Mon voisin regarde la Coupe du Monde. Dois-je lui jeter des pierres ?

CDM

La Coupe du monde de football va donc commencer sous peu. Et mon mur Facebook est tout fleuri d’invitations à l’événement « Je ne regarderai pas la Coupe du Monde ».

Je suis resté perplexe, et d’ailleurs cette note a subi diverses transformations avant que d’être publiée.

La pilule est amère. Le dernier épisode en date, l’appel des évêques brésiliens, est suffisamment clair. La fête nous a été volée, et avec violence encore ; ceux qui l’ont pris l’accaparent, et la défendent en tirant à balles réelles. Avec de vrais morts.

Pourtant, il y avait des raisons de l’aimer et de vouloir encore y croire.

La joie valait mieux que le fric

Prenons le temps de regarder. D’autant que le sujet est beaucoup moins superficiel qu’il n’y paraît. Il ne s’agirait pas d’agir à la légère, encore moins de se targuer de boycotter un événement auquel on n’accordait de toute façon pas d’intérêt ; et surtout, il y a lieu d’éviter de condamner en bloc ou encore, comme on le voit trop souvent, de s’octroyer à peu de frais un brevet d’intelligence supérieure.

Qui s’apprête à suivre avec passion la Coupe du monde et pourquoi ?
Il est facile de rétorquer : « des neuneus décérébrés qui idolâtrent des starlettes nageant dans le pognon ». De là à en conclure que lesdits abrutis applaudissent des deux mains les descentes militaires dans les favelas et militent pour la fin de la démocratie, il n’y a qu’un pas que j’ai déjà vu franchir allègrement.
C’est un peu plus compliqué, tout de même.

Pourquoi donc cette fascination pour la Coupe du monde de football ?
Et bien parce que, pour peu qu’on s’intéresse depuis l’enfance à ce sport… qu’importent les stars. Qu’importent les qualifiés. Qu’importe même la qualité du jeu. C’est juste qu’il y a un je ne sais quoi dans l’air de goûtu, d’épicé comme un buffet garni de mets venus de trente-deux pays. Leurs noms résonnent comme les couleurs des images Panini de notre enfance, quand on apprenait dans la cour de récréation où pouvait bien se trouver le Paraguay, pour ceux qui n’avaient pas chez eux la pile de rapports Amnesty International 1986. Quelque chose de plus détendu, de léger, de festif, quoi. On est en des jours non ordinaires, pendant lesquels on ose laisser de côté la gravité du quotidien au profit d’une joie simple, au risque du superficiel, l’espace d’un petit mois.

C’est la fête. Et nous avons désespérément besoin de fête. Cessons de prendre les fans de la Coupe du monde pour des imbéciles : chacun d’entre eux – en tout cas je le revendique – est lucide, il a pleinement conscience du caractère totalement superficiel de la chose. Mais c’est ce qui en fait tout le sel. On se réjouira peut-être, on ne pleurera pas, ou pas longtemps. Voilà enfin l’occasion de déposer le joug, et de se consacrer de tout cœur, quelques jours, à une affaire sans risque. Ne l’avons-nous pas âprement gagné tout au long de l’année ?
Voilà. C’est tout. C’est une valse multicolore et mondiale de jeu de ballon, sans plus d’enjeu qu’une partie sur la plage, mais qui nous libère quelques jours de la grisaille horizontale du quotidien. Ce ressenti traverse les décennies, il prend des allures de souvenir d’enfance ou de madeleine de Proust.

C’est puéril, me direz-vous. A l’heure où ceci, alors que le monde cela, peut-on se laisser aller à pareilles vanités, toussa, et il y a plus important.
Et bien oui, on peut. Justement, même. On y a même tout intérêt si l’on ne veut pas sombrer dans la folie, asphyxié par les crises, les problèmes, les drames et autres tragédies qui se succèderont les unes aux autres sans nous laisser respirer un instant, puisque nous aurons dédaigné le rare air frais. La gravité, c’est la pesanteur. On ne peut pas être grave du jour de l’An à la Saint-Sylvestre, ce n’est pas sérieux.

Au reste, questionnons-nous avec la même intransigeance toutes nos activités dites de loisir ? Comment réagirions-nous si une campagne sur les réseaux sociaux prônait le boycott des vacances, parce que l’empreinte carbone est élevée, que nous y consommons des équipements produits dans des conditions non éthiques et que de surcroît, il est indécent et superflu de se livrer à de pareilles futilités ? Vraisemblablement, nous déclinerions en tenant l’auteur pour un dangereux fanatique ; et nous trouverions plus raisonnable de réfléchir à des « vacances éthiques » ou « bio » – mais sans en contester la nécessité. Et nous aurions bien raison.

Concernant le caractère potentiel de « religion païenne » du sport moderne, le sujet mériterait une longue digression à lui seul. L’avis auquel je m’arrête pour le moment sur la question peut être retrouvé en commentaire de cet article de Pneumatis – mon commentaire du 10 juin 9h 17.

Voilà pourquoi, vaille que vaille, on continuait à savourer ce qu’il restait encore de la fête, jusqu’à ce que fût franchi, en cette année 2014, un dernier seuil. Car, non, bien sûr, la nécessité de ballons d’oxygène, le droit à la légèreté ne peut tout excuser. Voyons un peu.

Coupe du Monde 2014, calice d’amertume

Quiconque se préoccupe un tant soit peu du bien commun, quiconque, a fortiori, choisit un chemin d’écologie chrétienne intégrale est appelé à tout remettre en question de ses choix, de sa vie. A se demander à chaque instant : « puis-je encore me permettre ceci ou ne suis-je pas, quelque part, en train de rendre gloire à Mammon ou de m’empiffrer de Création aux dépens de mes frères ? »
Nos fêtes, nos loisirs, nos parenthèses d’insouciance n’échappent pas à l’investigation, et ainsi, par là même, l’insouciance nous est de plus en plus souvent refusée, à notre grand dam. Car la réponse est à chaque fois négative et cinglante et ici, particulièrement.

Il n’est plus possible de fermer les yeux. Que les Brésiliens eux-mêmes rejettent l’événement avec une telle violence doit prouver aux plus naïfs la véracité des à-côté atroces. Enfin, quoi, le Brésil attend depuis 1950 de tourner enfin la page d’une finale perdue devant deux cent deux mille spectateurs, et cela ne suffit pas à leur faire avaler la pilule. C’est dire la sanglante amertume de la médecine que le monstre qu’est devenue la « FIFA World Cup » leur inflige.

L’argent-roi, l’ultralibéralisme, le business du tout-plaisir, appelez cela comme vous voulez, car nous savons tous de quoi il est question, s’empare de tout, nous l’arrache, puis nous le rend, plus clinquant, plus coloré… mais payant. Et à quel prix ! S’il n’était question que de télévision à péage ! Mais c’est d’un impôt du sang qu’il s’agit désormais. Et l’amateur de football ou le simple travailleur fatigué d’ici, lui, n’a rien demandé. Il n’a jamais exigé des stades à la construction ruineuse, principalement à cause de loges de luxe. Il n’a jamais réclamé de confortables places assises ni de shows à trente caméras, dont cette infecte caméra-araignée dont tous espèrent qu’un jour, un dégagement en chandelle bien placé nous libèrera à jamais. Il a même parfois chanté, dans les places debout d’un parcage, « J’enc… le foot-business ». Il voulait juste oublier quelques jours la morosité de son monde « en crise ».

Mais ne se trouve-t-il pas, chaque fois qu’il désire prendre sa petite part de fête et de rêve, percepteur de l’impôt du sang payé par ses frères au Brésil et ailleurs ?
Ici, comme presque partout ailleurs, on lui a volé son droit à quelques heures d’insouciance pour le lui rendre chargé d’une terrible complicité. Voici l’homme qui espérait bien innocemment se détendre devant un Suisse-France sommé de choisir : rester claquemuré dans sa grisaille, ou « cautionner » des meurtres d’enfants…

Otages ou complices ?

Ici, la question s’élargit. L’argent-roi, c’est un poncif, a tout envahi. Tous les matins, je cautionne par un geste ce que je dénonce sur ce blog. C’est inévitable et parfois même involontaire. Faites le compte des joies gratuites, comment dire ? « pures », auxquelles s’adonner sans scrupules : vous en trouverez peu. Et pas assez, je le crains, pour contrebalancer la pesanteur aigre d’un quotidien de citoyen impliqué, aux prises avec l’injustice tous les matins. Tout peut inlassablement être remis en question, mais le questionnement perpétuel épuise, s’il ne connaît jamais de pause, et finit par nous acculer à un ascétisme, un catharisme suffocant. Ecologiste, je me déplace en voiture, polluante, pour me rendre sur mon site de prospection… dilemme. Chrétien, je suis pécheur, dilemme bimillénaire…
Jusqu’à quand suis-je coupable de liens funestes avec mon activité lorsqu’ils m’ont été imposés ?
Celui dont le bon Samaritain fut le prochain était peut-être un individu peu recommandable. Peut-être était-ce un impie, qui pensait mal et ne triait pas ses déchets ! Peut-être le Vingt Minutes Jéricho avait-il matière à titrer « Les drôles d’amis de Monsieur le Bon Samaritain »…

Vous me direz que le bon Samaritain n’était pas libre de choisir son prochain, qu’on n’est pas libre de s’extraire du « système », sauf à retourner dans quelque grotte, et encore, et qu’en revanche, on est libre de rejeter entièrement le football professionnel et la Coupe du monde.

C’est vrai. Sauf qu’il n’y a pas d’alternative. Qui ne veut prendre sa voiture peut prendre train ou vélo. Qui ne veut pas manger Monsanto peut aller au marché, pour encore quelque temps. Là, rien.

Rien ! la proie était trop belle : tout le monde vend du rêve, et il n’y a plus un seul rêve qui ne soit à péage. Et pas grand-chose à faire : concernant l’événement qui nous occupe, à part cesser de l’acheter, les leviers à court terme sont inexistants. Ce qui nous ramène au boycott de longue durée avec toutes ses aigres conséquences. Et encore ne suffit-il pas de boycotter TF1 pendant un mois tous les quatre ans pour se croire libre.

Sous les billets, retrouver une plage sans péage

Que faire d’autre ?

Il s’agit donc de comprendre que le système marchand universel s’emploie à nous arracher tout ce qu’il y a de beau, de gratuit, de souriant, pour le restituer sous la forme d’un objet de plastique, marque déposée et fort cher, ou l’anéantir, s’il n’y est pas parvenu, de peur qu’il n’oppose à son propre produit une concurrence déloyale.

Il s’agit de comprendre que tout ce qui emplit d’une joie insouciante et nous libère quelque temps de la gravité du quotidien appartient à ces beautés en péril, et que nous en avons un besoin vital. L’accepter, n’est-ce pas aussi accueillir notre humanité ?

Il s’agit de constater, consternés, que nous arrivons trop tard et que nous l’avons laissé entièrement racheter. Il va s’agir de repartir en arrière et d’inventer comment.

Il va s’agir d’être créatifs pour trouver du rêve, de l’insouciance qui se donne et ne se vend ni ne s’achète. Peut-être même qu’un jour, on pourra s’enflammer sur une Coupe du monde de football qui n’aura tué, exproprié ni ruiné qui que ce soit. Peut-être qu’on réussira à être joyeux sans arrière-pensées, sans « cautionner » quoi que ce soit.

Et donc, la Coupe du monde, boycott ou pas ?
On m’accusera de réponse de Normand ou de lâcheté, mais tant pis. En dépit de mon passé de « footeux » et même d’Ultra, ou plutôt en raison même de celui-ci, je m’oriente, pour ma part, sinon vers un boycott en bonne et due forme, du moins vers une prise de distance écoeurée, consternée. Ce sera mon choix et le mieux, je crois, sera que chacun discerne quel doit être le sien, car il n’y aura pas forcément de réponse unique, ni de loi ni de dogme. Discerner, et choisir sans se mentir. Sans non plus se précipiter pour jeter la première pierre à l’autre. Le pire manquement à la Charité, je crois, ce serait tout au long de la compétition de tomber sur le poil de ceux qui oseront la suivre en les traitant de buveurs de sang, de néonazis, d’ennemis de la démocratie ou de nouveaux Landru. Et aussi de faire sonner de la trompette devant nous pour clamer au monde notre boycott, alors qu’en temps normal, nous ne nous intéressons de toute façon pas au football…

A ce stade, quelqu’un m’a déjà fait remarquer que je n’avais qu’à me recentrer sur les petites joies simples du genre se pencher au balcon pour écouter les oiseaux. Ce qui, vu mon métier, a déjà de quoi faire sourire. Je lui ai répondu qu’outre que ce genre de gouttelette ne remplace pas une fontaine, le système est aussi passé par là, et que chez moi, dans ma ville, dans ma rue, il n’y a plus d’oiseaux.

15 réflexions sur “Mon voisin regarde la Coupe du Monde. Dois-je lui jeter des pierres ?

  1. Bonjour !

    Excellente question, dont les réponses peuvent être diverses.
    Qu’aurait dit (Saint)Paul ?
    « Accueillez celui qui est faible dans la foi sans discuter ses opinions » ?
    Car « L’un a la conviction de pouvoir (regarder la coupe des coupes); l’autre, qui est faible dans la foi, (préfère s’en abstenir).
    Que celui qui (regarde)ne méprise pas celui qui (choisit de boycotter), et que celui (qui choisit de boycotter) ne juge pas celui qui (choisit de regarder la coupe des coupes), car Dieu l’a accueilli » ?(Rom.14v1-3)

    Quoique la situation(les dessous du Mondial au Brésil)soit complexe…

    En Christ,

    Pep’s

  2. Ah! Après avoir suivi tout votre débat chez Pneumatis de loin, vous en touchez un mot ici! ^^
    Ce serait trop long de tout reprendre de votre article, mais j’ai vu des personnes qui regardent le football, à 20 derrière un tout petit écran, et qui pendant 2h avaient le coeur qui battait au fil des passes, avec un son très mauvais et de quoi se donner mal aux yeux à la fin… 😀
    Je ne suis pas fan de foot, et je regarde les matchs que très rarement, mais il y a quelque chose de pas du tout superficiel dans ces matchs… il y a… une assimilation à l’équipe qui permet effectivement de déposer tous les problèmes du quotidien, et à travers l’équipe soutenue (dont on peut ne rien connaître, pas le début du nom d’un joueur) réussir une victoire à laquelle on prend part pour avoir soutenue cette équipe, même en étant à 10.000km de là…
    Pour ce qui est de la caution donnée, la solution la plus simple consiste effectivement à se retirer et ne pas donner son soutien. Moins on supporte Visa, coca… moins ils auront les moyens de coupes aussi absurdement ruineuses. Le nerf de la guerre, c’est l’argent, et ici, si on ne le leur donne pas, ils n’auront plus les moyens de demander de si grands stades. Ils font tout ça pour les sous? Vendre leur publicité ou leur produit? Le boycott de la coupe puis des produits va dans le sens de la marque d’un refus de caution. C’est une piste, il y en a d’autres…
    Après, pour les joies dites gratuites ou pures, il faut un effort d’imagination pour se lancer dedans… car elles existent belle et bien! Le grand drame est de ne pas les voir, de ne pas savoir les compter… Est-ce que faire une balade avec ses amis, faire un tour en forêt ou à la campagne, est-ce que courir pour s’aérer les poumons ou dessiner au bic sur du papier utilisé sur l’un des côtés… fait parti des joies gratuites? Je dirais que oui, comme les jeux d’enfants type bataille navale, petit bac, etc… D’autres demandent un investissement minime, comme un plateau de jeu, des outils pour peindre ou bricoler (ciseaux, trombones, tout ça…), un peu d’essence pour faire une balade un peu loin avec sa voiture ou sa moto…
    Je n’adhère pas complètement à cette idée que tout ce qui est gratuit est marchandé. Oui, il y a une dynamique de fond qui va dans ce sens. Mais le rapport qu’on entretient avec les autres possède une dimension non marchande, et ça, on ne peut pas nous l’enlever. Prendre un vieux ballon troué et démarrer une partie de foot avec des arbres comme limite pour les poteaux… c’est pas trop cher payé.
    Je pense qu’un des outils pour combattre cette « société du tout spectacle » rappelant un peu les combats de gladiateurs antiques et leur prix du sang… est le développement non pas de « gouttelettes » et de joies simples comme le chant des oiseaux, mais d’authentiques relations profondes avec les autres au travers d’activités communes. En fait, c’est développer une « société de la gratuité » où se développe ce que l’autre a détruite: des liens forts et gratuits entre personnes, non marchands, et sur le long terme.
    Un vaste programme… mais exaltant pour qui en tire les premiers fruits! 😀

    • Il est évident que pour un système entièrement dépendant des droits TV, le levier le plus simple consiste à ne pas regarder. ça, pas besoin de publier cinq pages pour l’établir; en revanche, ce qui me gêne, c’est ce terme de « caution » qui prétend affirmer qu’il n’y a pas de moyen terme entre « je boycotte » et « j’approuve, consciemment, et bruyamment, les meurtres, l’esclavage, etc inhérents au système en question ». Et ce, d’autant plus que bizarrement, on a beaucoup plus de complaisance pour un grand nombre d’activités de notre quotidien, des activités dont nous pourrions matériellement nous passer, et qui « cautionnent » des abominations pires encore. Chaque fois que j’achète un produit de type loisir fabriqué en Chine ou dans tout pays où les travailleurs sont traités comme du bétail, « je cautionne »… mais je ne tiens pas le même raisonnement, je le réserve à la Coupe du monde de football: ce n’est pas très rigoureux. Et ça donne à penser qu’en réservant les huées et les tomates pourries à la coupe du monde ou « au foot », on s’offre un brevet de pureté qui dédouane de questionner tout le reste. Et ça passe parce qu’il n’y a pas mieux vu socialement que de se poser une pince à linge sur le nez dès que quelqu’un prononce le mot football…
      Engagés comme nous le sommes, avec mon épouse, sur une voie de sobriété heureuse, ce questionnement, nous tâchons de l’avoir à propos de tout, ce qui nous en montre la difficulté au quotidien. Et si on n’arrive pas à cesser « de cautionner » parce qu’on n’arrive pas à se passer d’une bolée d’air frais « estampillée Coca », et bien tant pis pour le moment, le plus important, c’est de ne pas se mentir… Les joies simples et gratuites, nous savons aussi fort bien ce que c’est, mais il faut aussi être honnête: dans nos vies de citadins, elles sont très rares, beaucoup trop rares par rapport à l’agressivité de l’environnement physique et humain, et là, ce qui fait d’habitude la valeur de la Coupe du monde, ou des JO, c’est précisément ce qui leur est reproché: d’envahir l’actualité. Parce que cela veut dire que pendant un mois, on se laisse moins obnubiler par l’actualité violente et révoltante du quotidien, on fait tomber un peu la tension, et un état un peu durable (deux, trois semaines) de tension moindre, c’est encore autre chose qu’une « petite joie simple ». C’est comme le chapiteau de la fête sur la place du village même si on n’y est pas en permanence, ce sont des jours où, de manière diffuse mais continue – pas seulement ponctuelle – on oublie un peu le reste. Et ça, c’est très, très, très difficile d’en trouver un équivalent qui soit par ailleurs irréprochable. C’est ce qui fait la valeur de ces grands événements… et qui explique pourquoi ils ont été vampirisés de la sorte.

  3. Bonsoir Choshow, merci pour votre commentaire !

    « Pour ce qui est de la caution donnée, la solution la plus simple consiste effectivement à se retirer et ne pas donner son soutien. Moins on supporte Visa, coca… moins ils auront les moyens de coupes aussi absurdement ruineuses. Le nerf de la guerre, c’est l’argent, et ici, si on ne le leur donne pas, ils n’auront plus les moyens de demander de si grands stades. Ils font tout ça pour les sous? Vendre leur publicité ou leur produit? Le boycott de la coupe puis des produits va dans le sens de la marque d’un refus de caution. C’est une piste, il y en a d’autres… »

    Absolument. Je me souviens d’un ardent défenseur des éléphants expliquant à la télévision qu’il n’existait qu’un seul moyen pour les sauver : « n’achetez plus d’ivoire ! »

    « Je pense qu’un des outils pour combattre cette « société du tout spectacle » rappelant un peu les combats de gladiateurs antiques et leur prix du sang… est le développement non pas de « gouttelettes » et de joies simples comme le chant des oiseaux, mais d’authentiques relations profondes avec les autres au travers d’activités communes. En fait, c’est développer une « société de la gratuité » où se développe ce que l’autre a détruite: des liens forts et gratuits entre personnes, non marchands, et sur le long terme ».

    Tout à fait. Cela me rappelle le « marketing non marchand » d’Eric Jaffrain.

    Bien à vous et en Christ,

    Pep’s

  4. J’ai beaucoup aimé le début de ton article, qui m’aurait presque réconciliée avec le foot, ce qui n’est pas peu dire vu que 2 ans à écouter malgré moi les matchs à travers notre cloison commune avaient généré une répulsion épidermique 😉
    J’avoue faire partie de ceux qui fustigent le sport de l’argent roi et des joueurs decérébres …

    quant aux petits plaisirs et joies simples, il suffit souvent de s’arrêter dans notre courses pour les reconnaître : un pianiste dans la gare qui réjouit les oreilles, un ami qui partage sa joie de devenir papa, un moment de discussion à coeur ouvert avec une amie, un calin avec son enfant, un sourire échangé avec un inconnu dans les transports, la satisfaction du travail accompli (ha ces mauvaises herbes qui n’envahissent plus mon potager car arrachées à la main), un coucher de soleil ou mieux un arc en ciel qui nous rappelle l’Alliance, un enfant qui demande à porter une croix à son cou pour affirmer sa foi … ou encore un article sur un blog qui enrichit l’esprit
    toutes ces choses sont et resteront gratuites ( même s’il faut bien payer le piano, la croix ou la connexion internet)

    • Pour ce qui est des joies simples, la difficulté n’est vraiment pas (en tout cas en ce qui me concerne) de les reconnaître; c’est plutôt de devoir se résigner à abandonner les autres parce que des Séraphin Lampion sans scrupule s’en sont emparés. C’est un peu comme des verres d’eau fraîche – c’est bien, mais un bon repas sans une goutte de vin, ben il manque quelque chose. En outre, il ne faut pas sous-estimer la capacité des marchands à flanquer un tourniquet sur tout. Les pianistes dans les gares, ça devient rare: concurrence déloyale (et de toute façon personne ne l’écoute, chacun a ses écouteurs); l’enfant qui demande à porter sa croix au cou ? oui, jusqu’à ce qu’on le lui interdise « pour respecter la liberté de conscience des autres » alors qu’être enturbanné de marques clinquantes et coûteuses pour jeter son fric à la poire du camarade de classe moins fortuné, ça il a le droit… tes mauvaises herbes, combien de temps auras-tu le droit de les arracher à la main, induisant pour les marchands de poison un manque à gagner qu’ils tolèrent de moins en moins ? Peux-tu contempler un paysage sans percevoir ici des pesticides, là une sylviculture par trop intensive, ailleurs pressentir un projet de ZAC ? à part le coucher de soleil et l’arc-en-ciel, tout ce qui est beau, bon et GRATUIT est en danger, car tout ce qui apporte à l’homme de la satisfaction gratuite le détourne d’aller en chercher de la payante… et le marchand de satisfaction payante ne peut évidemment pas l’accepter.

      • Une piste (je me limite à fournir des pistes, je n’irai pas beaucoup plus loin…) consiste à réinvestir le champ du spectacle et de tout ce qui est pris par ces « marchands de satisfaction payante ». Leur action est limitée dans le temps, ils ne sont pas éternels, on peut revenir en arrière.
        En l’occurence ici, ce sera tous les matchs de foot dont l’entrée est gratuite ou presque, et sponsorisés par personne, une mairie, ou une boite qui n’attend rien en retour… ça existe dans des situations où les gamins d’un membre d’une entreprise joue dans un club et qu’un financement pour le club passe dans ce cadre-là: certes, ça ne vaut pas le match d’une coupe du monde, mais c’est (presque) gratuit.
        Si ce qui est gratuit est en danger… alors il faut l’investir, et se désinvestir des substituts payants: ce qui n’est pas viable finit par… mourir tout seul.
        Après, facile à dire, moins facile à faire, j’en suis bien conscient, c’est clair…
        Mais il ne faut pas perdre l’espérance! Un trésor qu’on ne nous volera pas! 😀

  5. Ce geste d’une rare beauté sportive. Cette petite course vive qui se stoppe nette au millimètre près nécessaire, dans une parfaite coordination du regard et de élan; ce petit pas d’ajustement instantané permettant en un éclair l’équilibre de tout le corps avant la réception du ballon ; la synchronisation dans un même mouvement fluide de balancement rotatif, à la fois des bras, des hanches et des jambes, en même temps que le rapide coup d’oeil porté vers le but; avant enfin, la frappe de balle, située exactement entre l’intérieur et le coup de pied, lui donnant une trajectoire légèrement bombée et une puissance parfaitement dosée.
    Oui, aveugle et bien condescendant est l’homme qui confond la beauté gracieuse de ce coup de foudre avec le salaire de son auteur et les folies du foot-business, qui l’identifie avec l’idéologie capitaliste, et qui voit dans les centaines de millions de personnes saisies d’admiration en ces quelques secondes, des moutons soumis à l’dolâtrie du « sport-spectacle »…

  6. @Choshow
    C’est l’idée, en effet. Mais il commence à falloir descendre drôlement bas. Les tentacules descendent toujours plus loin, et on retrouve partout ce modèle « le gratuit est soit rendu payant, soit interdit pour ne pas concurrencer le payant ». En regardant ce qui se passe depuis quelques années dans ce coin-là du football, j’ai remarqué qu’il y avait de moins en moins de promotions et de relégations sportives entre les divisions National, CFA et CFA2 (niveaux 3, 4 et 5) et de plus en plus d’administratives. Motif: les coûts imposés pour évoluer au niveau supérieur explosent alors que les rentrées d’argent ne peuvent pas suivre. On maintient des clubs qui sportivement n’ont pas le niveau au motif que « le bassin économique présente davantage de potentiel » ! Résultat: sous peu, on va se trouver avec deux blocs étanches: 2 divisions professionnelles et le monde amateur, sans échanges entre les deux. Le principe tant honni de la Ligue fermée aura été mis en place, mais en douce, entre la L2 et le National, là où cela échappe aux regards. Et on retrouve des principes similaires dans tout le sport amateur. Dans la même veine, les tournois festifs de l’été sont désormais soumis à des réglementations étouffantes (normes, vente de boissons) sous la pression des structures professionnelles qui voyaient d’un mauvais oeil les associations de quartier concurrencer de la sorte leurs grandes kermesses ! Résultat, les matchs gratuits dont vous parlez n’existent presque plus, ou alors ils sont quand même sous la dépendance du même moloch. Chez nous, même le basket féminin de 3e division est en train d’y plonger, vous voyez ce qu’il reste comme refuge…
    C’est ce que nous tentons de ce côté-là, réinvestir le gratuit, mais je peux vous assurer qu’il faut aller de plus en plus loin pour en retrouver un peu !

  7. Bon, deux articles pour relancer le débat!
    Avec François notre pape: http://www.news.va/fr/news/le-pape-exalte-les-valeurs-du-football-a-la-veille
    Avec Benoit XVI notre pape émérite: http://www.aleteia.org/fr/religion/actualites/joseph-ratzinger-le-football-est-un-retour-au-paradis-5903219226050560
    Distinction nécessaire: on parle d’un côté de foot, de l’autre de coupe du monde, mais en aucun des deux cas de la façon dont celles-ci sont organisées et préparées.
    Et je reprends en entier une citation quand même: « Naturellement, tout ceci peut facilement être corrompu par l’esprit affairiste qui soumet le sport à la dure loi de l’argent, en fait une industrie et le transforme en un monde illusoire aux dimensions effrayantes. »
    … et je crois qu’on y est…

  8. Bonjour,

    @Phylloscopus : désolé, je n’avais pas encore commenté ton billet, que j’ai lu avec un grand intérêt. Je le trouve très juste, et sur la question du boycott, tu resitues bien, je trouve, toute cette question des structures de péché, celle du monde du spectacle et/ou de la consommation, qui semblent ne nous laisser le choix qu’entre l’héroïsme et la lâcheté.

    J’ai lu aussi un grand intérêt la réflexion de Benoit XVI qui a été indiquée dans un commentaire précédent, sur le foot. Je regrette un peu que Benoit XVI relise la formule romaine avec la sémantique du jeu, alors qu’elle est d’abord celle du spectacle, justement. Et si le jeu est par essence un lieu d’apprentissage de la vie – ce que peut-être la pratique d’un jeu de ballon en équipes pour des jeunes ou des moins jeunes, je le concède volontiers, le spectacle lui est tout autre chose. Son intérêt, d’abord esthétique, puis – Benoit XVI le montre bien aussi – symbolique, est tout ordonné justement au mode de représentations qu’il véhicule.

    Ainsi, la présentation poétique qu’en fait Serge, par exemple, toute esthétique, est justement à penser relativement à l’économie dans laquelle elle s’inscrit. Par exemple, on pourrait faire la même présentation admirative de l’esthétique du javeliste ou de l’archer… mais on appréciera beaucoup moins le geste si la cible du javelot ou de la flèche est un être humain, et le contexte une bataille. On peut trouver aussi qu’il y a une esthétique magnifique dans le coup de feu d’un sniper… ça suppose d’oublier complètement l’ordre dans lequel s’inscrit son geste, et de ne focaliser que sur l’esthétique de ce dernier.

    Alors pardon de me risquer à ce que Serge considère comme un aveuglement, mais au foot, je crois qu’on appelle ça « un but », et regarder le coup de pied sans en questionner le but, c’est plutôt ça qui me semble relever de l’aveuglement. Quand j’ai le malheur de penser à quel système est ordonné le magnifique coup de pied de la victoire, combien il fait vendre, combien même il a « intérêt » à faire vendre, et donc tout ce que ça implique en amont et en aval, je trouve que l’esthétique du coup de pied – pardon de ne pas y être assez sensible – peine à compenser l’écoeurement provoqué par son économie.

    Pour le reste, je le redis, je trouve la réflexion du billet très juste. Je suis dans la catégorie de ces gens qui, même si le sport était des plus vertueux dans la pratique, ne l’apprécierait de toute façon pas beaucoup plus. Donc je suis en effet bien mal placé pour donner des leçons de boycott. Chacun agit en conscience, avec son propre « aveuglement » (puisqu’il en est désormais question) mais surtout son propre discernement, aime comme il peut, est vrai autant qu’il peut, Et voilà.

  9. @ Pneumatis,

    « Quand j’ai le malheur de penser à quel système est ordonné le magnifique coup de pied de la victoire »… c’est aussi joliment dit que réducteur.
    Si l’on tient, ce qui est finalement assez facile et convenu, à réduire la beauté de ce but de Zidane à l’instrumentalisation dont il sera l’objet et aux vastes profits économiques qu’il a entraîné, on peut effectivement sortir ses calculettes et dresser la liste de son apport capitalistique pour le Real Madrid et toute la mafia du foot-business, en termes d’image publicitaire, de ventes de maillots, de négociations à la hausse des droits TV pour la saison suivante de ligue des champions, de ventes de journaux sportifs, de justification pour l’extension du centre d’entraînement, etc…
    On peut aussi s’arrêter à l’idée que zizou, ici incarnation idéale de l’anthropologie capitaliste égoïste, n’aurait marqué ce but que guidé par la froide logique de l’intérêt individuel qu’il en tirerait, gloriole et fric à la clé.
    Puis, on se tire une balle, encore en pleine lucarne, mais cette fois-ci dans la tête…sous l’impénétrable et invincible chape de plomb. Ici, l’esthétique du sniper est rarement source d’émerveillement.
    S’il est question d’aveuglement, c’est d’abord dans le refus de reconnaître cette brèche dans la chape, par laquelle se révèle précisément une autre dimension de ce geste, de ce but, de l’élan qui habite son auteur et de ce qui touche intimement les millions de personnes qui le voient et s’en émeuvent.
    S’il est question de condescendance, c’est dans une certaine superbe du sommet de laquelle on contemple, au risque du mépris cathare, des veaux purement aliénés à leurs pulsions consuméristes et enchaînés à l’idole païenne du sport-spectacle.
    Pourtant…si l’on considère qu’aucun système n’est jamais totalement clos, par cette brèche, on peut aussi reconnaître la part purement gratuite, «irrécupérable», éminemment spirituelle, que ce geste manifeste et sur lequel le système n’a pas prise et n’aura jamais prise, en tout cas pas au-delà de certaines limites.
    D’où vient qu’un tel but libère autant de joie chez tant de personnes, oui de joie? D’où vient alors chez tant d’êtres cet irrépressible désir de vivre et de partager ensemble cette joie? D’où vient que les cœurs, oui les cœurs, soient à ce point touchés et réunis en de tels instants? D’où vient que lors d’une belle soirée de juillet 1998, une nation entière, la nôtre, au delà de tous les clivages et divisions qui la traversent (oh certes ayant bien vite repris le dessus !), se soit rassemblée en un tel feu de joie collective, dans d’inoubliables moments de fraternisation tous plus improbables les uns que les autres? D’où vient que ce soir là, les français se soient réconciliés et aimés entre eux, dans ce qui ressemble fort à un de ces rares et ponctuels moments de communion nationale?
    Il doit bien y avoir un truc quand même. Comme un petit quelque chose qui ressemble à la grâce, si du moins la joie et l’irrésistible désir de partage fraternel en sont les signes tangibles.

    Quoi donc? En ces instants, Zinédine Zidane, véhicule de la grâce ? Mon Dieu quel scandale !

  10. Tu permettras sans doute, Serge, que je n’adhère pas les yeux fermés à ta canonisation du coup de pied de la victoire.

    D’abord parce que la joie, qui est un fruit de l’Esprit, a aussi ses avatars fruits des manipulations, en particulier des manipulations de masses (le fondateur de KdF – Kraft durch Freude – en savait bien quelque chose). Désolé si ça fait point Godwin, mais suite à ton propos, il me semblait important de rappeler ce donné élémentaire.

    Ensuite, quand on vit une « joie » que l’on veut universelle, transcendante, dépassant tous les clivages et divisions qui traversent une nation, comme tu dis, il convient de l’évaluer avec un peu de recul… La joie sacramentelle est une joie « efficace ». Quant à cette joie si « transcendante » du foot, qui entraîne de si « joyeuses » manifestations post match, bon… même le soir du 12 juillet 1998, lors que la France « entière » communiait avec les bleus dans la grâce, un couple de Judas (sans doute), paniquant en voyant ces gens exultant de joie monter sur leur voiture et les secouer, a foncé dans la foule, blessant 80 personne et en tuant une. Va savoir pourquoi, par qui, ils étaient excommuniés de cette célébration nationale, et pourquoi ils ont préféré la panique à la joie. Reste que ce n’est qu’un cas, non isolé, d’une « joie transcendante » aux fruits parfois suspects.

    Vois-tu, je connais quelqu’un, dont j’ai déjà du parler à Phyloscopus, je crois, qui ne communie pas à l’esthétique du foot (c’est peu dire) et qui lui préfère largement l’esthétique de la corrida. Ouh le vilain qui aime voir des animaux innocents se faire massacrer devant un public assoiffé de sang. Pourtant, il faut avouer que la corrida investit beaucoup la dimension esthétique. J’ai entendu une fois cette personne se justifier ainsi de cette préférence : au moins, avec la corrida, le sacrifice sanglant/violent propre à tout rituel festif a lieu dans l’arène, pas dans la rue.

    Alors j’entends évidemment que tout supporter de foot n’est pas un casseur, qu’il peut faire l’expérience d’une joie sincère, dans laquelle il se ressource vraiment, lui et ses amis avec qui il la partage… Je vais te dire simplement que des dizaines de milliers de gens vivent des choses, à les en croire, spirituellement encore plus fortes à Medjugorje, des conversions, des extases, et tout… et l’Eglise n’a toujours pas statué sur le caractère surnaturel du phénomène… alors la transcendance du coup de pied de Zidane, tu m’excuseras de m’excommunier sans regret de la religion qui le célèbre, et d’aller plutôt relire la présentation que nous faisait saint François de la joie parfaite.

    • Moué. Vous voilà partis l’un et l’autre assez loin de ce que, pour ma part, je voulais exprimer dans cet article.
      Pneumatis, le problème, à mon sens, de ton point de vue, c’est qu’il risque de t’acculer, comme je te le disais sur ton blog, à un quasi-catharisme une fois que tu auras constaté qu’il n’est de joie parfaite que mystique. En effet, tout ce qui est humain, et non purement divin, est pécheur, et donc récupérable, qu’il s’agisse de la joie, de la contuition, de l’esthétique, tout, absolument tout et par définition même, puisque l’homme naît pécheur. Mais cela ne veut pas dire que toute activité humaine autre que la quête sincère de la joie parfaite en Christ soit, immédiatement et ipso facto, un péché…
      D’autant plus qu’on pourrait tenir le raisonnement inverse et constater que nombreux sont les chemins qui mènent à la Grâce : je peux contempler un oiseau et en théoriser une misanthropie de mauvais goût tout comme en tirer un Cantique des Créatures. On reconnaît l’arbre à ses fruits, signifie que tant qu’on n’a pas vu les fruits, il est imprudent de conclure sur la nature du plançon, car on peut se tromper du tout au tout. Imprudent, en tout cas, avant d’avoir pris le temps du discernement. C’est un peu comme si tu voyais quelqu’un peindre une banderole et que tu criais au slogan haineux avant d’avoir vu qu’il s’agit d’une banderole pour un anniversaire… Quoique je ne partage pas l’approche esthétique du geste de Zidane, réservant, en matière footballistique, ma quête esthétique à l’univers des tribunes (d’où ma préférence pour l’approche Ultra et mon rejet absolu de l’univers hool), ce geste existe et existerait même s’il n’y avait pas alentour de système marchand pour nous le vendre ; de même que le ciel bleu n’est pas corrompu par le fait qu’il soit célébré entre autres par des chanteurs niais et commerciaux ou que l’architecture antique n’est pas dévoyée par le fait que les totalitarismes postérieurs de 25 siècles en aient repris les canons… Ou bien faut-il aussi honnir toute émotion esthétique à cause du marché de l’art ? C’est aussi ce que j’essayais de dire avec l’image des « drôles d’amis de Monsieur le bon Samaritain ». Si tu vas par là, même le geste éminemment christique de l’accueil du prochain peut être gros d’un fruit empoisonné, il suffit que sans le savoir, le prochain à qui tu tends la main soit un sale type. Mais toi, que seras-tu : celui qui a tendu la main sans juger son frère, ou le complice, quoiqu’involontaire, des méfaits ultérieurs du sale type qui se sera relevé grâce à toi ?
      Seule la joie de la Grâce est parfaite, c’est entendu, mais ça ne peut pas être le miracle de Lourdes tous les jours. Accepter de se nourrir de petits bonheurs plus modestes, et même parfois discutables. Ce qui compte, c’est de ne pas se mentir. Le geste de Zidane ou un somptueux tifo sont à la fois un produit commercial ou une démonstration de puissance, et une œuvre d’art produite par l’homme, au pied de la lettre. C’est aussi ambivalent que l’homme lui-même, et pourtant, il nous est commandé d’aimer notre Dieu de tout notre cœur et de toute notre âme… ET notre prochain comme nous-mêmes. Si imparfait, si capable de cultiver de mauvais fruits qu’il soit.
      Serge, je ne te suivrai pas forcément jusqu’à parler de grâce, et je crois qu’il est vain d’imaginer une mise sur un pied d’égalité des joies humaines et célestes. Bien sûr que la joie d’une victoire sportive n’a rien d’une joie parfaite. Mais elle est spontanée, sincère, gratuite, et elle peut rapprocher sans diviser, là encore, pour peu qu’on soit lucide. Bref, elle est humaine.
      Et même si le parfait est préférable, nous sommes des hommes et appelés par le seul être parfait à aimer l’homme imparfait ; et d’autant plus qu’Il a montré l’exemple. Ne se réjouit-on pas en voyant revenir au bercail ce sauvageon de hool de fils prodigue ?

  11. @ Pneumatis,

    Pour le point Godwin, pas de problème, je te rassure. Mais sur les manipulations des émotions sportives à des fins idéologiques et politiques, là encore j’ai envie de te dire que je suis au courant et de te proposer, encore, de voir au-delà.
    Je ne sais plus au détour de quelle discussion, mais toujours est-il qu’il y a dix ans de cela, aux premières marches de ma conversion, mon accompagnateur jésuites du moment me déclara un jour, on ne peut plus sérieusement et pour ma plus grande stupéfaction d’intello très propre sur soi, sa conviction que lors des matchs du PSG, l’Esprit de Dieu se plaisait à se poser dans les travées du parc des princes, avec une faveur toute particulière pour celles du kop Boulogne, les pires en termes de réputation et d’odieux extrémistes sauvageons qu’on n’a pas trop envie de croiser après le match.
    J’ai fini par me demander si ces bandes de détestables hooligans buveurs de bières et bons manieurs de bates, n’étaient pas des êtres si obscurément habités par un inaccessible désir de communion.
    Permets moi de croire, à mon tour, que la joie parfaite de saint François à laquelle tu fais allusion, c’est dans la boue du réel humain, au milieu des saletés, des cris et des tumultes du péché de l’homme qu’il l’a reçue, bien plutôt que sous une bulle ecclésiale parfaitement propre et imperméable à toutes ces émotions et autres indignes vulgarités populaires.
    Ptèt ben même qu’en notre temps il eu pu être un grand fan de l’AS Rome comme le pape François l’est du club argentin de San Lorenzo de Almagro. Je te l’accorde, en termes de références intellectuelles, c’est pas très classe de le dire et de le penser. Mais c’est peut-être vrai et c’est ça qui compte finalement.
    Je te suggère de t’interroger sur l’éventuelle continuité entre la si haute charge magistérielle et spirituelle du pape François et ce fait humain si bas, terreux et prosaïque, sa passion pour le ballon rond. Je suis sûr que tu ne le soupçonneras pas de succomber à cette mode très chic et très bobo qui consiste à regarder du foot à la télé pour faire proche du peuple.

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