Qu’est-ce que peut bien fiche un écolo pendant le confinement ? Est-ce bien le moment ? À quoi tout cela sert-il ?
Je ne sais pas si vous vous posez ces questions (moi, oui).
Je ne sais pas si vous aurez des réponses (mais vous aurez au moins mes questions. Ha haaa.)
Il y a – Seigneur ! – déjà quatre ans, j’avais chroniqué ici même, au jour le jour, ma saison de terrain. Vous trouverez la rubrique ici. Elle vous donnera un aperçu de mon métier, si vous ne le connaissez pas encore. Si vous êtes pressé parce que le chat réclame sa pâtée, disons pour faire bref que mon métier consiste à effectuer des inventaires et des suivis de faune sauvage – principalement oiseaux et dans une moindre mesure amphibiens – sur divers coins d’un département dans le but de connaître et préserver concrètement (entretien de la végétation, pose de nichoirs…) leur biodiversité. Mon employeur est une association, les partenaires de nos missions sont des collectivités locales, des syndicats mixtes, des entreprises, de tout, en fait.
Le confinement ne change pas grand-chose, du moins pour le moment. Bien sûr, le télétravail a remplacé le bureau, les réunions physiques sont virtualisées, certains sites sont clos. Pour le reste : recherche d’Hirondelles en carrière, de tritons en lavoirs, suivis d’oiseaux communs sur carrés tirés au sort, tout cela est réalisable en ne croisant quasi personne, et donc réalisé. C’est une situation autorisée par les décrets, et nous y risquons moins la contagion qu’en allant acheter une baguette pas trop cuite.
Même les comptages d’oiseaux urbains sont maintenus, et plus faciles que jamais. Disparu le vacarme ambiant, mes comptages n’ont jamais été aussi complets ! Bref, ma charge de travail de cette saison de terrain peut être considérée comme à peine égratignée par la situation sanitaire.
Je me trouve donc dans cette situation peu commune : travailler en extérieur, sans pour autant être de ceux qui prennent de véritables risques, ni qui assurent les services vitaux de la nation. L’utilité de mon travail est toujours la même : en profondeur et sur le long terme. Il n’est pas vital et ne m’expose pas, je ne suis pas un héros (bien que mes faux-pas me collent tout de même à la peau) ni même une petite main des héros. C’est tout le contraire. Mes missions de terrain sont autant d’occasions de sortir, privilège considérable, même si toutes ne sont pas bucoliques, loin s’en faut (et quoique salarié, en-dehors du strict cadre de mes missions, je suis confiné comme tout un chacun : pas question de petites balades perso couvertes par l’attestation employeur). Poursuivre notre travail fait de nous des sortes de fantômes, d’hommes invisibles qui traverseraient une époque troublée comme si tout ça ne les concernait pas. Je me fais l’effet de ces ornithologues d’antan, ces scientifiques qui publiaient le résultat de leurs travaux sur la taille des pontes du Faucon hobereau ou l’habitat du Pic cendré en 1941 dans l’Europe occupée ou en flammes.
Bien sûr, la situation nous touche personnellement comme n’importe quel Français confiné – mes parents ont 70 ans et des poumons un peu fragiles. Nous avons de bonnes raisons aussi de craindre pour demain. Quelle place aura l’écologie « après » ? La crise écologique sera toujours aussi brûlante, mais l’heure ne sera-t-elle pas à tout recommencer comme avant, comme après-guerre, au temps des pollutions et des ravages assumés au nom de la « reconstruction » ? N’épiloguons pas : mon métier sera sur la sellette dès l’an prochain et s’il l’est, c’est mon monde, le vôtre, le nôtre, celui de tous, qui le sera aussi. Je n’y reviens pas une fois de plus. Si nous jouons à 1950 en 2020, nous sommes cuits.
J’y crois. J’ai de bonnes raisons d’en être sûr – mille fois développées ici – et donc, de ne pas douter de l’utilité de fond de mon travail. Mais à court terme ? Sans cesse je me demande : est-ce le moment ? Est-ce la chose à faire ?
Oui, certes, parce que je ne serais déjà pas utile à grand-chose d’autre. Au travail ou pas, nous sommes dramatiquement impuissants. La caissière, l’éboueur fidèles au poste combattent à leur façon le virus, comme tout le personnel d’un hôpital, de la réa aux buanderies. Moi, non ; pas plus que le comptable en télétravail ou l’imprimeur au chômage technique.
Chargé d’études naturaliste au boulot en ces temps bizarres ?
Contradictions sur pattes.
Ça ne sert à rien, tout de suite. C’est sûr. Ça sert pour demain, on l’espère, si demain veut toujours un peu de nature pour vivre, et ça, on ne sait pas. Cela dépendra de vous – vous les citoyens – aussi, d’ailleurs. L’après guerre fut un temps de grandes luttes syndicales. Il faudra de l’écologie comme il a fallu du social (au fait, il faudra du social aussi. Beaucoup.)
Chargé d’études naturaliste en temps de confinement : bizarre utilité inutile. Traversée étrange de ces temps étranges. Chanoine d’église fermée, moine d’abbaye perdue. La liturgie des heures s’appelle aussi prière du temps présent, non pas de l’immuable. Qu’il pleuve, qu’il vente, qu’il guerre, qu’il peste ou qu’il coronavire, on prie les psaumes, on fête les saints dans le même ordre, selon la férie. Et pourtant la prière des cœurs est celle d’aujourd’hui, pas celle de l’an dernier à la même fête.
C’est peut-être pareil. Les mêmes lèvres chantent les mêmes psaumes, les mêmes jumelles voient les oiseaux sur les mêmes points à la même date. Inutile, puisque toujours pareil… ou pas tout à fait, parce que, parce que… vivre, c’est dérouler le fil quand même.