent les combles, les avant-toits et d’autres espaces plus inattendus encore, à l’insu de tous ! Même chose concernant les oiseaux, Martinets, Rougequeues, Hirondelles, Chouette effraie, sans oublier les moineaux qui sont désormais menacés, et j’en passe, ont absolument besoin de nos vieux murs pour se reproduire. Une rénovation à but énergétique conduite sans prêter attention à ces animaux ne constituerait pas seulement une atteinte sérieuse à la Création, ce serait aussi un délit de destruction d’espèce protégée : il est donc indispensable que les paroisses en soient informées.
De manière plus positive, il existe des actions simples pour prendre soin de la biodiversité à l’échelle de nos paroisses. Faire de l’éventuel terrain paroissial et du bâti un espace accueillant pour la biodiversité est, avec la thermique des bâtiments, l’un des domaines sur lesquels une communauté paroissiale peut agir avec le plus de pertinence. Chaque espace bien géré, même petit, est non seulement un refuge, mais aussi un élément de « trame verte » : plus de tels espaces sont nombreux, plus les espèces peuvent circuler de l’un à l’autre, depuis ou vers les cœurs de biodiversité plus lointain, échanger des gènes et finalement, survivre ! Au cœur du bourg ou en pleine ville dense, chaque petite oasis accueillante pour la Création compte, à l’heure où des oiseaux des jardins comme le verdier ou le chardonneret entrent sur la liste des espèces menacées de France. Chaque église, chaque cure habitée par la rare Chouette effraie ou une belle colonie de Chauves-souris, ce n’est pas qu’un symbole, c’est une vraie victoire sur la crise d’extinction de la biodiversité en cours. De plus, de telles actions sont simples, peu coûteuses, faciles à mener en partenariat avec les associations naturalistes (LPO, CORIF, FRAPNA, FRANE et tant d’autres…) et source de contemplation et d’émerveillement !
Proposons donc quelques entrées supplémentaires possibles pour que « la grande oubliée » intègre le diagnostic :
Dans les bâtiments :
- la présence éventuelle d’espèces protégées (oiseaux, chauves-souris) dans les bâtiments a-t-elle été vérifiée par des naturalistes ? (les chauves-souris sont rarement repérables par des non-spécialistes !)
- les responsables de l’entretien et de la gestion des bâtiments sont-ils informés du statut de protection légale de ces espèces ?
- un diagnostic sur le sujet a-t-il été réalisé avec l’aide d’une association de protection de la biodiversité ?
- a-t-on déjà posé des nichoirs pour les espèces nichant dans les bâtiments (donc pas dans les arbres !) : rapaces diurnes ou nocturnes, hirondelles, martinets, rougequeues, moineaux ? Des gîtes à chauves-souris ?
La prise en compte de la biodiversité dans le bâti est une pratique désormais bien maîtrisée par les associations de protection de la nature, dont l’une a publié un remarquable guide composé de 18 fiches techniques. Ces associations travaillent avec des architectes, des promoteurs, et parfois, déjà, des paroisses !

Nichoirs à Hirondelles (Caluire-et-Cuire, Rhône)
En extérieur :
- quelle est la surface de ce terrain ? Est-elle suffisante pour la subdiviser en espaces à vocations différentes ? (quelques m² peuvent suffire pour chacune !)
- trouve-t-on des arbres, notamment de vieux arbres creux ?
- trouve-t-on des haies, même en périphérie ? D’essences indigènes ou de lauriers, thuyas ?
- réserve-t-on des bandes ou des espaces tondus seulement une à deux fois par an pour laisser se dérouler le cycle vital des plantes et des insectes ?
- enfin et surtout, et ce n’est même pas qu’une affaire de biodiversité : l’espace est-il entretenu avec des engrais, des pesticides chimiques, ou uniquement des produits bio/sans produits ? Utilise-t-on des granulés anti-limaces (mortels pour les hérissons) ?

Un syrphe – une mouche déguisée en abeille, pollinisateur des jardins bio
À l’image du questionnaire très détaillé sur les bâtiments, la présence de nichoirs, de mangeoires, d’hôtels à insectes, peut faire l’objet d’une entrée pour chaque type d’équipement. Ce serait une manière d’inciter à installer l’un, puis l’autre… et pourquoi pas sous forme d’une activité en communauté, lors d’une journée paroissiale thématique avec le groupe scout !
On espère les voir intégrer rapidement le diagnostic et les fiches actions.
Pour conclure et malgré ce sujet délaissé, l’outil s’annonce extrêmement prometteur, concret, opérationnel, avec de nombreuses propositions réellement destinées à imprégner de souci de la Création la vie de la communauté.
La longue liste de points d’attention ne manquera pas d’agir comme un vaste choix de portes d’entrée en fonction des sensibilités et compétences des paroissiens. Elle souligne également que chaque petit succès compte.
Reste, maintenant, la question de l’après diagnostic : quel accompagnement pourra être proposé aux communautés qui s’engagent ? Quelle documentation ? D’un côté, les référents paroissiaux apprécieront sans doute de tout trouver au même endroit ; de l’autre, il serait dommage et de peu de fruit de réinventer ce qui existe déjà. Gageons que la rubrique liens du site Églises vertes va rapidement s’enrichir de ressources (comme le guide Biodiversité et bâti déjà cité), de contacts de partenaires associatifs possibles, de sites de référence… afin que l’écologie dans nos Églises ne consiste pas à réinventer la poudre dans notre coin mais à entrer en relation avec ceux qui vivent déjà l’écologie au quotidien et possèdent le savoir-faire et le retour d’expérience dont nous aurons besoin. Ils ne demandent qu’à partager !